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importantes, Ollé-Laprune reconnaît pourtant que de grandes différences les séparent. Il estime que saint Augustin, tout en employant à chaque instant et sans scrupule les mots de vue et de vision, à propos de la connaissance intelligible, ne veut point dire comme Malebranche que nous voyons Dieu dès cette vie ; chez lui non plus, nous ne trouvons rien d'identique à l'étendue intelligible (1). Il trouve même que l'évêque d'Hippone, loin d'admettre l'inefficace des causes naturelles et l'universelle action de Dieu, est un adversaire de cette doctrine (2). Sans dire avec les jésuites qu'il n'y a rien de commun entre saint Augustin et Malebranche, il n'admet donc pas, comme André, que Malebranche se soit contenté de mettre en pleine lumière les principes du grand Docteur. Henri Joly pense lui aussi que Descartes et saint Augustin furent les deux grandes sources où puisa le philosophe, pour composer sa Recherche de la Vérité, mais après leur avoir fait subir à l'un et à l'autre une critique approfondie (3). M. Blondel semble même croire que Malebranche pourrait devoir beaucoup plus à saint Augustin qu'à Descartes, dans la mesure du moins où il admet qu'il puisse être question de filiation discernable de philosophe à philosophe (4).

Sans préjuger en rien de la parenté qui relie ces deux grands esprits, il est légitime cependant de se demander si la crainte des théologiens, et le désir de désarmer de redoutables adversaires, ne fut pas, pour quelque chose, dans le souci qu'eût Malebranche de se présenter toujours comme un disciple fidèle de l'évêque d'Hippone. Ses plus irréductibles ennemis furent des théologiens, et c'est au nom du dogme qu'Arnauld, Bossuet, Fénelon, les jésuites le condamnent. On le taxe d'hérésie, ce qui pouvait devenir dangereux, à cette époque où le catholicisme était une institution d'Etat. C'est au nom de la foi que le P. Le Valois attaque la doctrine cartésienne de la matière; il en déduit des consé

(1) Idem. Ibidem, ch. III, p. 267.

(2) Idem. Ibidem, ch. V, p. 354.

(3) Henri Joly. Malebranche. ch. I, p. 111, p. 20 et suiv.

(4) Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1916, p. 24.

quences erronées, et montre qu'elle est incompatible avec le dogme de l'eucharistie. Son intention nettement marquée était, d'ailleurs, de surciter la colère des évêques contre les cartésiens, parmi lesquels il plaçait au premier rang Malebranche. Il dédiait son livre à tous les évêques et archevêques de France, en citant Descartes et ses sectateurs à leur tribunal : « Messeigneurs, disaitil, je cite devant vous M. Descartes et ses plus fameux sectateurs: je les accuse d'être d'accord avec Calvin et les calvinistes sur des principes de philosophie contraires à la doctrine de l'Eglise ; c'est à vous, Messeigneurs, à en jurer (1). » C'est la doctrine théologique du Traité de la Nature et de la Grâce qui vaudra à Malebranche l'inimitié d'Arnauld, de Bossuet et de Fénelon. Dans une réfutation, écrite sous l'inspiration de Bossuet et annotée de sa main, Fénelon l'accusait de détruire entièrement la liberté de Dieu et d'aboutir nécessairement au panthéisme et au socinianisme (2). Il en vient, écrivait-il, à ruiner l'autorité de l'Ecriture ou à la réduire à la mesure de sa raison. « N'est-ce pas ainsi que Spinoza, sous prétexte de raisonner avec l'exactitude géométrique sur les principes évidents de la métaphysique, a écrit des rêveries qui sont le comble de l'extravagance et de l'impiété ? (3) « C'est sur de tels principes que les sociniens, expliquant toutes les expressions mystérieuses de l'Ecriture, pour les accommoder à la raison, qui est la lumière du Créateur, ont anéanti toute l'autorité de la lettre et tous les mystères du christianisme (4). Il se plait surtout à montrer combien Malebranche diffère de l'évêque d'Hippone, et sur la question de la grâce, et sur celle de la prédestination, et sur celle des volontés générales; il les oppose même résolument : << N'est-il pas étonnant que l'auteur combatte une doctrine appuyée sur une si grande autorité, sans avoir la consolation de pouvoir nommer, je ne dis pas un saint Père, mais un théologien connu, sur les traces duquel il mar

(1) André, Vie de Malebranche, ch. III, p. 43.

(2) Fénelon. Refutation du système du P. Malebranche, ch. VI. VII. (3) Idem. Ibidem, ch. XIX.

(4) Idem. Ibidem.

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che (1). >> Aussi l'adjure-t-il de revenir en arrière et de cesser de battre en brèche les vérités les plus certaines du catholicisme (2). Comment souffrir qu'il sape plus longtemps les fondements de la religion, et qu'il continue de scandaliser le public par une doctrine manifestement hérétique et impie ? « Qu'il rende donç gloire à Dieu contre ses propres erreurs, qu'il leur préfère enfin l'humble et sage ignorance de toute l'Eglise, et qu'il se réjouisse de « succomber sous le poids de la majesté des mystères divins. ».... Il vaut mieux être vaincu par la vérité que par la honte de s'en être éloigné, comme dit saint Augustin (3). » L'attaque était rude, et si l'on remarque que Fénelon écrivait sous l'inspiration de Bossuet, alors tout puissant dans l'Eglise de France, on conviendra qu'elle était dangereuse. Celle des jésuites ne l'était guère moins. Eux aussi accusent Malebranche de graves erreurs doctrinales: « Ce P. Malebranche adopte et aggrave tout ce qu'il y a d'erroné en matière de religion dans le cartésianisme. Il y ajoute un grand nombre d'autres erreurs ; les unes déjà formellement condamnées par l'Eglise, les autres ou directement contraires à la tradition, ou si dangereuses, vu les conséquences qu'on en peut tirer, qu'aucun théologien savant et orthodoxe ne peut excuser cet écrivain que sur son extrême ignorance en tout ce qui regarde l'Ecriture et la tradition. Véritablement elle va si loin que, pour cet auteur, citer un passage de l'Ecriture ou un endroit des Pères, et le prendre à contre-sens, c'est à peu près la même chose (4). >> On croit découvrir dans la Recherche de la Vérité toutes les erreurs condamnées, depuis longtemps, dans Baius et même « un sentiment pire que celui de Jansénius sur la nature du péché origi nel (5). » Dans le Traité de la Nature de la Grâce on voit « la

