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Il y avait, tout d'abord, le vieux culte ionien d'Artémis Triklaria la première syllabe de ce nom répondant au fait relaté par Pausanias que le sanctuaire était commun à trois tribus ioniennes habitant Aroé, Anthea et Messatis. A ce culte était subordonné, en quelque manière, celui de Dionysos, puisque les enfants qui célébraient ce dernier commençaient par rendre hommage à la vieille Artémis. Donc, Dionysos était arrivée plus tard que celle-ci.

Il y avait une vieille idole vénérable de Dionysos Aisymnète, contenue dans un coffre qu'une fois par an le prêtre portait la nuit hors du temple du dieu. Un coffre, c'est un attirail de voyageur; donc, le dieu dans le coffre était venu du dehors, et il avait une noble origine. Au culte de Dionysos était associé celui d'un héros local, dont Pausanias signale la sépulture, Euripyle. Ne serait-ce pas lui qui aurait apporté le coffre avec Dionysos? Mais, d'ordinaire, les images sacrées ne voyagent pas; pour expliquer leur déplacement, il faut une guerre, une destruction de ville, un pillage de temple; Euripyle est donc venu de Troie et l'idole est d'origine troyenne. D'ailleurs, nous voyons par Pausanias qu'on était peu d'accord sur cet Euripyle, car certains disaient qu'il s'agissait d'Euripyle, fils du roi d'Olen, compagnon d'Hercule à Troie et qui aurait reçu de lui le coffre à titre de présent

Le trait principal du rituel d'Artémis, c'est que, lors de la fête de Dionysos, des enfants descendent à la rivière la tête couronnée d'épis et déposent ces épis dans le sanctuaire de la déesse avant de se couronner de lierre pour se rendre au temple du dieu. Pourquoi ces épis, offrande qui ne convient guère à Artémis chasseresse, protectrice et dompteuse des animaux de la forêt ? C'est que la déesse était aussi maîtresse des saisons, qu'elle avait parfois, étant irritée de quelque offense, condamné ses fidèles à la famine. Pausanias ajoute, et cela n'est pas sans intérêt, que les enfants qu'on sacrifiait jadis à Artémis étaient couronnés d'épis. Naturellement, il n'en peut

rien savoir, aucun de ses informateurs n'en pouvait rien savoir; mais c'est une façon de dire que l'usage est très ancien et particulier. De ce détail insolite du rituel on concluait qu'Artémis avait dispensé ou refusé la fécondité à la terre, et que, de tout temps, il s'était agi de la disposer favorablement par une oblation d'épis, peut-être les prémices de la récolte. Nous avons là une trace d'une conception plus ancienne de la déesse, non encore spécialisée, si l'on peut dire, quelque chose comme une Artémis qui serait en même temps une Déméter. C'est un point sur lequel nous reviendrons.

Pourquoi, demandait-on, lorsque ce rite prit naissance, fallait-il apaiser la déesse? C'est qu'elle avait été gravement offensée et s'était vengée. A l'époque classique, Artémis est une déesse vierge, qui se fait souvent servir par des vierges et qui attache du prix à la chasteté. Quel pire manquement à la chasteté que celui d'une prêtresse de la déesse, commis, par surcroît, dans son temple même ? La légende n'était pas difficile à imaginer; elle se retrouve dans une ballade de Victor Hugo et ailleurs.

Ce qui se comprend moins, c'est celle du renouvellement annuel du sacrifice des jeunes gens, qui n'étaient plus des amants sacrilèges, mais le plus beau jeune homme et la plus belle jeune fille du pays. Pausanias a recueilli cet élément de la légende, mais il s'insurge contre ce qu'il y a là de cruel et d'immoral. « Il faut plaindre, dit-il, les jeunes garçons et les jeunes filles qui périrent ainsi à cause de Ménalippe et de Komaitho sans avoir rien fait contre la déesse; il faut plaindre aussi leurs parents. » On devine ici l'influence de la légende de l'Artémis scythique, répandue par des marins apeurés ou craignant la concurrence, dont la crédulité publique paraît s'être nourrie jusqu'à la fin du paganisme. L'hypothèse de l'existence d'un pareil rite en Achaïe, même avant la guerre de Troie, et cela aux dépens non pas d'étrangers, mais d'indigènes paraît très invraisemblable; à ceux qui objccteraient

le témoignage de Pausanias on pourrait répondre qu'il ne devait rien savoir, ni par la tradition orale, ni par la littérature, de faits remontant à une si haute antiquité.

Pourtant, il n'a pas inventé les noms des premières victimes; il les a trouvés dans les sources littéraires et sur le terrain. Comment s'étaient-ils conservés à travers les âges ? Une seule réponse est possible on montrait leurs tombeaux, et ils étaient l'objet de quelque culte. Pausanias, qui parle incidemment de la tombe d'Euripyle et ajoute qu'il était associé au culte local de Dionysos, ne dit rien de la tombe de Mélanippe et de Komaitho et ne dit point que ce couple d'amants fût l'objet d'un culte associé à celui d'Artémis Triklaria; mais il faut le croire, à moins de ne rien croire du tout.

