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M. Bertram a raison d'insister sur l'importance de l'histoire intérieure du christianisme mais il nous paraît sacrifier trop complètement et trop facilement l'histoire objective. Pour nous soustraire au désintéressement historique que M. Bertram voudrait nous imposer, il nous suffira de rester sur le terrain de l'histoire et d'abandonner aux philosophes la philosophie de l'histoire et celle de la religion. En restant sur le terrain de l'histoire nous ne serons nullement contraints de laisser de côté le problème de l'essence du christianisme car comment l'historien pourrait-il négliger des questions comme celle-ci : Qu'est-ce qui fait la substance propre de l'Evangile et assure l'unité de fait du christianisme malgré les formes très diverses qu'il a revêtues? Qu'estce qui explique le mouvement spirituel qui a donné naissance à la religion chrétienne? Ces questions là, il est possible de les examiner et de chercher à les résoudre sans aborder la question philosophique et théologique de la valeur religieuse du christianisme dans le passé ou dans le présent.

C'est parce que la formgeschichtliche Schule a confondu à notre avis, au plus grand détriment de l'un comme de l'autre un problème historique et un problème religieux qu'elle a eu le sentiment d'une antithèse et d'un dilemme entre l'histoire et la foi religieuse et qu'elle s'est prononcée pour la foi et a sacrifié l'histoire.

Il serait d'ailleurs injuste de rendre la nouvelle école seule responsable de cette confusion. L'école libérale du XIXe siècle l'avait déjà commise en pensant que dégager l'histoire de Jésus et du christianisme des légendes et des mythes qui l'ont surchargée ce serait dégager en même temps que l'histoire, l'essence du christianisme, voire l'essence de la religion. Les fameuses conférences données par Harnack à l'université de Berlin en 18991900 (1) sont, à cet égard, caractéristiques. On sait comment la critique faite par M. Loisy des vues de Harnack dans l'Evangile et l'Eglise (2), d'une part, et d'autre part, la reconnaissance de plus

(1) Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1900. (2) Loisy, L'Evangile et l'Eglise, Paris, 1902.

en plus précise du caractère eschatologique de la pensée de Jésus ont montré le caractère chimérique de l'entreprise de Harnack et établi qu'il était vain de chercher à dégager uniquement par la critique et l'histoire des origines chrétiennes, les éléments constitutifs permanents de la religion de l'Evangile.

La formgeschichtliche Schule commet, nous l'avons dit, entre les deux problèmes de la philosophie et de l'histoire du christianisme la même confusion qu'avait commise l'école libérale. Seulement, tandis que celle-ci prétendait trouver l'essence du christianisme dans ce qui constitue les éléments solides de l'histoire ancienne de la religion chrétienne, les critiques de la nouvelle école appliquent à la détermination de cette essence une méthode d'analyse psychologique et religieuse manifestement mieux adaptée au problème qu'il s'agit de résoudre que la critique historique et se désintéressent de l'histoire du christianisme primitif et de ses origines.

Nous ne pouvons ni développer ni même indiquer ici en quelques mots les raisons pour lesquelles la résignation à l'agnosticisme historique de la nouvelle école nous paraît excessive. Même si l'on admettait ce qui nous paraîtrait d'ailleurs un jugement bien sommaire que telle qu'elle se présente à nous, la tradition chrétienne a les caractères d'une légende cultuelle, il resterait à analyser les matériaux à l'aide desquels elle s'est constituée pour en dégager des éléments qui permettraient, non pas sans doute de faire une histoire complète de Jésus et des origines chrétiennes, mais au moins d'en dessiner les grandes lignes dans des conditions au moins comparables à ce qu'il est, en règle générale, possibleble d'atteindre en matière d'histoire ancienne.

Mais si nous ne pouvons accepter les conclusions négatives de la formgeschichtliche Schule en matière d'histoire et si nous pensons que son hypercritique a des causes plus théologiques qu'historiques, nous devons, d'autre part, reconnaître que cette école a introduit dans l'étude du christianisme primitif des vues fécondes. En parlant ainsi nous pensons, par exemple, à ce qu'il y a de très utile dans l'étude des formes, à condition, bien entendu, que cette étude ne soit ni exclusive ni dominée par des vues précon

çues, ou bien dans la recherche des lois de l'évolution de la tradition ou plutôt, car le terme de loi nous parait trop absolu, des principes généraux qui paraissent dominer le développement de la tradition évangélique. Nous pensons surtout à cette grande vérité que l'histoire d'une religion, de sa naissance, de son développement et même de ses déviations, ne peut être comprise que par la psychologie de la religion en général et de la religion considérée en particulier.

