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NOTES SUR L'ISLAM MAGHRIBIN

LES MARABOUTS

(Suite.)

Dans les premières pages de ce travail, nous avons déjà bien des fois écrit les mots : marabout, sidi, chérif. On jugera sans doute qu'il ne serait pas inutile de préciser la signification de ces termes, dans la mesure du possible.

Commençons par le mot principal, celui que la foule va répétant chaque jour et dont nous avons cru pouvoir former ce néologisme maraboutisme. Écartons d'abord une étymologie très répandue, mais manifestement inexacte, celle qui fait venir marabout du mot merboût qui veut dire « lié, enchaîné, attaché ». Cette étymologie permettrait, il est vrai, d'établir un parallélisme curieux entre le mot arabe et le mot français religieux, qui viendrait, d'après des autorités compétentes, du mot latin religare, lequel veut justement dire aussi : « lié, attaché ». Malheureusement, il faut abandonner ce séduisant rapprochement. Les Arabes ne prononcent pas merbout' b mais bien merábet', presque merábot', : nous devrions ici écrire merâbet' et non marabout qui est une altération dont les Européens sont seuls responsables. Il suffit d'ailleurs d'avoir entendu prononcer une fois le mot merábet' pour voir

1) Voir t. XL, p. 343 à 369.

2) Voy. une note intéressante à ce sujet de M. A. Réville, Prolegomènes de l'Histoire des Religions, p. 5.

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qu'il n'a rien de commun avec merboût''. Ce dernier mot veut dire à Alger lié et a aussi le sens d'impuissant, comme le français noué, et on s'exposerait à provoquer le rire dans le cas où on demanderait, par exemple : « Sidi Un Tel est-il merboût'?» Chez les auteurs maghribins merboût' a parfois aussi le sens de msebbel (mousabbal, J), qui veut dire littéralement << consacré »3, mais avec une acception spéciale: il s'applique en effet à des gens qui, pendant la guerre, faisaient vœu de défendre jusqu'à la mort une position désespérée. Cette coutume existait encore dans la Kabylie lorsque nous en fimes la conquête un certain nombre d'hommes juraient de défendre le village jusqu'à la mort et, pour s'empêcher de fuir, s'attachaient les uns aux autres. Ils se faisaient tuer jusqu'au dernier et nos soldats furent plusieurs fois obligés de passer sur le corps de ces imessebelen, ainsi que les appelaient les Kabyles. Le fait que ces hommes étaient, chez les Kabyles, liés ensemble doit, à notre avis, expliquer le sens spécial du mot merboût' en cette occurrence.

Dès le moment que l'on reconnaît que le mot marabout est l'altération de l'étymologie n'est plus douteuse : car on voit de suite que le mot est directement en relation

1) On est surpris de trouver cette erreur dans un livre aussi remarquable que celui de Hanoteau et Letourneux, Kabylie, p. 83, n. 1.

2) Cependant Kasimirski, dans son Dictionnaire arabe-français, donne b avec le sens de « marabout, ascète, illuminé ». Peut-être le mot se trouve-t-il dans quelque texte avec cette acception. Nous en doutons fort; en tout cas ce ne doit pas être dans un auteur maghribin, car dans l'arabe parlé du nord de l'Afrique merbout' n'a jamais eu le sens de merábeľ.

3) Cf. p. ex. Voyage d'El-Aidchi, trad. Berbrugger, in Expl. scient, de l'Alg., t. XI, p. 112. Nous devons dire toutefois que nous n'avons pas confronté le texte avec la traduction, ce qui est souvent indispensable lorsqu'on se sert de cet ouvrage. La traduction est du reste incomplète et les morceaux omis paraissent justement être au nombre de ceux qui auraient pu être intéressants au point de vue religieux.

