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devant l'assemblée du clergé. Pressé de répondre, notre méditatif s'y refusa, jugeant les esprits trop agités, mais il mit en circulation deux écrits anonymes, dont l'un contenait un portrait cinglant de Louis de la Ville, c'était le pseudonyme du Père Le Valois. Puis « voyant le public tranquilisé (il) crut qu'il était temps de se défendre à visage découvert et de citer Louis de la Ville à son tribunal» (1). A ceux qui lui reprochaient d'exposer les vérités religieuses de façon trop abstraite et trop sèche, il répondit en composant les Méditations sur l'Humilité et la Pénitence, toutes imprégnées de la plus affectueuse piété (2). Intérêt du moment opportunité jouent un grand rôle dans la publication de ses principaux ouvrages les Méditations Chrétiennes furent un essai de justification générale, les Entretiens sur la Métaphysique une réponse aux objections d'Arnauld, le Traité de l'Amour de Dieu une réponse au Père Lamy (3). Une telle conduite serait inexplicable chez un homme insoucieux de l'impression produite par ses livres! A une époque de persécution déclarée contre les cartésiens, il fut d'ailleurs heureux dans la publication de ses ouvrages. Malgré le refus d'approbation du docteur Pirot, alors censeur des livres et grand partisan d'Aristote, la Recherche de la Vérité obtint un privilège du chancelier qui la fit passer pour un traité de mathématiques (4). Plus tard les importunités d'une femme lui vaudront, de ce même docteur Pirot, une approbation formelle pour les Méditations sur l'Humilité et la Pénitence, inspirées des idées métaphysiques de l'auteur (5). Les colères soulevées par le Traité de la Nature et de la Grâce l'obligèrent à recourir aux imprimeurs des Pays-Bas pour les ouvrages suivants; néanmoins, au plus fort des querelles avec Arnauld et Bossuet, quand on le taxe partout d'hérésie, il obtient une approbation officielle du censeur des livres et de l'évêque suffragant de Mayence pour les Méditations Chrétiennes (6). Moins heureux lors de la mise

(1) André, ouvrage cité, ch. 1, p. 52 à 60. (2) Batterel, ouvrage cité, t. IV, p. 332-333. (3) André, ouvrage cité, ch. IV, VI, VIII.

(4) Idem, ibidem., ch. I, p. 17 à 20.

(5) Idem, ibidem, ch. II, P. 35.

(6) Idem, ibidem, ch. IV, p. 102.

à l'Index du Traité de la Nature et de la Grâce, il sut pourtant se faire des protecteurs même à Rome; le cardinal de Bouillon obtint pour un temps la suspension du décret (1). Peut-être ce dernier s'entremit-il à la demande du futur cardinal de Polignac, alors chargé de négociations à Rome, qui sera en rapports suivis avec Malebranche et le consultera pour la composition de l'AntiLucrèce (2). Obligé de passer de longues heures couché, notre philosophe savait du moins susciter les dévouements; l'un de ses principaux talents, assure André, « était de se connaître en hommes » (3). Les événements de sa vie en fournissent de nombreuses preuves.

Malebranche ne coula point son existence dans la paix sereine et le calme superbe qu'on imagine habituellement. Dans sa propre congrégation il eut beaucoup à souffrir et de la part de ses supérieurs et de la part de ses confrères. Il passa la plus grande partie de sa vie, déclare l'oratorien Batterel, « dans une situation pour lui des plus violentes, surtout par les contestations domestiques n'ayant nulle part fait moins de disciples que dans l'Oratoire, dont la théologie dominante ne saurait quadrer avec la sienne >> (4). On lui causa, dit André, « mille chagrins, qu'il a toujours refusé de dire à ses meilleurs amis » et qui devinrent tels qu'il songea quelque temps à quitter sa congrégation (5). Certes l'Oratoire fut un institut d'esprit libéral, mais Malebranche attaqué par Arnauld, Bossuet, Fénelon, les Jésuites, alors les premières autorités de l'Eglise de France, ne pouvait qu'attirer. des ennuis à ses confrères; puis ses idées sur la grâce ne cadraient pas avec celles du Père de Sainte-Marthe qui devint supérieur général, encore moins avec celles d'oratoriens nettement jansénistes comme le Père Quesnel (6). De là mille coups d'épingle quotidiens qui lui rendirent la vie commune très douloureuse.

