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ni d'Asie ni de Palestine, et qui est une puissante création, quelle est la volonté qui se révèle?

La réponse est assez claire. Une telle forme ne peut avoir de raison d'être que de donner en grec un pendant aux anciennes écritures inspirées.

Ce serait une vue superficielle de penser que les livres du Nouveau Testament ont été réunis comme par hasard, opposés ou ajoutés tardivement à ceux de l'Ancien. De leur propre voix ils réclament leur place parmi les livres sacrés. La forme littéraire, plus révélatrice que n'importe quelle déclaration, en est la preuve.

Joël avait annoncé qu'aux derniers jours tout le monde prophétiserait. Les derniers jours étaient venus. Les prophètes devaient surgir.

Si les épîtres pauliniennes ont transporté en grec le rythme et le ton des anciennes prophéties vénérables, c'est que l'auteur a voulu donner au monde entier de nouvelles écritures inspirées et qu'il a senti en soi assez de force, d'audace et d'inspiration pour réaliser un tel dessein.

P.-L. COUCHOUD.

LES RITES SOLSTICIAUX

ET LA LÉGENDE DE SAINT POTHIN

Par l'enthousiasme avec lequel les survivants du sanglant pogrom de 177 y rappellent les épreuves endurées par leurs frères, la lettre des chrétiens de Lyon et de Vienne à leurs coréligion naires d'Asie est peut-être l'un des plus émouvants d'entre les textes hagiographiques (1). Et quelles nobles figures elle nous révèle, qui sont l'honneur de la foi primitive! C'est Pothin, ce smyrniote nonagénaire qui sut grouper dans la lointaine province des Gaules un ardent troupeau de serviteurs du Christ. Pasteur des chrétiens lyonnais et viennois, il en fut le premier martyr. Après avoir subi les brutalités de la foule du forum, il fut jeté mourant dans la prison où il ne tarda pas à expirer. C'est aussi cette pure Blandine qui se hâtait au devant du martyre « comme si elle eut été invitée à un repas de noces » ; la dernière de tous, elle mourut, ayant exhorté jusqu'à la fin ses frères à supporter victorieusement le cycle des supplices de l'amphithéâtre.

Et cette lettre n'est pas seulement émouvante. Document historique de premier ordre, elle est empreinte de la plus évidente sincérité. Elle ne dissimule pas qu'il y eut des défections dans les

(1) Cette lettre est transcrite par Eusèbe (Hist. eccl. V, 1). On en trouvera

une excellente traduction et

un commentaire dans la Revue d'Histoire de

Lyon, 1910, V. p. 321-362. Germain de Montauzan, Du Forum à l'Amphi

théâtre.

rangs des disciples du Christ, mais c'est avec plus de tristesse et d'amertume que de véritable colère qu'elle blâme ceux en qui la peur des tortures physiques fut plus forte que la foi. Quant aux élus, qui ne craignirent pas de confesser leur titre de chrétiens, il est un point sur lequel les rédacteurs insistent particuliè rement parce qu'il avait à leurs yeux une importance toute spéciale. Plus cruel encore que la mort ignominieuse du cirque, le sort réservé aux corps des martyrs plongeait leurs frères dans la désolation. Six jours durant ces dépouilles furent exposées aux outrages publics avec mille précautions pour qu'on ne puisse les dérober et leur donner une sépulture; ni l'argent, ni la prière, ni la ruse ne vinrent à bout de la surveillance; les corps furent brûlés et leurs cendres balayées dans le Rhône qui coulait près de là.

Le désespoir où ce traitement plongea l'église de Lyon nous livre un des aspects caractéristiques de la psychologie primitive. Religion populaire à ses origines, le christianisme ne sut pas se dégager complètement de l'eschatologie païenne et de ses croyances quasi matérialistes de la survie. Si l'élite mettait toute sa foi dans la résurrection des morts, si les rédacteurs de la lettre de 177 affirmaient que l'acharnement des païens ne saurait prévaloir contre la volonté de Dieu en privant ses élus de la renaissance, le peuple christianisé ne pouvait changer son âme primitive. Il persistait dans sa conviction en la solidarité entre morts et vifs et en l'efficacité du culte funéraire rendu aux uns par les autres. Il restait persuadé que les défunts ne jouissent de la vie posthume que dans la mesure où les vivants viennent prier sur leurs tombes et évoquer leur souvenir. Il affirmait qu'en échange de cette nourriture spirituelle, les morts se font, des vivants, les intermédiaires officieux auprès de Dieu.

