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de David, soit de l'histoire nationale d'Israël, soit de l'existence de certains anawim (humbles) ou hasidim (pieux) de l'époque postexilique, voire maccabéenne, sont en général illusoires et que beaucoup de psaumes peuvent être plus anciens que la plupart des critiques modernes n'inclinaient à le penser, aussi anciens peut-être que les actes du culte qu'ils étaient destinés à accompagner.

M. Causse a examiné la valeur de ces vues nouvelles et, tout en faisant des réserves sur certains points importants, il a été amené à en reconnaître la justesse générale. Il a eu à cela d'autant plus de mérite que, dans des ouvrages précédents, notamment dans ses Pauvres d'Israël et dans son Israël et la vision de l'humanité, il avait pris pour point de départ l'idée courante jusqu'ici dans la critique sur l'âge et le caractère des psaumes.

Dans son nouveau livre M. Causse a entrepris de retracer l'histoire des débuts de la poésie lyrique israélite jusque vers le vie siècle, en tenant compte de ce qu'il estime solide dans les conceptions de MM. Gunkel et Mowinckel.

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Il répartit en quatre groupes les compositions lyriques qu'il rapporte à cette période: 1) la poésie populaire primitive: morceaux << remontant pour la plupart à l'époque nomade ». Ce sont des chants de vengeance et des cris de guerre le chant de Lémek (Gen. 4, 24), l'invocation au dieu de l'arche (Nomb. 10, 35-36), le cri de guerre contre Amaleq (Ex. 17, 16), le mot d'ordre de Gédéon (Jug. 7, 18); des chants de triomphe comme le chant

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de Miryam (Ex. 15, 21); des chants de travail, le chant du puits (Nomb. 21, 17); des sentences de bénédiction et de malé

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diction. le chant des frères de Rébecca (Gen. 24, 60), la sentence de Melkisédeq sur Abraham (Gen. 14, 19-20), la bénédiction aaronide (Nomb. 21, 24-26).

2) La poésie lyrique nationale au temps des juges et des premiers rois, œuvres déjà littéraires de poètes chanteurs bénédictions de Jacob et de Moïse (Gen. 49; Dt. 33), cantique de Débora, machal contre Moab (Nomb. 21, 27-30), chant sur la bataille de Gibéon (Jos. 10, 12-13), complaintes sur la mort de Saül (2 Sam. 1, 1927) et sur celle d'Abner (2 Sam. 3, 33-34), oracles de Balaam (Nomb. 23 et 24).

3) Origines de la poésie cultuelle. OEuvre des chantres attachés de très bonne heure aux anciens sanctuaires, cette poésie comprenait :

psaume

80;

a) des chants de louange, comme l'acclamation du Roi de gloire (Ps. 24, 7-10), la formule de dédicace du temple (1 Rois 8, 12-14), le psaume du Dieu tonnant (Ps. 29), le cycle des chants de l'avènement de Yahvé, le cantique de la Mer Rouge (Ex. 15, 1-18); b) des liturgies de lamentations collectives comme le c) des rites et formules d'exorcisme et de guérison: psaumes pénitentiaux comme le psaume 6, malédictions contre les po'âlê 'âwen, c'est-à-dire contre les sorciers, comme Ps. 35, 4-8 ; d) des oracles liturgiques prononcés par le prêtre ou le voyant attaché au sanctuaire tel celui du psaume 60.

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4) Les pièces reflétant la civilisation royale. M. Causse y range psaume 45, épithalame royal composé « peut-être pour célébrer l'arrivée de quelque princesse étrangère au harem de Salomon >> (p. 145), et divers morceaux inspirés par « la religion de la royauté »: un oracle dynastique (2 Sam. 23, 1-7), une prière pour le roi avant la bataille (Ps. 20), un chant pour le triomphe du roi vainqueur (Ps. 18, 32-50), le décret d'intronisation du roi (Ps. 2 et 110), une prière pour l'heureux avènement du roi (Ps. 72).

