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conditions qui lui permettront de durer. La notion d'Eglise tend, sinon à se substituer à celle du Royaume, du moins à se juxtaposer à elle et il se peut, comme le pense M. Delafosse, que ce soit du groupe actuel des disciples de Jésus et non d'un Royaume futur qu'il soit question dans des textes comme Mt., 12, 28; 21, 31 et 43. Mais l'apparition d'une conception nouvelle, disons, si on veut, d'une conception ecclésiastique du Royaume n'a pas pour corollaire la disparition ou l'effacement systématique de l'ancienne conception eschatologique.

Les preuves que M. Delafosse croit trouver d'un travail d'épuration chez Matthieu sont bien loin d'être toutes convaincantes (8). Luc fait dire, par exemple, à Jésus : « C'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons » (11, 20) alors que le premier évangéliste a «< par l'esprit de Dieu » (12, 28). Nous ne pouvons voir ici le remplacement d'un anthropomorphisme enfantin de Luc par une expression spiritualiste. Si, en effet, on considère l'ensemble du morceau, on constate que le terme employé par Matthieu doit être primitif et qu'il doit y avoir chez Luc la recherche d'une expression pittoresque. Les Pharisiens accusent Jésus de chasser les démons par Beelzébul, c'est-à-dire, d'être possédé par un esprit mauvais. Jésus répond en montrant que l'explication des Pharisiens est absurde parce qu'elle n'irait à rien de moins qu'à supposer que Satan travaille à ruiner lui-même son empire. A l'hypothèse qu'il élimine, Jésus oppose une autre explication. C'est par l'esprit de Dieu qu'il chasse les démons. Le terme d'esprit est primitif parce que c'est l'antithèse naturelle à l'idée de possession par un esprit impur qui est le point de départ de tout le raisonnement.

Dans certains des cas invoqués par M. Delafosse, tout en reconnaissant que Luc a certainement un texte plus primitif que celui de Matthieu, on ne peut conclure à une correction

(8) Reconnaissons d'ailleurs qu'il y a des cas où Luc a un texte certainement plus primitif que celui de Matthieu. Parmi les textes cités par M. Delafosse, Lc., 11, 44 (cf. Mt., 23, 27) et 14,26 (cf. Mt., 10, 17).

du troisième évangile dans le premier parce que les textes considérés se trouvent aussi chez Marc que Matthieu a connu et directement utilisé.

Matthieu n'a certainement pas le texte primitif quand il fait répondre par Jésus au jeune homme riche « Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon?» (19, 17) alors que Marc (10, 18) et Luc (18, 19) ont : « Pourquoi m'appelles-tu bon ? » Mais il y a tout lieu d'admettre que c'est du texte de Marc que Matthieu s'est inspiré plutôt que de celui de Luc puisque dans l'ensemble de cette péricope on relève dix-neuf accords de détail entre Matthieu et Marc contre Luc et seulement quatre accords de Matthieu et de Luc contre Marc.

De même, Marc (9, 32) et Luc (9, 44) ont certainement le texte primitif quand, après la seconde prophétie des souffrances, de la mort et de la résurrection du Fils de l'Homme, ils observent que les disciples ne comprennent pas alors que Matthieu (17, 23) dit seulement qu'ils sont affligés. Ici encore, c'est sans doute sur le texte de Marc que Matthieu a travaillé puisqu'il y a quatre accords de Matthieu et de Marc contre Luc et seulement deux accords de Matthieu et de Luc contre Marc. Et surtout la correction que Matthieu a fait subir à sa source n'a pas toute la portée que lui attribue M. Delafosse. Le premier, évangile a si peu voulu éliminer systématiquement l'idée de l'inintelligence des apôtres que, tout comme les autres évangélistes, il les montre surpris et déroutés par la passion et par la résurrection. La retouche faite dans notre passage n'a rien de systématique, elle a été suggérée par la répugnance que l'on a éprouvée de bonne heure à présenter les apôtres sous un jour quelque peu défavorable (9).

Parmi les textes cités par M. Delafosse à l'appui de l'idée d'une correction du texte de Luc par Matthieu, il en est un que

(9) Il y a un fait tout semblable dans Mt., 20, 20, où est attribuée à la mère des fils de Zébédée une démarche que Marc (10, 35) attribue à Jacques et à Jean eux-mêmes. Le caractère tout superficiel de la retouche de Matthieu résulte de ce que, chez lui comme chez Marc, ce n'est pas à la mère mais aux fils que s'adresse la réponse de Jésus.

nous ne croyons pas devoir discuter. Il faut au moins dire pourquoi. C'est la parabole des talents ou des mines (Mt., 25, 14-30. Lc., 19, 12-27). Ici, en effet, si les deux textes sont certainement apparentés, leur rapport ne peut être qu'indirect, comme le montre déjà le fait qu'ils sont, au point de vue de la forme, plus différents l'un de l'autre que ne le sont généralement les textes parallèles (10) et que d'un côté il est question de talents et de l'autre de mines. La parabole de Luc n'est pas homogène. C'est la combinaison de deux paraboles très différentes. L'une très semblable à la parabole des talents de Matthieu est l'histoire d'un homme qui, partant en voyage, confie l'administration de ses biens à ses serviteurs. L'autre est celle d'un prince qui part pour prendre possession d'un royaume mais est repoussé par ceux qu'il doit administrer et finalement se venge d'eux. La partie centrale de cette seconde parabole manque. Peut-être le prince revenait-il chercher des renforts dans son premier domaine et les récompenses qu'il accorde étaient-elles motivées par les services que lui rendaient ses officiers dans l'expédition organisée contre les rebelles. Aucune comparaison ne peut être instituée entre le texte simple de Matthieu et le texte complexe de Luc, mais le seul fait que Matthieu a connu sous sa forme simple une parabole que Luc n'a eue que combinée à une autre est éminemment défavorable à la thèse de M. Delafosse.

