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SUR LE PRÉTENDU MONOTHÉISME

DES ANCIENS CHINOIS

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I

Parmi les auteurs qui, depuis le xvIe siècle, ont étudié la religion chinoise, un grand nombre y ont vu un monothéisme primitif défiguré par des adjonctions successives; ces croyances, étrangères au culte primitif, auraient été principalement l'apport de races conquérantes ou conquises, différentes des premiers Chinois. C'est ainsi que de Harlez, pour ne prendre qu'un exemple (Les Religions de la Chine, aperçu historique et critique, 1 vol. grand in-8, Leipzig, 1891), écrit (p. 86): « Les premiers Chinois..... croyaient à un Dieu personnel, souverain du ciel et des hommes, maître des empires,..... providence veillant sur les bons.... Ce Dieu qu'ils appelaient le Suprême Empereur, Shang ti, était bien pour eux le seul personnage divin..... (pp. 92 et 93). L'avènement des Tcheous ne fut pas seulement un changement de dynastie,........... ce fut le triomphe d'un peuple sur un autre............. La prépondérance des Tcheous amena le développement de la croyance aux esprits, de leur culte et la matérialisation des conceptions religieuses.

D'autre part, divers savants ont contesté l'exactitude de ces opinions. C'est ainsi que M. A. Réville (La Religion chinoise, 2 vol. in-8, Paris, 1889) écrit à la page 133 : « Il en

1) Conférence faite au Musée Guimet, le 5 mars 1899.

résulte que la religion primitive de la Chine, à l'aurore de sa civilisation, fut décidément naturiste, sans exclure une forte part d'animisme;..... cette religion des premiers temps du Céleste Empire est évidemment marquée au coin d'un polythéisme des plus accentués. »

Si je reprends aujourd'hui l'examen de cette question, c'est pour apporter à la thèse de M. Réville non pas une démonstration rigoureuse, mais un argument tiré des textes.

Lorsqu'on parle du monothéisme des Chinois, on ne saurait attribuer celte croyance qu'à une époque reculée; les villes chinoises sont semées d'assez de temples de toutes sortes, les sacrifices sont offerts à assez de divinités diverses, les histoires, dès avant la domination des Tshin (247-206), mentionnent un assez grand nombre d'esprits et de cultes, pour qu'on ne puisse admettre un monothéisme moderne ou même relativement récent. C'est, en effet, au temps des empereurs mythiques ou de leurs premiers successeurs, c'est-à-dire avant les Tcheou (1050?-256), que de Harlez, par exemple, croit retrouver cette forme religieuse. Pour l'étude que j'entreprends, je pourrai donc me borner aux textes les plus anciens, les plus proches de la période indiquée; je me servirai surtout du Chi king, du Chou king, occasionnellement du Tso tchoan, des Seu chou, du Chi ki1. Aussi bien la

1) Pour ne pas charger le texte ou les notes de caractères chinois, je me bornerai à donner, à côté de la traduction, la transcription des passages cités, en renvoyant le lecteur sinologue d'une part à l'édition des classiques du Dr Legge (The Chinese Classics with a translation... by James Legge; vol. I et II, 1861; vol. III, 1865; vol. IV, 1871; vol. V, 1872), d'autre part aux Mémoires historiques de Se-ma Ts'ien, traduits par M. Chavannes (Paris, 1825, etc.).

Le Chi king (Livre des Odes) comprend, en quatre parties, des chants populaires et des hymnes officiels, dont quelques-uns remontent à la dynastie des. Yin et dont les autres appartiennent à la première période de celle des Tcheou. Comme le précédent ouvrage, le Chou king (Livre des Histoires) se compose de chapitres détachés rédigés à des époques différentes; je ne m'appuierai que sur les livres dont l'authenticité a été établie par M. Chavannes (Mémoires historiques, Introduction, pp. 113 et sqq.) et je laisserai de côté tous les livres apocryphes qui semblent dater du ive siècle p. C. D'ailleurs, même pour les livres authentiques, il y a lieu de croire que les premiers, relatant les événements les

dynastie des Tshin ouvre pour la religion une période de syncrétisme et de systématisation sur laquelle Seu-ma Tshien donne des renseignements1; l'apparition de ces idées nouvelles marque naturellement la limite inférieure de mes recherches.