4) Voy. l'intéressant article de Robin, Les Imessebelen, in Rev. afr., XVIII. ann., no 108, nov.-déc. 1874, p. 401-402. Faut-il rapprocher de cette expression le sanctuaire appelé Tidji n Msabilen, mentionné par R. Basset, Sanctuaires du Dj. Nefousa, in Journ. asiat., mai-juin 1899, p. 469?

grammaticale avec le mot b,, ribáť, dont le sens est bien connu. Les ribât' étaient des forts bâtis sur les frontières des empires musulmans et où une garnison de volontaires défendait le territoire de l'Islâm contre les attaques des étrangers. C'était une forme du djihad, de cette guerre sainte qui est un devoir pour les musulmans'; on allait dans les ribât' pour y conquérir des titres à la faveur divine, comme on s'engageait jadis chez nous pour un temps parmi les chevaliers de Malte. On trouve dans les textes des expressions comme celle-ci :

-jusqu'à ce que nous ayons fini notre ri » حتى نقضي رباطنـا

bâť »', c'est-à-dire, notre séjour (un temps déterminé) dans le ribât. Il y avait aux premiers siècles de l'hégire une série de ribât' depuis l'océan Atlantique jusqu'à l'Indus', qui étaient comme liés entre eux et reliés au territoire musulman (b, << lier ») et dans lesquels on se livrait alternativement à la guerre et à des exercices de piété. On y envoyait son fils pour

1) Depont et Coppolani, Confréries musulmanes, p. 123, n. 2, écrivent bien: « ̧, lieu de retraite et de prière », mais ils ajoutent aussitôt : « de là bị mrabet, marabout ». Or, premièrement ne peut se transcrire par mrabet et, en second lieu, ce mot ne peut signifier que «< lieu où on attache des bestiaux, écurie, étable » et non «< marabout ». On croirait à une coquille si le mot arabe n'était vocalisé; d'ailleurs, la note en question est la reproduction d'une note de la traduction du Qartás, par Beaumier (p. 171, n. 1), ce qui déplace la responsabilité. Par une contradiction absolument inexplicable, la note 4 de la même page donne très justement la véritable étymologie. Toutefois les auteurs semblent faire remonter seulement l'usage du mot à la dynastie des Almoravides. Or il y avait des ribáť et des morûbit'oùn bien avant cette époque.

2) C'est un devoir pour la collectivité (5) et non un devoir individuel (), ce qui rend d'autant plus méritoire l'acte de celui qui y prend part. 3) Kosegarten, Chrestomathia arabica, Leipzig, 1828, p. 41 (extrait du Kitâb Asoudq el-Achoudq, du chikh El-Biqâ'i).

4) Voy., dans la Géographie d'El-Idrîsî, l'énumération d'un grand nombre de ribal orientaux, éd. Jaubert, Paris, 1836, t. I (consulter l'index). Cf. la note claire et précise donnée à ce sujet par le savant de Slane dans sa traduction d'El-Bekri, Paris, 1859, p. 19, n. 5.

quelque temps' et il y acquérait une sorte de titre. Par la suite un grand nombre de ribât' ne furent plus que des lieux de retraite, de dévotion, et ce mot prit le sens de « couvent ». Le nom de Rebât' resta ainsi à quelques villes où il y avait eu un de ces établissements: Tâza, au Maroc, s'appelait jadis Rbât Tâza'; mais l'exemple le plus connu est celui de Rbâl'elFath' (le fort de la victoire), qui est la Rbât' moderne (Rabat, chez les Européens) située sur la côte occidentale du Maroc en face la ville de Slå (Salé). Le mot rabit'a (b) est synonyme de ribáť dans ses deux sens et souvent employé par les auteurs'. On a détruit à Alger, en 1832, au-dessous de la mosquée actuelle de la Pêcherie, une petite mosquée où était enterrée une sainte dame Zerzoûra, Dans les actes cette mosquée est appelée mesdjed er-Rábt'a, ce que Devoulx traduit, correctement d'ailleurs par «< mosquée de la sainte », mais en dernier lieu elle s'appelait mesdjed el-merábt'a, mosquée de la maraboute. Il se pourrait bien qu'il faille traduire rábía par couvent ou au moins ermitage et que ce ne soit qu'à notre époque que ne comprenant plus le mot rábťa, qui est inusité dans le langage parlé, on l'ait transformé en mrá