Après avoir passé en revue les cas où M. Delafosse croit avoir reconnu des remaniements opérés par Matthieu sur le texte de Luc, il nous faut examiner les exemples qu'il donne d'additions faites par le premier évangéliste. Nous lui accorderons sans peine que la finale de la parabole des invités (Mt., 22, 11-14) ou, dans l'épisode du centenier de Capernaum, le logion sur ceux qui viennent d'Orient et d'Occident pour être à table dans

(10) Le nombre des phrases ou des mots communs est assez restreint.

le Royaume (Mt., 8, 11) ont été ajoutés par Matthieu plutôt que supprimés par Luc. Mais des faits de cet ordre sont sans portée pour la question qui nous occupe. Ils n'impliquent aucune transformation de la pensée du texte mais résultent de la tendance de Matthieu à amalgamer en masses plus ou moins importantes les éléments isolés des Logia.

La parole sur les gens venus d'Orient et d'Occident se trouve chez Luc dans un autre contexte que chez Matthieu (Lc., 13, 28-29). On ne pourrait en conclure qu'il y a eu dissociation du texte de Luc par Matthieu que si l'on avait d'abord établi que le texte de Luc est homogène, donc qu'il peut être primitif et que si l'on avait ensuite expliqué quelle raison Matthieu pourrait avoir eue pour le décomposer.

Examinons donc la suite des idées dans le morceau de Luc, (13, 23-30). Quelqu'un demande à Jésus si les élus seront en petit nombre. Il répond (11): « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite », puis, pour appuyer cette exhortation, raconte la parabole du maître de maison qui, à un certain moment, ferme sa porte. Mais la parabole est sculement indiquée en quelques mots et là où l'on attendrait son développement on trouve un enseignement direct. Ceux qui seront dehors (hors du Royaume et non hors de la maison dont il était question dans les premiers mots du verset 25) frapperont à la porte et rappelleront qu'ils ont mangé et bu devant le Seigneur et que lui-même a enseigné dans leurs places publiques. Mais le Seigneur leur déclarera : « Je ne sais d'où vous êtes, éloignez-vous de moi, vous qui pratiquez l'iniquité ». « C'est alors, continue Jésus, qu'il y aura pleurs et grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes dans le Royaume et que vous serez jetés dehors. Beaucoup viendront d'Orient et d'Occident et seront à table dans le Royaume de Dieu ».

(11) Il faut noter ici une certaine incohérence de forme au moins. Il n'a été parlé que d'un interlocuteur de Jésus et sa réponse s'adresse à plusieurs

Nous avons déjà signalé l'incohérence qui résulte de l'introduction d'un fragment de parabole dans un enseignement direct. Ce n'est pas la seule que contienne notre morceau. La liaison entre le verset 24 et le verset 25 n'est aucunement satisfaisante. Le contact est artificiel entre l'idée de passer par une porte étroite et celui d'entrer par une porte avant qu'elle ne soit fermée. Enfin ce qui a trait aux païens à la fin du morceau n'est préparé par rien. Nous devons donc considérer le fragment Luc, 13, 23-30 comme une compilation et le fait que certains des éléments qui la constituent se trouvent ailleurs que chez Matthieu ne prouve nullement qu'il soit secondaire par rapport à Luc (12).

D'autres surcharges de Matthieu n'ont pas la portée que leur prête M. Delafosse. Dans la confession de Pierre, par exemple, Matthieu (16, 16) a « le Christ, le Fils du Dieu vivant » là où Luc (9, 20) a « le Christ de Dieu » et Marc (8, 29) simplement «<le Christ ». Les textes de Matthieu et de Luc peuvent parfaitement se comprendre comme des développements indépendants de celui de Marc sans qu'il soit nécessaire de supposer de relation directe entre eux (13).

On admet souvent que Luc (11, 1-4) a conservé de l'Oraison dominicale une version plus primitive tandis que Matthieu (6,9-15) y a ajouté certains développements liturgiques (14). M. Delafosse va plus loin et pense que les additions que présente le texte de Matthieu au début de la prière sont non une amplification mais une déformation du texte. « Notre Père, dit Matthieu, qui es dans les cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton Royaume vienne, que ta volonté soit faite sur la terre

(12) On pourrait ajouter encore que tandis que Luc (13, 24) parle uniquement de porte étroite, Matthieu (7, 13-14) parle de porte large et de chemin facile d'une part, de porte étroite et de chemin raboteux de l'autre et que cette antithèse est bien conforme à ce qu'on peut fréquemment observer concernant la forme de l'enseignement de Jésus.

(13) Le texte de Matthieu est d'ailleurs plus proche de celui de Marc que de colui de Luc. Marc et Matthieu donnent la réponse de Pierre sous cette forme: « Tu es le Christ », tandis que Luc porte : « il répondit le Christ ». (14: C'est ce que nous avons admis cf. Intr. I., p. 231 s.

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