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le temps où l'auteur a vécu. Depuis quelques années, les fouilles et les travaux des assyriologues ont reconstitué, d'une manière merveilleuse, la vie des habitants de l'Asie occidentale. Nous savons de mieux en mieux quels étaient leurs usages, et aussi quel était leur niveau littéraire, ce qu'étaient leurs écrivains. Et ici il faut nous défaire d'idées sur lesquelles nous nous appuyons trop volontiers, parce que toute notre éducation est fondée sur la littérature de la Grèce et de Rome. Nous avons, à l'égard des anciens Orientaux, des exigences qui correspondent à un développement littéraire qu'ils n'avaient pas atteint. S'agit-il de la Genèse, on insistera sur ce que telle manière de présenter les faits, telle violation de la chronologie, est incompatible avec ce qu'on demande à un livre historique. Et l'on ne songe pas que la Genèse n'est pas un livre historique, et surtout qu'à l'époque de Moïse l'histoire n'existait pas. Le récit impartial et objectif des faits pour eux-mêmes était alors inconnu, on ne connaissait que la biographie ou les annales, pour autant qu'elles se rattachaient à des personnes et à des noms.

Il est temps de se débarrasser des lois rigides et des règlements que les modernes ont imposées aux anciens, et qui constituent l'arsenal où les critiques vont puiser bon nombre de leurs armes. On oublie trop que ce n'est pas pour nous que les anciens auteurs ont écrit ; ce qui les a guidés, ce ne sont pas les règles forgées par des professeurs d'université. Ils écrivaient avec un but parfaitement défini; ce qui leur importait en premier lieu, c'était d'être compris de ceux auxquels ils s'adressaient; pour cela, il fallait user d'un langage qui était familier à ceux auxquels ils parlaient, et ils ne visaient nullement à une exactitude archéologique ou géographique parfaite, que de nos jours même nous ne recherchons pas ailleurs que dans la science.

S'il est un fait bien établi par les fouilles des trente dernières années, c'est que l'écriture employée dans toute l'Asie occidentale, était le cunéiforme, qui, était imprimé à l'aide d'un style dans de l'argile humide. Le cunéiforme a servi à écrire diverses langues, mais nous ne considérons que celle de la Mésopotamie et de la Palestine, qu'on est convenu d'appeler du nom de babylonien nom qui n'est pas exact, car il indiquerait que cette langue était originaire de Babylone, quand nous savons que c'était déjà celle de Sargon d'Agadé, qui appelait sa langue l'akkadien, et qui fut l'un des premiers conquérants de Babylone.

Ce mode d'écrire et l'alphabet qu'on employait pour cela, les Sémites de la Babylonie l'avaient emprunté à ceux qui avaient occupé

le pays avant eux. Le cunéiforme babylonien avait d'abord servi à écrire la langue sumérienne, qui n'est pas sémitique et qui fait maintenant l'objet des travaux les plus intéressants. Partant de ce point qu'on ne peut pas contester, que les écrivains du temps de Moïse consignaient ce qu'ils avaient à dire sur des tablettes, et avaient pour cela des caractères cunéiformes, il s'agit maintenant de rechercher ce qu'étaient les écrivains de cette époque, quel était leur caractère et quelles étaient les préoccupations qui dominaient leur activité littéraire, en ayant soin, autant que possible, de ne pas nous écarter des circonstances du temps. Il est nécessaire de les replacer dans leur milieu, et surtout il faut se garder de leur appliquer ces règles établies en littérature, et auxquelles la science allemande a donné une rigueur qui caractérise trop souvent ses travaux.

Un scribe babylonien écrivait sur des tablettes, c'est dire qu'il ne composait pas un livre tel que nous l'entendons, suivant un plan méthodique qu'il s'était tracé d'avance du premier chapitre au dernier. Des tablettes sont indépendantes, dans certains cas elles forment un groupe sur un sujet donné, et le scribe a indiqué qu'elles se suivent immédiatement, par exemple en répétant au commencement de la seconde le dernier mot de la première. Mais, en général, une tablette forme un tout, et quant à la manière dont elles se relient entre elles, je ne saurais mieux les comparer qu'aux leçons d'un cours. Quiconque a quelque pratique de l'enseignement sait que, souvent, il commence sa leçon par un résumé très bref de la précédente, de manière à replacer les auditeurs dans l'ordre d'idées qui l'occupait, ou bien il répétera ses conclusions ou une citation, sans pour cela revenir sur tout ce qu'il a dit dans la leçon précédente, et surtout sans suivre nécessairement l'ordre que le sujet lui imposait lorsqu'il fallait, du point de départ, en suivre tout le développement. Il pourra prendre une idée ou un fait à une place quelconque et le répéter avec plus de détails, en faire le centre de son exposition. Il en est ainsi des tablettes qui n'étaient pas destinées à former une série, et qui peuvent avoir été composées à des époques différentes.