Mais, croyait-il aussi, tous les morts ne possèdent pas la même valeur. Parmi la multitude des défunts anonymes fêtés une fois l'an au jour de la Toussaint, ceux que Dieu a choisis pour être ses témoins (martyrs) tiennent évidemment la première place. Leurs reliques constituent pour les chrétiens une richesse spirituelle incomparable qui les protège lorsque, vifs, ils viennent se

recommander auprès des puissances célestes et lorsque, morts, leurs corps sont inhumés dans la proximité des ossements sacrés (1).

De ce point de vue l'on conçoit mieux la désolation et le dépit des lyonnais car tous les efforts étaient vains, qu'ils faisaient pour recueillir les reliques de leurs frères et ils sentaient que le bénéfice de ce martyre allait être anihilé par l'obstination des païens à anéantir les précieuses dépouilles. Leur piété ne se pouvait satisfaire du souvenir tout spirituel qu'était la lettre de 177. Ils eussent cent fois préféré à ce texte véridique un sanctuaire où les âmes des martyrs leur eussent été matériellement accessibles par la prière et où ils pussent rendre hommage à leurs mérites en même temps que recevoir par échange, grâces et béné dictions (2).

La dévotion populaire ne se résigna pas à cette déception et, lorsque quelques siècles plus tard, le culte public fut organisé

que, sur l'impulsion du pape Damase, l'on reconstitua le martyrologe de l'église, elle n'eut garde d'oublier les victimes lyonnaises de 177. Elle s'empressa de leur retrouver une localisation digne de leurs vertus et de la puissance bienfaitrice qu'entraînait leur cohabitation avec Dieu.

On s'embarrassa peu alors de l'affirmation formelle qu'il avait été impossible de recueillir les reliques des martyrs en un quelconque sanctuaire (3).

A la fin du vre siècle, Grégoire de Tours se fait l'écho d'une tradition qui néglige cette difficulté et situe d'une façon catégorique le culte des victimes du second siècle (4). Peu après leur supplice, nous enseigne-t-elle, et la disparition de leurs cendres dans le cours tumultueux du Rhône, les martyrs apparurent intacts et sans blessures, dans le lieu même où ils avaient été

(1) Jacobsen, les Mânes, 3 vol. (Paris, Champion, 1925).

(2) Ils déliaient tous les hommes et ne les liaient point » dit Eusèbe parlant des martyrs de Lyon, V, 2-5.

(3) Affirmation pourtant reprise par St-Augustin (De Cura pro Mortuis, 63) et par St-Eucher (In Homilia Sanctae Blandinae).

(4) De Gloria Martyrum, I, 49.

brûlés, aux chrétiens survivants, plongés dans la tristesse à la pensée que les saintes poussières étaient perdues. « Recueillez, dirent-ils, les reliques que vous trouverez en ce lieu, car aucun de nous n'a été anéanti ». Les chrétiens rassemblèrent donc les cendres qui étaient là; ils élevèrent en leur honneur une basilique de grandeur magnifique et déposèrent sous le saint autel ces précieux gages.

Des cendres apparurent, en quoi l'on dut reconnaître les reliques des martyrs. Il est aisé de voir que ce récit merveilleux dissimule les carences de l'histoire et vise, malgré elle, à localiser le culte de saints dont la sépulture fait défaut (1). Mais son effet est double, car il a également la prétention d'affirmer les titres d'une basilique contemporaine à la possession des bienfaisantes cendres. Enfin, il nous enseigne que cette église fut élevée dans le lieu même où elles furent recueillies.

Cette basilique, la tradition est fort précise à son sujet et n'hésite pas à nous la montrer. Pendant toute la durée du haut moyen âge, les cendres furent vénérées dans l'église basilicale qui était alors sous le vocable de Saint Pierre et des Douze Apôtres, puis de Saint Pothin et des 48 martyrs (aujourd'hui Saint Nizier). Longtemps l'on y montra le sac contenant les cendres et, sous l'autel de la crypte, la pierre où le premier évêque de Lyon avait reposé la tête dans sa prison. Dix-huit siècles après Marc-Aurèle, cette crypte était encore le centre de la dévotion de Lyon à ses martyrs.

Si vigoureuse qu'elle ait pu l'être, cette tradition ne laissait pas que de bousculer l'évidence. Les cendres, dit la glose de Grégoire de Tours, furent recueillies à l'endroit même où les corps avaient été brûlés. La lettre des chrétiens de Lyon et de Vienne nous enseigne que l'incinération eut lieu sur la rive du Rhône. Or l'église de Saint-Nizier est fort éloignée de ce fleuve. A une époque qu'il est impossible de déterminer, cette contra

(1) Jacobsen, loc. cit., III, p. 192-3.

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