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dans le livre des Actes, deux mains à l'œuvre, deux tissus cousus l'un à l'autre, deux rédactions juxtaposées.

Le premier auteur, premier en date, second dans l'ordre du livre, est celui qui a raconté les voyages de Paul. Son récit ferme et précis qui sent la mer et l'embrun montre une exacte connaissance du levant grec.

L'autre, second en date, premier dans le livre, a décrit en style biblique de convention et ordonné autour de Pierre le tableau plus édifiant que vrai des origines de l'Eglise. Il a surchargé aussi l'histoire de Paul de retouches hagiographiques.

Tous les critiques doués de tact littéraire ont perçu une différence de style entre les deux grandes parties des Actes. Mais alors qu'ils ont cherché en général une coupure entre les douze, (ou les quinze) premiers chapitres et la suite, Loisy a montré qu'il y a pas coupure mais enchevêtrement. Bien avant le chapitre XII, dès le début du chapitre vi, apparaît le biographe de Paul, dans les détails qui sont donnés sur les hellénistes de Jérusalem, fondateurs de la communauté d'Antioche. Et l'autre, l'hagiographe nourri du lait de la Bible, ne pose pas le calame après le chapitre XII, ni après le chapitre xv. Il tire encore de sa veine maint épisode consolant. Les deux auteurs sont entrelacés, comme la vigne à l'ormeau.

Pour les séparer doucement et sans brisure, Loisy a eu peutêtre la main trop nerveuse. A force de vivre dans l'intimité des deux auteurs, il a chéri l'un et pris l'autre en abomination. Et, par une pente facile, il a donné au premier tout ce qu'il trouvait de bon aloi, au second tout ce qu'il rejetait comme inepte et inventé. C'était confondre à nouveau le problème historique et le problème purement littéraire. Le premier auteur se distinguait en ce qu'il méritait toutes les bonnes notes de l'historien moderne, le second en ce que les mauvaises notes pleuvaient sur lui.

S'il est vrai que le texte des Actes trahit deux auteurs, il convient, avant de porter sur chacun un jugement de valeur, de rechercher les signes positifs auxquels on peut les recon

naître. L'exactitude historique d'un côté, l'aptitude à la fiction de l'autre, ne sont pas des caractères assez faciles à constater, ni assez certains d'emblée.

Je m'efforcerai ici de découvrir de petits signes précis qui puissent servir à la discrimination. Ils seront tirés des usages particuliers de chaque auteur, dans les mots ou dans les idées. Ils feront office de tests pour dénoncer l'une ou l'autre rédaction, à la manière dont en chimie le papier de tournesol décèle acide ou base.

Après avoir étendu aussi loin que possible les constatations de cet ordre, je chercherai où se trouvent les coutures entre les deux tissus et quelles particularités elles présentent.

J'essaierai enfin de caractériser la physionomie, l'horizon, le dessein de chacun des deux auteurs.

Il faut rappeler que l'archetype perdu du livre des Actes est représenté par trois recensions.

La première, alexandrine, dite orientale, a pour chef de file le Codex Vaticanus B à corriger à l'occasion par le Coder Sinaïticus §, le Codex Alexandrinus A, ou le Coder Ephraemi C. Elle est, en général, la meilleure, bien qu'elle ne soit pas exempte de légers abrègements et de quelques paraphrases.

La seconde, syro-latine, dite occidentale, a pour chef de file le Coder Bezae D, à compléter par le codex du Mont Athos, des versions latines et syriaques. Elle est généralement paraphrasée mais repose quelquefois sur le meilleur texte.

La troisième, antiochienne, est représentée par quatre manuscrits principaux, H, L, P et S, dont S (manuscrit du Mont Athos) paraît être le chef de file. Elle est plus récente et plus retravaillée que les deux autres mais elle a pour base un texte antiochien ancien qui peut, par endroits,, conserver une bonne leçon.

La meilleure édition est celle de James Hardy Ropes (The Beginnings of Christianity. vol. III The text of Acts, London, 1926) où le texte de B et celui de D sont donnés intégralement, en regard l'un de l'autre, chacun avec son apparat critique.

I. HIEROSOLYMES, IÉROUSALEM.

Le premier test à appliquer est la forme du mot Jérusalem (1). Le narrateur de l'odyssée de Paul emploie la forme grécisée, plurielle, déclinable Hierosolymes, Ἱεροσόλυμα, Ἱεροσολύμων, οὐ. par étymologie populaire, 'lepou- - est interprété par le grec ἱερός sacré, et -σαλήμ par Σόλυμα, montagne de Lycie. Cette forme bâtarde, complaisante à l'oreille grecque, à la façon dont Saint-Boingt (pour Sembench) l'est à l'oreille française, est celle qu'emploient communément les écrivains grecs : Strabon et Josèphe, aussi bien que l'auteur de Tobie ou celui des Maccabées.

Au contraire, le scrupuleux pasticheur de la Bible, par usage ecclésiastique et goût archaïsant, emploie la forme indéelinable, calquée sur l'hébreu, Iérousalem Ispova (accent sur μ). C'est la forme constante de la traduction des Septante. Il y pointe une habitude liturgique et une petite affectation d'initiés, comme si on dit en français Nébucadnetsar au lieu de l'usuel Nabuchodonosor.

Ce test est précieux car il est d'une large application.

Le nom de Jérusalem revient 60 fois dans les Actes. La forme Hierosolymes apparait 21 fois, la forme lérousalem 34 fois. Cinq cas sont douteux dans deux, Hiérosolymes parait être la bonne leçon, dans les trois autres, Térousalem.