Dans un épilogue, l'auteur esquisse le développement ultérieur du lyrisme israélite; il rappelle que, par l'effet des guerres et des déportations qui multiplièrent les sans-maison, de la désorganisation intérieure de la mišpaḥa et surtout de la prédication morale des grands prophètes, l'individu revendiqua de plus en plus vigoureusement sa place dans la société et dans la religion. M. Causse persiste à croire, contrairement à la tendance de M. Mowinckel, que cette piété individuelle donna naissance à de nombreux « psaumes spirituels qui n'étaient pas écrits pour un usage cultuel et n'y furent adaptés qu'après coup. Il cite à l'appui le psaume 73, qui lui donne certainement raison, et le psaume 23 qui est moins probant. Ailleurs il maintient, pour ces psaumes de date récente, l'interprétation courante du mot 'anawim, qui désignerait, non pas les malheureux attribuant leurs misères (spécialement leurs maladies), selon la croyance primitive, aux maléfices de quelque ennemi, connu ou inconnu, mais un certain groupe social et religieux s'intitulant les « humbles », les « pauvres ».

«

Cette sèche analyse pourrait faire croire que l'ouvrage de M. Causse à quelque chose de scolastique et de rébarbatif. Il n'en est rien. L'auteur coupe son exposé par de nombreuses et longues citations

des textes qu'il étudie en s'efforçant dans ses traductions de rendre toute la couleur et le mouvement de l'original (1).

Il accompagne chacune de ces citations d'une brève caractéristique où abondent les remarques d'une grande finesse. Il est attentif à montrer la relation des productions littéraires avec l'état social et la mentalité générale de l'époque. J'ai été particulièrement heureux de constater qu'il fait une large place aux idées magiques pour expliquer les morceaux anciens.

Je n'aurais à formuler, à propos de ce remarquable ouvrage, que quelques réserves d'une portée un peu générale. La répartition des pièces entre les quatre sections que distingue M. Causse n'est exacte que grosso modo. Il était à prévoir, du reste, qu'une division par matière ne pouvait guère être en même temps rigoureusement chronologique. La « poésie populaire primitive » a continué à être productive longtemps après l'installation en Palestine. Le mot d'ordre de Gédéon est naturellement postérieur à cet événement. La béné diction de Melkisédeq doit être beaucoup plus récente encore. A vrai dire, parmi les pièces rangées par M. Causse dans cette section il n'y a guère que le chant de Lèmek (Gen. 4, 24), le chant de triomphe attribué à Miryam (Ex. 15, 21) et peut-être le chant du puits (Nomb. 21, 17) qui puissent, avec quelque assurance, être rappor tés à la période nomade; encore ce dernier petit distique était-il peut-être, non pas un << chant de travail » accompagnant le forage des puits, mais une sorte de prière-incantation rituelle qu'on adressait à une certaine source sainte, une source intermittente apparemment, peut-être celle de Beér, quand on venait lui demander une guérison ou un oracle. Encore aujourd'hui, les femmes désireuses de devenir mères prononcent une prière analogue à l'adresse de la fontaine miraculeuse d'Abou Sélim: « O source chaude d'Abou Sélim, si j'étais un enfant, je sacrifierai» (2). On pourrait supposer aussi que la formule devait amener le puits à se remplir en temps de sécheresse: Chez les Arabes, quand l'eau manquait, on organisait

(1) Certaines de ces interprétations prêteraient à discussion. On ne voit pas comment, à moins de corriger le texte, on peut rendre Michée 6, 8: << Homme, on t'a dit de faire ce qui est bien » au lieu de : « Homme, on t'a fait connaître ce qui est bien; ou : « marcher humblement devant ton Dieu », au lieu de : < avec ton Dieu » (p. 168).

(2) Curtiss, Ursemitische Religion im Volksleben des heutigen Orients, p. 115.

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auprès de la source d'Ilabistan une fête avec musique et danses pour la déterminer à couler de nouveau (1).