Cette tombe vénérée de Mélanippe et de Komaithô en rappelle beaucoup d'autres, car le monde grec était plein de sépultures très anciennes auxquelles adhéraient des noms souvent obscurs. Pour reprendre, non sans une arrière-pensée dont on discernera aisément le motif, des exemples que j'ai déjà cités dans un mémoire antérieur (6), il y a un tumulus de la vierge Hippô à Erythrée, un tumulus de la « bondissante Myrine» près de Troie, nombre de prétendues tombes d'Amazones en Thessalie, en Béotie, en Eubée, en Attique, à Mégare, le tombeau des Skédasides ou Leuctrides près de Thespies. Toutes ces sépultures étaient l'objet de légendes locales, plus ou moins romanesques, dont quelques-unes nous sont parvenues. L'histoire des morts vénérés s'oublie, surtout lorsqu'il y a, dans le pays, des mouvements, des substitutions de peuples ; mais les noms, inséparables du plus modeste rituel, ont chance de survivre et ne peuvent être fabriqués au hasard par les montreurs de curiosités.

J'ai essayé de prouver naguère que la vierge Hippo n'était pas une jeune fille, mais une cavale sacrée ; que la « bondissante Myrine » et d'autres Amazones célèbres dont on dési

(6) Voir Cultes, Mythes, etc., t. V, p. 32 et suiv. (1915).

gnait les tombes n'étaient pas des Amazones, mais des cavales sacrées; qu'il en était de même des Skédasides ou Leuctrides près de Thespies, dont la légende, assez bien connue, est associée à cette déesse cavale « aux beaux crins rouges et luisants », qui s'offrit d'elle-même au sacrifice lorsque Skédase, père des Skédasides, apparaissant en songe à Pélopidas, eût ordonné au général thébain, s'il voulait remporter la victoire, d'immoler une vierge rouge sur la tombe de ses filles, mortes autrefois volontairement parce qu'elles avaient été violées par des Spartiates. Je ne veux pas recommencer ici l'analyse détaillée que j'ai fait de cette légende en 1915; mais il me semble en ressortir avec évidence que la cavale alezane, qualifiée de vierge rousse, et qui s'est échappée si fort à propos d'un haras voisin, explique que les Skédasides ou Leuctrides, dont on vénérait la tombe, n'étaient pas des victimes humaines de la brutalité des Spartiates, mais des victimes animales d'un vieux culte zoomorphique oublié. L'une des Skédasides s'appllait Hippô, nom transparent, et ce nom avait survécu à la révolution, d'ailleurs lente et progressive, qui substitua aux cultes zoomorphiques ceux du panthéon olympien.

Je prétends prouver maintenant que Mélanippe et Komaithô appartiennent à la même catégorie, je dirais presque à la même écurie mythique que la bondissante Myrine, les deux Hippò d'Erythrée et de Leuctres et tant d'Amazones dont on montrait les tombeaux dans le monde grec.

Les noms, l'un et l'autre transparents, sont favorables à mon hypothèse. Melanippos, c'est le poulain noir, le moreau ; Komaithô, c'est la pouliche à la crinière couleur de feu, l'alezane nous disons encore, en parlant d'une certaine robe, alezane brûlée. Rappelons-nous, dans la légende béotienne des Skédasides, la cavale « aux beaux crins rouges » qui est sacrifiée par Pélopidas. Rappelons-nous aussi que beaucoup de coursiers mythiques s'appellent Aithôn; c'est le nom de chevaux d'Hélios, d'Arès, de Pluton, d'Eos, de Pallas fils d'Evan

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dre, dont le cheval pleure la mort dans Virgile. La robe alezane de ces animaux, fort appréciée des anciens, explique très naturellement leur nom.

Assurément, la mythologie grecque connaît d'autres Melanippos, d'autres Komaithô que ceux d'Achaïe, et il serait téméraire de vouloir interpréter leurs légendes en prétendant y trouver toujours la trace de leur nature chevaline. Pourtant une autre des Komaithô connues, celle du poète Triphiodore, prêterait assez à une exégèse de ce genre. Cette Komaithô, fille de Tydée, fut fiancée à Égialée, qui mourut jeune, et lui donna pour fils Cyanippe. Or, Égialée avait un frère, nommé aussi Cyanippe, dont le père, Adraste d'Argos, possédait le célèbre étalon Arion, fils de Poseidon et de Déméter Erinys, divinités chevalines; Arion était dit xuavoyais, à la chevelure bleu sombre, comme son père Poseidon. Il faut convenir que Poseidon et Déméter Erinys, Arion et les deux Cyanippe mettent aussi comme une atmosphère chevaline autour de la Komaitho de Triphiodore. Mais les noms seuls, quand les légendes manquent ou sont trop incomplètes, ne peuvent être des guides sûrs en exégèse; revenons donc au Mélanippe et à la Komaitho qui furent sacrifiés à l'Artémis Triklaria et dont on devait montrer la sépulture près du Meilikhos.

C'est une règle générale que, dans les cultes zôomorphiques, la nature de la victime indique celle de la divinité qui reçoit l'hommage, parce qu'en réalité il s'agit toujours d'un sacrifice de communion, antérieur à la conception des divinités transcendantes, où la victime divinisée pour le sacrifice n'est autre que la divinité elle-même. Les textes et les monuments prouvent que l'Artémis classique hérita d'un grand nombre de cultes d'animaux, l'ours, la biche, la chèvre, la louve, la laie, la taure, etc. Tout ce qu'on pouvait dire à ce sujet l'a été en 1896 par Farnell; mais cet érudit, tout en marquant qu'Artémis avait été associée aussi à la cavale, ne connaissait pas encore l'Artémis pôlô ou pouliche, révélée par des inscrip

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