Si l'on examine le grand nombre de tablettes babyloniennes qui ont été conservées du temps de Moïse, et de date plus ancienne, on est frappé du grand nombre de textes religieux décrivant, soit la création du monde, soit l'origine et la nature des dieux et des génies. La religion des Babyloniens, et après eux des Assyriens, reposait sur des écrits ; il y avait des livres sur lesquels étaient fondées leurs

croyances et les rites qui se célébraient dans les temples. Leur culte et leurs idées sur les divinités qu'ils adoraient, n'étaient pas des fantaisies individuelles, c'était ce qu'enseignaient les livres, et ces livres étaient des tablettes.

Il est certain que la plupart de ces livres remontaient à une haute antiquité; ils avaient été composés en sumérien, mais avec la conquête sémitique et la prédominance définitive de l'élément sémitique et de ses idées, ces légendes furent écrites à nouveau et subirent certaines transformations: ainsi, les noms des dieux changeaient, de nouveaux noms se substituaient plus ou moins aux anciens, et l'on peut dire que la littérature religieuse de Babylone et de l'Assyrie est avant tout l'ancienne littérature sumérienne sous une forme nouvelle.

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Un fait à signaler et qui a son importance, c'est que les tablettes trouvent très rarement isolées, elles sont en dépôt, dans les grandes bibliothèques royales, quelquefois, comme à Tel cl Amarna, elles sont réunies dans une caisse ou dans une jarre. Les exemplaires très rares qu'on trouve isolés dans les maisons sont, ou des lettres comme celles de Taanak, ou des contrats comme ceux de Guézer; encore ces tablettes sont-elles de date tardive. Elles n'étaient pas répandues dans le peuple et d'un usage courant, comme le furent plus tard les tessons, quand le commerce eut amené l'importation de l'écriture cananéenne et phénicienne.

Il semblerait donc que, pour les contemporains de Moïse, l'écriture était le privilège d'une classe peu nombreuse qui tenait à la cour et surtout à l'élément sacerdotal. Car ce doivent être des prêtres qui rédigèrent les tablettes ayant trait à la religion. On oublie trop facilement, lorsqu'on songe à ces anciens Orientaux, à quel point l'instruction la plus élémentaire, qui est l'écriture, était peu répandue au milieu d'eux. On peut en juger par ce qu'on voit aujourd'hui, malgré les progrès de la civilisation. Qu'on visite, par exemple, l'un des marchés d'Egypte qui se tiennent en plein air près des grands villages, et où affluent tous les paysans, les Bédouins, toute la population de la campagne apportant sur des ânes ou des chameaux soit les produits du sol, soit ceux de leur industrie grossière, tels que les poteries. Combien y a-t-il de ces gens qui savent lire ou écrire ? une proportion extrêmement faible. De là la nécessité d'avoir les écrivains publics qui, assis par terre, les jambes croisées, écrivent, en appuyant leur papier sur leur main, les marchés de quelque importance.

A plus forte raison en était-il ainsi dans cette haute antiquité. La proportion des illettrés devait être encore plus grande, et les hommes qui savaient écrire formaient une aristocratie qui devait avoir d'autant plus de prestige que la plupart d'entre eux avaient un caractère sacerdotal. Nous en avons la preuve dans la quantité d'inscriptions funéraires égpytiennes que nous avons conservées, qui nous indiquent le nom et la position sociale du défunt, et qui nous citent comme premier titre, le mot qui, à proprement parler, signifie écrivain. Cela ne veut pas dire qu'il fût un scribe de profession, cela veut dire que c'était un homme ayant reçu une éducation littéraire, et, par conséquent, capable de revêtir des charges civiles ou sacerdotales et de s'acquitter des tâches que lui imposaient ces fonctions.