En ce qui concerne la poésie cultuelle, M. Causse a, j'en suis convaincu, pleinement raison de considérer, avec M. Mowinckel, comme très anciens les différents genres qu'elle comporte: chants de louange, supplications publiques ou individuelles (je préférerais le terme de supplication » à celui de « lamentation» qui ne désigne pas la partie essentielle de ces pièces et risque d'amener des confusions avec la qînâ funéraire), actions de grâce, oracles liturgiques. Mais l'essai de M. Causse me paraît montrer une fois de plus combien il est difficile de dire quels sont, parmi les psaumes qui nous ont été conservés, les pièces ou les fragments de pièces qu'on peut regarder comme anciens, à plus forte raison d'affirmer que parmi eux il y a des éléments « prévadidiques prévadidiques ». Les critères allégués sont bien subjectifs. Je persiste à douter fortement, par exemple, de l'antiquité d'Ex. 15, 1-18, des psaumes 44, 79 ou 100. Encore M. Causse n'a-t-il cité que quelques morceaux qu'il tient pour particulièrement typiques. Le départ entre parties anciennes et parties récentes apparaitrait encore plus aléatoire si on voulait l'étendre à l'ensemble des textes qui nous ont été conservés. Je ferais exception pour les psaumes << royaux »>: il me paraît établi maintenant qu'ils ont pour cadre naturel la «< civilisation royale » telle qu'elle s'est développée en Israël entre David et l'exil babylonien, plutôt que l'époque postexilique, où les Juifs étaient soumis à des souverains païens, ou l'ère maccabéenne des rois-prêtres hasmonéens. Ces psaumes relèvent de ce que M. Causse appelle fort justement la « religion de la royauté » ; le souverain israélite, à l'imitation des princes cananéens, égyptiens, babyloniens, était revêtu d'un caractère si sacré qu'il était presque divinisé.

Un ouvrage aussi riche que celui que nous analysons appellerait naturellement plus d'une observation de détail. On ne voit pas de preuve documentaire bien solide qu'il ait existé dès l'époque de David des chantres professionnels dans les sanctuaires israélites (p. 84), ou que le cantique dit de Débora, les pièces du sépher hay-yâchâr et du sépher milḥamót Yahvé aient été accompagnés d'un commentaire en prose (p. 58 et 142). Les textes des Chroniques ne peuvent guère

(1) Auton Jirku, Die Dämonen und ihre Abwehr im A. T., 1912, p. 68.

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être allégués pour prouver la pompe des cérémonies du Temple aux temps préexiliques M. Causse ajoute lui-même que « l'auteur a transposé dans le passé lointain ce qu'il voyait du rituel du second temple (p. 133, note 2).

On connaît la formule employée Juges 17, 6; 18, 1 pour désigner l'époque antérieure à Saül: << En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qui lui semblait bon. » M. Causse y trouve l'indice que « dans les nouvelles conditions politiques et économiques au temps de Salomon et des Omrides », l'âme d'Israël gardait la nostalgie des temps anciens, du lointain autrefois (p. 142143). Cette nostalgie a effectivement été répandue dans certains milieux, mais non pas dans celui auquel appartenait le rédacteur de cette formule: il allègue l'absence de rois pour expliquer et excuser la barbarie des scènes et l'illégalité des actes qu'il rapporte ; c'était donc un royaliste authentique, convaincu que, avant l'institution de la monarchie, ne pouvait régner que l'anarchie, la licence et le droit du plus fort (1).

En terminant, exprimons un souhait. C'est que ce volume soit le premier d'une série où l'auteur étudierait dans le même esprit les différents genres cultivés par les Israélites et qui constituerait ainsi une histoire complète de la littérature hébraïque ancienne.

Adolphe LoDs.

< cella »

(1) P. 93, à propos des sanctuaires israélites possédant une pour le dieu, il faut sans doute lire, non pas Gilgal, mais Nob, comme, p. 81, note 7: dans ce dernier passage lire I Samuel (et non II Samuel) XXI, 10. P. 60, ligne 14 « roi Sikhon > < roi de Sikhon ». P. 100, ligne 6, lire < préprophétique », je suppose.

et non

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