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le principe femelle, le dieu et la déesse dans l'acte de fécondation. Le culte le plus typique, le plus ancien aussi, est celui qui associe Ty le dieu du ciel à la déesse de la terre, la Nerthus de Tacite. C'est l'état qu'atteste encore un groupe norvégien. Mais ces divinités ont pu être remplacées au gré des modes religieuses ou nationales et la toponymie permet de suivre le renouvellement du personnel divin. Du côté des dieux, Ty peut apparaître sous le nom d'Ull ou il peut être remplacé par Thor qui, au témoignage d'Adam de Brême, de la tradition lapone et du folklore, représente dans le Nord l'élément fécondant du ciel. Ull et Thor s'associent normalement à des déesses comme Freyja ou Hærn. Mais la divinité de la terre, Nerthus, ayant changé de sexe à la suite d'un accident purement grammatical, il n'est pas rare que le principe de la végétation soit représenté par un dieu, Frey par exemple ou Fillin. Ainsi s'explique l'existence de « couples masculins », à côté des couples anciens qui unissaient le dieu du ciel et la déesse de la terre.

Si l'on essaie de caractériser le mouvement d'études qu'on vient d'exposer, il apparaît sur bien des points que la période actuelle a hérité de la période précédente les grands problèmes. dont elle cherche la solution. Sa plus grande originalité est d'en avoir renouvelé la position et les données.

On a indiqué au début du présent article que le xix siècle s'était affranchi du joug de la tradition eddique, qu'il s'était employé à retrouver en marge de la littérature norroise une religion populaire qui n'affleure pas dans les textes. Le xx siècle a recueilli les bienfaits de cette émancipation. Les conceptions jadis révolutionnaires sont devenues l'opinion reçue; on ne cherche plus dans l'Edda et chez les Scaldes que la religion d'une élite dans les derniers siècles du paganisme. La critique. a redoublé de prudence. Elle n'aborde aujourd'hui l'Edda de Snorri qu'avec une extrême méfiance. Signe des temps; arrivé

au terme de sa carrière, l'un des maîtres de la génération précédente, M. Eugen Mogk dévoile dans Snorri le fondateur de la «<nouvelle mythologique » (cf. Novellistische Darstellung mytholo gischer Stoffe Snorris und seiner Schule dans FFC., no 51 [1923]).

Toutefois le problème posé par la critique eddique s'est singulièrement élargi. Il s'est déplacé par le mouvement naturel des études. La civilisation qui se réflète dans l'Edda a cessé de retenir l'intérêt exclusif. Ce que la critique eddique cherche aujourd'hui à préciser, ce sont les origines ou tout au moins les stades pré-eddiques du développement religieux. Elle y est encouragée par l'afflux des matériaux de toutes sortes qu'apportent l'archéologie, le folklore, la toponymie. Aux anciennes descriptions de la religion scandinave, simple paraphrase des textes norrois, on tend enfin à substituer une histoire du paganisme. La toponymie invite à esquisser l'histoire des cultes, l'archéologie retrouve dans le sol les courants de civilisation, véhicules des mythes qu'analyse le folklore. Cette tendance historique est sans doute le caractère le plus frappant des études actuelles. Elle s'affirme dans la disposition extérieure des manuels parus depuis dix ans. L'Altgermanische Religionsgeschichte de M. Karl Helm dont il n'est malheureusement paru qu'un volume (Heidelberg, 1913) rompt avec la tradition des exposés systématiques et se propose de décrire la religion des Germains dans son développement: chaque partie traite comme un tout isolé l'état religieux d'un grande période historique. Le livre de M. Gudmund Schütte Hjemligt Hedenskab « Paganisme danois » (Copenhague, 1919 et en traduction allemande Dänisches Heidentum dans la collection Kultur und Sprache, n° 2, Heidelberg, 1923) sacrifie davantage à la routine dans les chapitres consacrés à la démonologie, mais l'histoire des dieux y est exposée dans sa genèse.

Cette conception nettement historique a donné une impor tance nouvelle au vieux problème des influences étrangères qui est également un legs de l'époque précédente. On a indiqué plus haut comment la question a été reprise dans un esprit plus

large, avec des données et une méthode nouvelles. Depuis que l'époque eddique et les influences occidentales dénoncées par Bugge ont repris une place modeste dans la perspective historique, on a recherché tous les courants de civilisation qui, dès les époques précédentes, avaient pu amener mythes et cultes en Scandinavie. On a porté l'attention sur l'Europe orientale, sur ces régions d'Asie Mineure d'où tant d'idées religieuses se sont propagées vers l'Ouest et vers le Nord. On croit reconnaîtres, dès l'âge du bronze, des traces de ces influences orientales. Les cultes de la végétation semblent venir de ces régions agricoles du bassin méditerranéen. M. Neckel a même voulu retrouver dans le mythe de Balder l'écho du culte d'Attis et d'Adonis (cf. Die Uberlieferungen vom Gotte Balder, Dortmund, 1920).