(1) André, ouvrage cité, ch. VI, p. 199.

(2) Anti-Lucrétius, préface de l'abbé de Rothelin.
(3) André, ouvrage cité, ch. V. p. 170.

(4) Batterel, ouvrage cité, t. IV, p. 360.

(5) André, ouvrage cité, ch. IV, p. 97.

(6) Ingold, Le prétendu jansénisme du Père de Sainte-Marthe,

Pourtant le Père Quesnel devra quitter l'Oratoire en 1685 (1) et le Père de Sainte-Marthe, après un exil en province, sera contraint d'abandonner le généralat (2), alors que Malebranche, malgré de puissants adversaires et sans jamais leur donner satisfaction, restera à la maison-mère de Paris.

C'est que le méditatif sut se découvrir des protecteurs, parfois inattendus, aux moments les plus périlleux. De ceux-là fut l'archevêque de Paris M. de Harlay, grand ami des Jésuites et de réputation douteuse. Fort habilement Malebranche mit à profit les ressentiments du prélat contre le Père de Sainte-Marthe, se trouvant « fort consolé d'avoir contre lui son général, ayant pour lui son archevêque (3). C'est à propos de son confrère Le Vassor qu'il fit appel pour la première fois à M. de Harlay. Chargé d'enseigner la théologie à Saint-Magloire, ce père attaqua violemment les jansénistes et adopta les idées de Malebranche sur la nature et la grâce idées non encore rendues publiques mais que le philosophe avait communiquées à Le Vassor. Le Père de Sainte-Marthe voulut interdire les leçons du nouveau professeur et faire examiner ses cahiers de cours; alors Malebranche et Le Vassor allèrent trouver l'archevêque et le persuadèrent si bien que le supérieur général fut prié de rester tranquille (4). Après la publication du Traité de la Nature et de la Grâce, alors que Bossuet, plus à redouter qu'aucun autre par son crédit sur le roi, décriait activement l'auteur à la cour, le méditatif rendit de nouveau visite à M. de Harlay. Il en reçut le meilleur accueil et l'assurance que son traité était fort beau (5); dans une entrevue suivante, l'archevêque lui ordonna même de répondre aux critiques d'Arnauld (6). Sans illusion sur les vues intéressées du prélat, Malebranche comprit qu'on flattait en lui l'adversaire du jansénisme; mais il avait grand besoin d'un protecteur et