Une religion ne se comprend pas du dehors, objectivement, comme une formule mathématique. Pour saisir quelque chose de sa vie intime et par suite pour comprendre ses manifestations, il faut en aborder l'étude dans un esprit de sympathie et de compréhension. C'est ce qu'exprimait un savant, pourtant hostile à toute théologie, Paul de Lagarde, quand il écrivait « l'homme étranger à la religion ne peut juger les choses religieuses (1). Pour comprendre vraiment le bouddhisme, il faut se faire une âme bouddhique, pour comprendre l'Islam il faut se faire une âme musulmane. Est-il excessif de demander que pour comprendre le christianisme on ait, ou on se fasse, une âme chrétienne ? Que l'on ne se méprenne pas sur la portée de cette affirmation. Rien n'est plus éloigné de notre pensée que l'idée qu'une étude vraiment féconde du christianisme n'est possible que du point de vue d'une orthodoxie quelconque, si large et si moderne qu'on la suppose. Orthodoxie et science sont deux termes contradictoires. La sympathie pour le christianisme que nous réclamons n'exclut ni la liberté d'esprit et de jugement la plus entière, ni l'ardeur dans la recherche de la vérité. Comme l'a dit Hermann Usener, là où savoir est possible, il est immoral de se contenter de croyances et d'opinions (2). Nous ne rêvons pas d'un compromis bâtard entre une foi qui tout en restant positive chercherait à se dégager des formules toutes faites et une science objective.

(1) Ueber Religion darf nicht der Religionslose urtheilen, sondern nur der Religiöse. P. de Lagarde, Altes und Neues zum Weihnachtsfest. Mittheilungen, VI, Goettingen, 1891, p. 521.

(2) Wo es möglich ist zu wissen, da wird es unsittlich sich auf glauben und meinen sich beschränken. (Usener, Weihnachtsfest2, p. 194).

Il s'agit de tout autre chose. Die erste Pflicht der Religion ist Wahrhaftigkeit, répétait volontiers l'un des plus éminents représentants de l'école ritschlienne Wilhelm Herrmann. Il faut dire plus. La condition sine qua non de toute philosophie, qu'elle soit religieuse ou non, est le respect absolu de la vérité quelle qu'elle soit et par conséquent la recherche absolue, systématique du vrai dans tous les domaines, dans celui de l'histoire du christianisme primitif dans lequel nous sommes appelés à travailler comme dans tous les autres. Voilà pourquoi nous voulons apporter ici à la fois le respect, la sympathie, l'amour des choses religieuses et un amour passionné de la vérité qui se traduira par la pratique d'une méthode de recherches sévère, rigoureuse, qu'aucune considération, quelle qu'elle soit, n'atténuera et qui ne reculera devant aucune conclusion pourvu qu'elle apparaisse solidement établie.

Maurice GOGUEL.

LES ORIGINES DE L'ISLAM

D'APRÈS M. TOR ANDRAE (4)

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Quand on tente de rechercher les origines de l'Islam, il importe de distinguer deux étapes très nettement distinctes du développement théologique musulman: l'Islam coranique, et d'autre part l'Islam classique dont les doctrines et les rites sont définitivement fixés au huitième et neuvième siècle de notre ère. Celui-ci est le remaniement des doctrines coraniques par et pour des esprits pénétrés de christianisme et d'hellénisme et l'étude déjà commencée de cette pénétration d'idées étrangères est l'une de celles qui doivent attirer particulièrement l'attention de l'érudition moderne. Mais les doctrines coraniques elles-mêmes pour tous ceux qui ne sont point des adeptes de l'Islam, sont le résultat d'influences antérieures sur l'àme vibrante et lucide du Prophète, Mohammed. Il faudrait, dans les sources de ces doctrines, distinguer ce qui est païen arabe anté-islamique, juif, chrétien, et enfin ce que les circonstances et l'inspiration ont imposé à Mohammed. Cette dernière catégorie de faits semble particulièrement délicate à reconnaître et à isoler. Les sources païennes ont été étudiées, particulièrement par Snouck-Hurgronje et par Wellhausen le pélerinage (hajj et omra), les jinns, le régime de la famille et des biens, etc. Les éléments juifs et chrétiens ont,

(1) Cette note est le résumé d'une communication faite à la Société Ernest Renan, le 21 décembre 1937.

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