Ces vastes problèmes ont sollicité le concours de disciplines. très différentes. Plus on a porté les recherches sur le plan de l'histoire, plus cette collaboration est devenue nécessaire. L'intervention de l'archéologie et du folklore dans l'histoire de la religion païenne date, on l'a vu, du siècle dernier. Elle a pris au xx siècle une importance sans cesse croissante. Héritiers des grands folkloristes d'Angleterre et d'Allemagne, les folkloristes scandinaves ont déployé une activité considérable. Ils n'ont pas été seulement de grands organisateurs, il ont élargi le champ des investigations et forgé une méthode de travail. Avec Axel Olrik, Kaarle Krohn, C. W. von Sydow, l'étude des mythes est passée au premier plan; elle a succédé à l'étude des rites populaires. Des disciplines comme la runologie et la toponymie qui étaient encore à la fin du siècle dernier à l'état embryonnaire ont pris un essor subit; elles apportent aujourd'hui un concours inespéré. Uue juste conception du rôle de l'écriture chez les demi-civilisés permet à la runologie d'éclairer le vaste champ de la magie. L'étude systématique des noms de lieu ouvre sur l'histoire des cultes des perspectives insoupçonnées.

Mais ces disciplines ont chacune leur méthode propre et leur objet limité. Elles recherchent les matériaux, les élaborent

selon leur technique, les organisent en systèmes particuliers. Elles sont les collaboratrices indispensables de l'histoire, mais elles ne sauraient la remplacer. C'est à l'historien 'qu'il appartient de peser ces résultats partiels et de les fondre en une synthèse. Et quand il s'agit d'une religion, mieux encore d'une religion de forme primitive, il faut à l'historien une préparation qui ne s'improvise pas.

La part que la science des religions a prise jusqu'ici aux études scandinaves est extrêmement limitée; il faut le regretter. Le livre de M. Chantepie de la Saussaye (The religion of the Teutons, Boston, 1902) n'a pas réalisé les espoirs suscités par un si grand nom. En Allemagne et en Scandinavie, divers auteurs ont essayé d'utiliser les méthodes de la sociologie ou de l'ethnologie religieuses et les ont appliquées de façon mécanique au monde des Germains. M. Fr. Kauffmann a par exemple essayé d'interpréter par les rites le mythe de Balder; la méthode dont s'inspire son livre (Balder, Mythus und Sage, Strasbourg, 1902) a fait ses preuves dans d'autres domaines, mais elle ne s'est pas montrée féconde dans le domaine germa. nique où tout le rituel nous échappe. D'autres auteurs ont emprunté au Golden Bough quelques schèmes commodes et les ont plaqués sans discernement sur les récits norrois : M. Gudmund Schütte a retrouvé à tort et à travers le rite du meurtre du dieu (cf. son article Gudedræbning i nordisk Ritus « Meurtre du dieu dans le rite scandinave » dans la revue Samlaren, 1915, p. 21 et suiv.). D'autres enfin cherchent des parallèles ethnographiques dans la religion des primitifs. M. Helge Rosén a usé largement de la méthode comparative dans ses études sur « le royaume des morts et les rites funéraires >> (Om dödsrike och dödsbruk i fornnordisk religion, dissert. Lund, 1918). Ce sont là des efforts méritoires. Mais il ne suffit pas d'avoir lu Frazer pour aborder avec compétence l'histoire des religions. L'étude des primitifs n'est féconde que si l'on a l'expérience de la pensée religieuse sous ses formes rudimentaires et si l'on est capable devant un système donné d'en saisir

la structure interne. Les sondages rapides dans l'ethnologie religieuse ne sont qu'un trompe l'oeil, car toutes les pièces se commandent elles perdent toute valeur quand on les considère isolément. En dehors de tout préjugé doctrinaire, il faut apporter à ces études une certaine perspicacité psychologique qui permette de dominer les ensembles. C'est à ce don de pénétration que l'œuvre de M. Vilhelm Grönbech (Vor Folkeætt i Oldtiden « Les Germains dans le passé », 4 vol. Copenhague, 1909-12) doit une place à part dans la production scientifique du début de ce siècle. Dans cette puissante synthèse, dont le premier volume a été âprement discuté, l'auteur a effacé de propos délibéré toute perspective historique; se bornant à l'analyse des textes où s'exprime la mentalité religieuse des anciens Germains, il a tenté une vaste reconstruction psychologique.

La carence des spécialistes est donc à peu près complète et il est apparu au cours du précédent exposé que l'histoire du paganisme est en grande partie l'œuvre des philologues. C'est eux qui le plus souvent ont assumé le travail difficile de la synthèse. Ils ont développé la runologie et la toponymie; ils ont combiné les résultats de l'archéologie et du folklore. En travaillant ainsi à l'histoire religieuse, les philologues continuent une tradition vieille d'un siècle. Fondée par Jakob Grimm, la «< mythologie» est restée une annexe de la philologie germanique. On ne saurait déplorer une tradition aussi honorable: elle a assuré la continuité des recherches et maintenu de précieuses habitudes de rigueur. Mais on peut souhaiter aujourd'hui, comme le font les philologues eux-mêmes, que l'histoire de la religion des Germains s'émancipe enfin de cette tutelle un peu lourde et qu'elle profite davantage d'une science dont elle relève naturellement de la science des religions.

Maurice CAHEN.

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