(1) Idem. Ibidem.

(2) Idem. Ibidem, ch. I.

(3) Idem. Ibidem, ch. XXXVI.

(4) Cousin. OEuvres philosophiques du P. André. Introduction, p. 150. (5) Idem. Ibidem.

plus insigne témérité qui fut jamais » (1), car l'auteur ose régler tout ce qui regarde l'économie de notre salut suivant son caprice, d'une manière toute contraire à ce que la meilleure théologie et la tradition universelle nous apprend. Comment n'être pas indigné quand le P. Malebranche, « pour autoriser son dangereux fanatisme», ne craint pas de faire débiter par le Verbe éternel tout ce que son imagination déréglée lui fournit d'extravagances et d'erreurs (2)? Enfin, tout en reconnaissant que saint Augustin avait beaucoup lu Porphyre et Plotin, et « qu'il a inséré dans ses ouvrages un peu trop du platonisme qu'il avait étudié avant sa conversion (3) », on donne cependant maintes preuves qui montrent, avec évidence, que le platonisme de saint Augustin diffère totalement des extravagances du P. Malebranche. Aussi estimet-on que ses écrits doivent « causer de l'horreur à tout chrétien bien instruit de sa religion (4). » Ce sont les idées théologiques de notre philosophe sur la grâce qui déterminèrent également sa rupture avec Arnauld. Le chef des jansénistes, qui avait loué ses doctrines métaphysiques lors de l'apparition de la Recherche de la Vérité, ne fut pas moins choqué que Fénelon et les jésuites, spéculations sur la grâce. Et il combat au nom du dogme la généralité des voies qui fait dépendre Dieu de la créature, l'optimisme qui l'asservit à la loi du meilleur, et surtout la théorie de la grâce qui incline par moments au pélagianisme tant combattu par l'évêque d'Hippone (5). Si son opposition était pratiquement peu redoutable, puisqu'il était mal vu de l'autorité royale et qu'il sera même contraint de s'exiler, celle des jésuites et de Bossuet pouvait être, par contre, grosse des. conséquences les plus désastreuses. On ne badinait pas alors avec l'hérésie vraie ou supposée. Port-Royal et l'archevêque de Cambrai ne furent pas les seuls à en savoir quelque chose, nombre

de ses

(1) Idem. Ibidem.

(2) Idem. Ibidem, p. 151.

(3) Idem. Ibidem, p. 177. (4) Idem. Ibidem, p. 151.

(5) André. Vie de Malebranche, ch. IV.

d'oratoriens l'apprirent aussi à leurs dépens, pour ne parler que du milieu où vécut Malebranche. Une traduction annotée du livre de la Virginité, de saint Augustin, valut la bastille au P. Séguenot, supérieur de l'oratoire de Saumur; Quesnel devra fuir dans les Pays-Bas; le P. de Sainte-Marthe devra s'exiler de Paris, puis se démettre de ses fonctions de supérieur général ; un commissaire royal sera même chargé de surveiller spécialement les doctrines enseignées à l'oratoire et d'en apprécier l'orthodoxie. On sait toutes les tracasseries dont le manuscrit du P. Faulconnier, son ancien professeur, fut l'origine, et comment le simple soupçon de jansénisme valut l'exil à nombre d'oratoriens. L'opposition violente de Bossuet et celle des jésuites, plus sournoise mais non moins efficace, contre Malebranche devint même telle, qu'il dut songer, bien à regret, à quitter l'oratoire. Les haines dont on le poursuivait, pouvaient occasionner les plus graves ennuis à son institut, et ses confrères qui voyaient l'orage s'annoncer terrible le lui firent sentir. Mais le philosophe se révèla dans cette occasion plus pratique qu'on ne l'eût cru, et sortit avec honneur d'une situation en apparence sans issue. Il employa divers moyens. Peut-être son insistance à se donner comme l'héritier fidèle de la doctrine augustinienne ne serait-elle pas étrangère au besoin de paraître orthodoxe ? Il était très sensible, en effet, à toutes les accusations portées contre la pureté de sa foi. Le P. Malebranche, nous dit André à propos du P. Le Valois, n'était point sans émotion, il sentit l'outrage qu'on lui faisait, en répandant des soupçons téméraires sur la pureté de sa foi, surtout dans un siècle où l'on était si porté à mal penser de son prochain en cette matière... Mais ce qui le rendait plus sensible à l'accusation, c'est qu'il savait mieux que personne quelle est la force des préjugés populaires, et que la plus évidente apologie n'en efface presque jamais toutes les mauvaises impressions (1). » Ce fin psychologue savait aussi toute la force de la répétition; et, en redisant sans cesse qu'il n'était qu'un

(1) André. Vie de Malebranche, ch. III, p. 51, 52.

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