Revenons maintenant à Moïse, et replaçons-le dans son temps; essayons de refaire son portrait comme écrivain en nous tenant strictement à ce que nous savons des usages et des idées de son époque, et sans le juger d'après des lois qui étaient ignorées des anciens. On verra à quel point tout ce que nous savons de lui cadre bien avec les circonstances de son époque, et est analogue aux usages de ses contemporains Sémites.

Moïse appartenait à la classe des hommes qui avaient reçu une éducation soignée; il fut élevé comme le fils de la fille de Pharaon, et, comme nous le dit Etienne dans son discours, il fut instruit dans toute la sagesse des Egyptiens, ce qui doit vouloir dire qu'il connaissait les hiéroglypñes et qu'il savait les lire. Mais cela ne lui était pas d'un grand secours auprès de ses compatriotes qui étaient restés un peuple à part, et qui ne s'étaient pas fondus avec les Égyptiens. Ils étaient encore Araméens, ce qu'avait été leur père, ainsi que le dit le Deuteronome, et ils avaient certainement conservé la langue qu'ils avaient apportée de Canaan. Mais on peut supposer que, comme tous les bergers, comme les Bédouins encore aujourd'hui, ils étaient des illettrés. S'il y avait pour eux une langue écrite, c'était celle des Araméens, le babylonien cunéiforme, s'écrivant sur des tablettes, qui était en usage, non seulement en Mésopotamie, mais en Palestine, la langue des lettres de Tel et Amarna.

A la cour de Ramsès II, il y avait certainement des hommes qui savaient le babylonien et qui pouvaient l'écrire. Dans la correspondance de Tel el Amarna, on trouve des réponses du roi qui ne sont pas en égyptien, mais dans la même langue que les autres lettres; elles ont dû être rédigées par des hommes qui connaissaient cette langue, comme les drogmans d'ambassade de nos jours. Quelquefois,

celui qui écrit s'adresse au scribe qui lira la lettre au roi et qui devra la lui traduire; car le Pharaon, nous le savons aussi par ces tablettes, avait besoin d'un interprète.

En outre, les relations commerciales ou administratives, les rapports qu'avait le roi avec ses vassaux, avec les gouverneurs des villes sujettes, ou avec les rois Sémites, devaient forcément attirer à la résidence royale des Sémites en grand nombre dont le babylonien cunéiforme était la langue officielle et l'écriture. Il n'y a donc rien d'improbable à ce que Moïse, sorti de cette cour, qui était luimême un de ces Sémites, et qui n'était pas devenu égyptien, connût cette langue et cette écriture; peut-être l'employait-on comme intermédiaire entre Egyptiens et Sémites. Mais nous ne voulons pas aller au-delà de ce qui résulte des données positives. Moïse, un homme d'éducation, Sémite, ne pouvait, à son époque, employer d'autre écriture que le babylonien cunéiforme; c'est la seule dont l'existence soit bien établie, et cela par des centaines de documents qui sont arrivés jusqu'à nous.

Mais Moïse n'est pas un simple scribe. Il a une tâche beaucoup plus vaste, il doit être le fondateur d'une religion. C'est lui qui doit donner au culte de Yahveh sa base, c'est lui qui doit en tracer les traits fondamentaux. Mais, pour cela, il faut des écrits sur lesquels cette religion repose, et Moïse fit comme les anciens scribes babyloniens ou même sumériens, il rédigea des tablettes religieuses, sur la création du ciel et de la terre, sur le déluge. Ensuite, il nous raconte aussi la vie des premiers ancêtres Israëlites, nous pourrions dire leurs héros, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph. On remarquera que les tablettes qui composent la Genèse, de même que celles des Babyloniens, sont anonymes.

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Il en sera tout autrement quand Moïse sera le législateur, quand il aura à proclamer des lois et des commandements. Alors, comme le roi Hammourapi, il se nommera. Comme le roi babylonien aussi, il déclarera ce que son Dieu Yahveh lui a fait connaître et lui a ordonné de publier.

Moïse veut écrire ce que nous appelons la Genèse, c'est-à-dire il veut exposer au peuple d'Israël, qu'il est chargé de conduire en Canaan, comment Israël a été choisi par Yahveh pour être son peuple, quand Yahveh fit alliance avec son ancêtre Abraham et ses descendants dont l'un vint s'établir en Egypte. Ce pays ne doit pas être son lieu de séjour définitif, il ne lui a pas été promis en héritage. Israël doit retourner en Canaan, y installer le culte de Yahveh et le servir fidèlement.

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