J'ajouterai que, même dans ces temps reculés, l'on n'a jamais sous les yeux un monothéisme absolu; il suffit d'ouvrir le Chi ki, le Tso tchoan, le Chou king pour trouver mention, dès le berceau du peuple chinois, de divinités de nature très diverse et pour distinguer des tendances fétichistes, naturalistes, animistes. Je me bornerai à citer comme exemples la pierre parlante de Tsin au vi siècle (Chin. class., vol. V, p. 622, §§ 1, 2, 4, 5), le joyau de Tchhen à partir du vin siècle (Mém. hist., vol. II, p. 17), les ancêtres et les dieux de la terre déjà invoqués par Khi, fils de l'empereur Yu (Kan chi, Chin. class., vol. III, p. 155), les montagnes, les fleuves, les esprits auxquels l'empereur Choen offre des sacrifices (Choen

plus anciens, sont de beauconp postérieurs à ces faits prétendus historiques ; ainsi le Choen tien a dû être composé sous les Tcheou dont il relate les coutumes féodales; le Yu kong, purement descriptif et géographique, donc bien. difficile à dater, est peut-être en partie antérieur au Choen tien. Les livres réellement les plus anciens, plus vieux que les deux que j'ai cités, seraient le Kan chi, le Thang chi, le Phan keng; on ne saurait d'ailleurs les rapporter aux dates admises dans la chronologie orthodoxe des lettrés; on peut les croire antérieurs aux Tcheou, c'est-à-dire au Ixe siècle. On voit que le Chou king nous ramène à peu près à la même antiquité que le Chi king.

Le Tso tchoan (Commentaire de Tso sur les Annales de la principauté de Lou), postérieur à 424 a. C., est antérieur à la chute des Tcheou (cf. Chin. class., vol. V, Prolog., chap. 1, sect. IV): c'est une histoire de la période comprise entre 722 et 463.

Quant aux Quatre Livres, Seu chou, les deux premiers sont attribués à des disciples rapprochés de Confucius; le Meng tseu est de l'école du sage dont il porte le nom (372-289); quant au Loẹn yu, il a été retrouvé et reconstitué au début des Han dans des conditions analogues au Chou king.

Le Chi ki (Mémoires historiques), œuvre de Seu-ma Than et de son fils Seu-ma Tshien, a été rédigé en grande partie avant l'an 99 a. C.; certains passages sont postérieurs à cette date, mais dans le nombre il y a sans doute quelques interpolations.

1) Voir le livre XXVIII (tome III, p. 413, de la traduction de M. Chavannes).

tien, Chin.class., vol. III, pp. 33, 34 et sqq.). Mais la plupart des religions monothéistes admettent, avec un dieu suprême, des puissances inférieures qui sont à l'égard du premier dans une dépendance plus ou moins définie; c'est un monothéisme de ce genre que l'on a pensé trouver chez les anciens Chinois. On a attribué le rôle de dieu unique à l'être supérieur que les textes nomment thien, ti ou chang ti. De nombreux missionnaires chrétiens ont employé ces expressions pour traduire en chinois le mot Dieu; la plupart des sinologues, trouvant ces termes dans les textes chinois, les ont rendus par Dieu, le Ciel, Altissimus, the Supreme Ruler; mais cette double série d'interprétations suppose résolue la question même du monothéisme qui fait l'objet du débat. Je vais donc, à nouveau, rechercher dans quelques textes chinois la valeur précise des mots thien, ti et chang ti et m'efforcer de l'éclairer par quelques rapprochements; je ne me servirai d'ailleurs que des textes anciens indiqués plus haut, attendu que les commentateurs même de ces textes, tous postérieurs aux Tshin, peuvent être légitimement soupçonnés d'introduire les idées de leur temps dans les monuments littéraires qu'ils expliquent.

II

Le sens premier de thien, c'est le ciel, la voûte céleste qui recouvre la terre, où l'on observe les mouvements réguliers des astres et qui semble produire les saisons, les phénomènes météorologiques.

nai ming hi ho, khin jo hao thien, li siang ji yue sing tchhen (Yao tien, Chin. class., vol. III, p. 18).

alors il ordonna [aux familles] Hi et Ho de respectueusement se conformer à l'auguste ciel, de calculant représenter le soleil, la lune, les étoiles, les astres.

Dans les expressions suivantes qui sont très fréquentes sous cette forme ou sous une forme analogue, le ciel est le

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