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M. de Harlay était tout-puissant, il ferma donc les yeux sur les vrais sentiments du personnage. L'amitié du grand Condé, qu'il cultiva soigneusement, lui fut de même très utile; par les louanges qu'il décerna publiquement au philosophe, ce prince fut pour quelque chose dans le revirement d'esprits longtemps hostiles (1). Loin de méconnaître les exigences de la vie pratique, Malebranche fit donc la part des choses et devint diplomate à ses heures; l'histoire de ses querelles est instructive sur ce point. Dès l'apparition de la Recherche de la Vérité, il avait sur la grâce des idées contraires à celles de Port-Royal, mais il se montra si réservé, si accommodant qu'Arnauld le crut facile à gagner et couvrit d'éloges son premier ouvrage (2). Sa réputation affermie lui permit, plus tard, d'être moins circonspect, néanmoins il voulait éviter une rupture et usait de ménagements. Les solitaires n'avaient point lieu de se plaindre. « Le Père Malebranche, en combattant leurs erreurs, savait toujours dédommager leur amourpropre en parlant de leur personne avec beaucoup d'estime; de sorte que M. Arnauld ne put encore se résoudre à se fâcher >> (3). Pourtant la patience n'était pas la vertu principale du grand Arnauld! Ce fut l'imprudence de Le Vassor ou de Quesnel qui perdit tout, en mettant directement aux prises, dans une entrevue ménagée d'avance, ces deux esprits inconciliables (4). Instruit par ce fâcheux précédent, Malebranche évita ensuite pareils colloques avec des adversaires qu'il savait irréductibles. Par deux fois il se dérobera aux demandes de Bossuet : « M. de Meaux était trop vif dans la dispute, et on ne pouvait lui répondre sur le même ton. D'ailleurs son crédit à la cour et dans l'Eglise de France donnait lieu de craindre que s'il allait mal prendre les choses, il ne décriât le système aux dépens de l'auteur » (5). Ici encore la prétendue paresse du philosophe était prudence; l'entrevue que ses amis le contraignirent d'accepter plus tard le montra bien.

(1) André, ouvrage cité, ch. V, p. 169.

(2) Idem, ibidem, ch. IV, p. 75.

(3) Idem, ibidem, ch. IV, p. 77.

(4) Idem, ibidem, ch. IV, p. 78 et Batterel, ouvrage cité, t. IV, p. 334. (5) André, ouvrage cité, ch. IV, p. 93.

Grâce à la souplesse de l'oratorien, les deux interlocuteurs se quittèrent en assez bons termes, puis Bossuet, comprenant par la suite qu'il n'avait rien obtenu, vit empirer ses anciennes dispositions. Mais Malebranche « se sentait animé par la faveur du public qui revenait de jour en jour de ses préventions >> ; il resta calme et sa prudence vint à bout de la fougue du prélat (1). Après l'avoir vertement et même publiquement critiqué, Bossuet s'apaisa, supprima certaines lettres blessantes et finit par se réconcilier avec le philosophe, qui pourtant ne rétracta jamais un mot du Traité de la Nature et de la Grâce (2).

Ni la mise à l'Index de ce dernier ouvrage, ni les attaques d'Arnauld et de Bossuet n'arrêtèrent la diffusion de ses idées. Ce méditatif avait une âme d'apôtre et, au prix d'un labeur incessant, il répandit sa doctrine. Sans doute il n'a ni prêché ni enseigné, ses infirmités continuelles, la faiblesse de sa constitution ne le permettaient pas. Sa voix grêle l'obligeait, en parlant, à élever le ton, surtout quand l'interlocuteur était muni de bons poumons, ce qui, au dire d'André, faisait croire à tort qu'il était en colère. Une maladie d'estomac très violente l'empêchait de garder presque aucun aliment; d'où une faiblesse extrême et une lassitude permanente, à moins qu'il ne fut couché (3). Aussi, outre les livres, n'avait-il d'autres moyens de propagande que la conversation et la correspondance; il en a usé plus que son renom de rêveur permettrait de le croire. Des visites continuelles l'obligeaient à se rendre soit à la Trappe, soit à Roroy, soit à l'abbaye de Perseigne, pour achever ses ouvrages (4). On savait sa porte largement ouverte : << Il ne plaignait point son temps quand il trouvait des esprits assez attentifs pour le suivre ou pour converser avec lui. Il se croyait alors le débiteur de tous ceux qui cherchaient à s'instruire et ne refusait jamais les éclaircissements qu'on lui demandait » (5). Les savants étrangers, de

(1) André, ouvrage cité, ch. V, p. 170, 171.
(2) Idem, ibidem, ch. IV, p. 109 et ch. vIII.
(3) Adry, ouvrage cité, ch. xII, p. 415 à 417.
(4) André, ouvrage cité, ch. IV, p. 99.
(5) Adry, ouvrage cité, ch. xII, p. 409.

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