Sur les 23 Hierosolymes, 19 se rapportent directement à l'histoire de Paul :

XIII, 13. « Paul et ses compagnons vinrent à Pergé de Pamphylie. Mais Jean, s'étant séparé d'eux, retourna à Hiérosolymes. » XVIII, 21, D. A Ephèse, Paul dit aux Juifs: « Il faut absolument que je fasse la fête prochaine à Hiérosolymes... »

«

XIX, 1, D (appuyé par le Papyrus Michigan) (2). « Paul voulait

(1) Voir Roland Schütz. Apostel und Jünger. Giessen, 1921, p. 20-21. (2) H.-A. Sanders. A Papyrus Fragment of Acts in the Michigan Collection (The Harvard Theological Review, janv. 1927).

de sa propre volonté aller à Hierosolymes, mais l'esprit lui dit de

retourner en Asie. >>

XIX, 21. A Ephèse

lymes...

Paul résolut par l'esprit d'aller à Hieroso

XX, 16. A Milet, Paul « se hâtait pour être, s'il lui était possible, le jour de la Pentecôte à Hiérosolymes. » XX, 22. A Milet. Adieux de Paul : << Maintenant, voici que lié par l'esprit je vais à Hiérosolymes... » La lecon de D πορεύομαι εἰς Ἱεροσόλυμα est préférable à celle de B Tepovaλμ déjà dit, XIX, 21, que Paul avait résolu par l'esprit d'aller à Hierosolymes, πορεύεσθαι εἰς Ἱεροσόλυμα.

car il a été

XXI, 4. A Tyr les disciples « disaient à Paul par l'esprit de ne pas monter à Hiérosolymes.

XXI, 15. De Césarée ayant chargé nos bagages nous montȧmes à Hiérosolymes. »

XXI, 17. « A notre arrivée à Hiérosolymes les frères nous reçurent avec joie. »

XXV, I << Festus étant entré en son gouvernement monta trois jours après de Césarée à Hiérosolymes. ›

XXV, 7. A Césarée « les Juifs qui étaient descendus de Hiérosolymes l'entouraient (Paul)... »

XXV, 9 << Festus dit à Paul : Veux-tu monter à Hiérosolymes pour y être jugé devant moi?,

XXV, 15 Festus expose à Agrippa qu'il a un prisonnier (Paul)« au sujet duquel, lorsque je fus à Hiérosolymes, les grands-prêtres et les anciens des Juifs m'ont signifié...

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XXV, 20. Festus dit de Paul: « Je lui demandai s'il voulait aller à Hiérosolymes et y être jugé. »

XXV, 24. Festus à Agrippa et à l'assistance: « Vous voyez cet homme (Paul) au sujet duquel l'assemblée des Juifs m'a sollicité, tant à Hiérosolymes qu'ici...

XXVI, 4. Paul à Agrippa: «Ma vie, depuis une jeunesse. telle qu'elle fut dans mon peuple et à Hierosolymes, tous les Juifs la

savent. >>

XXVI, 10. Suite : « J'avais jugé qu'il fallait faire beaucoup d'hostilité au nom de Jésus... C'est ce que je fis à Hiérosolymes. » XXVI, 20. Suite: « A ceux de Damas d'abord puis à Hiérosolymes... j'ai prêché le repentir.

«

« J'ai

XXVIII, 17. A Rome Paul dit aux premiers des Juifs: été fait prisonnier à Hiérosolymes et livré aux mains des Romains. »

Ces dix-neuf cas, bien enchaînés, montrent combien la forme Hiérosolymes est liée fortement à l'histoire de Paul.

Trois autres cas concernent l'histoire des hellénistes, introduction naturelle à celle de Paul :

VIII, 1. Après la lapidation d'Etienne « Il y eut, ce jour-là, grande poursuite contre la communauté qui était à Hiérosolymes... »

XI, 22. A Antioche, après qu'on a parlé pour la première fois de Jésus à des Grecs : « La nouvelle en vint aux oreilles de la communauté qui était à Hiérosolymes... » La leçon v Teposoλúμors τῆς Ἱεροσολύμοις conservée par le texte antiochien (HLPS) est préférable à celle de BD: τῆς ἐν Ἱερουσαλήμ, car la méme expression a été employée plus haut, VIII, ι : τὴν ἐκκλησίαν τὴν ἐν Ἱεροσολύμοις.

1 ·

XI, 27. Après la réception de Paul dans la communauté d'Antioche: << En ces jours-là des prophètes descendirent de Hiérosolymes à Antioche. >>

L'histoire de Paul s'articulait, comme Loisy l'a bien vu, à la notice sur Etienne et les hellénistes de Hiérosolymes et à la fondation de la communauté d'Antioche. Les chapitres VI, VII, VIII et XI gardent les fragments de ce récit introductif.

Il reste un passage, au début du livre. Il se rapporte à Jésus ressuscité :

I, 4« Et mangeant avec eux, il (Jésus) leur enjoignit de ne pas s'éloigner de Hiérosolymes. »

C'est le seul exemple de la forme Hiérosolymes dans les sept premiers chapitres du livre. Il fait écho à un passage qui se trouve tout à la fin de l'évangile de Luc, XXIV, 49 (Jésus ressuscité aux apôtres) : « Quant à vous, restez dans la ville ».

La fin de l'évangile de Luc et le début des Actes ont été fortement remaniés comme en témoigne l'état actuel du prologue des Actes (1). Le passage considéré parait appartenir plu312 s. -A. Loisy,

(1) E. Norden. Agnostos Theos. Leipzig, 1913, p. p. 133-140.

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