Et Mousa envoya son » ووجه موسى ابنه الى طنجة مرابطا على ساحلها (1

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fils pour servir dans un ribât' de Tanger, sur le rivage de cette ville » (Ibn elAbbar, in Dozy, Notices sur quelques mss. ar., Leyde, 1851, p. 31). D'autres fois le mot ribát semble employé dans le sens de «< croisade Cf. Et-Tordjman d'Ez-Ziânî, éd. Houdas, p. 22, 1. 7, d'en b., du texte et p. 42 de la traduction. Ez-Ziânî contient d'assez nombreux renseignements au point de vue religieux et est un auteur consciencieux qui dédaigne la rhétorique ordinaire des auteurs arabes.

2) Qart'ds, trad. Beaumier, p. 556; lbn Khaldoûn, Berbères, éd. de Slane, IV, p. 187 et pass.; El-Oufrânî, Nozhet el-H'ádi, éd. Houdas, p. 37, 420; etc... 3) Voir à propos de la ville de Rbât' une intéressante note sur le mot by, in Fischer, Marokk. Sprichw., p. 2 du t. à p. (Ex. Mitt. d. Sem. f. Or. Spr., Jahrg. I, 1898).

4) Il y avait une al du côté d'Oran dans laquelle se réfugia Yousof ben Tachefin fuyant devant 'Abdelmoùmen, comme en témoigne Ez-Zerkachi, Chronique des Almohades et des Hafcides, trad. Fagnan, Constantine, 1895, p. 8; et p. 5, l. 10, d'en b., du texte édité à Tunis, en 1279 H. (1862-1863 J.-C.). Cf. Ibn. Bat'oût'a, éd. Defrémery et Sanguinetti, t. II, p. 215 et Recueil de compositions de l'École des Lettres d'Alger, 1 vol., Alger, 1888, p. 13.

bet'a, mot aujourd'hui courant pour désigner une sainte, tandis que rábt'a n'est pas employé chez nous, dans cette dernière acception.

L'origine des Almoravides, mot qui signifie « les marabouls », est connue par les récits du Qart' as, d'Ibn Khaldoûn, d'ElBekrî, etc... le ribât' d'Ibn Yasin où naquit la secte almoravide était probablement comme tant d'autres un couvent plus ou moins fortifié. C'était sans doute le point de départ de fructueuses razzias faites au nom du djihad, de la guerre sainte, par lesquelles ils préludaient à la conquête du Maghrib Extrême. Ils illustrèrent définitivement le mot de merabt' in, c'est-à-dire de missionnaires religieux combattants. Mais ce mot ne commença à devenir populaire que lors de cette sorte de poussée religieuse du xvIe siècle à laquelle nous avons fait allusion plus haut. A cette époque surgirent au sud de Maroc les chérifs qui devaient conquérir ce pays et l'exode des merabt'in, des marabouts, commença. Venus des ribât' du Sous, du Drâ, de la Sâguiat el-H'amrå surtout, d'où la légende les fait tous sortir, ils se répandirent sur toute la Berbérie. Les premiers de ces chérifs avaient bien été des mrábt'ine combattants puisque c'est dans le djihad, dans la guerre sainte contre les Portugais, qu'ils acquirent leur renommée, puisqu'ils durent leur éclatante fortune à la gloire d'avoir chassé l'Infidèle du sol de l'Islâm. Mais, cette période héroïque. passée, les missionnaires du Sud Marocain qui allèrent islamiser à nouveau les populations du Maghrib, n'étaient plus des combattants; c'étaient simplement les apôtres du grand réveil religieux moderne dans l'Afrique mineure. Le fort, le ribât', était devenu un établissement purement religieux, une zdouia. Déjà dans Ibn Khaldoûn nous trouvons un réformateur arabe, chez les Riah', qui se donne une mission religieuse, construit une zaouia (c'est ce mot qui est employé au lieu de ribat'), s'appelle mråbet ainsi que ses partisans, et cela en 1305, c'est-à-dire bien avant les chérifs marocains'. Plus tard, un

1) Iln Khaldoun, Berbères, trad. de Slane, t. I, p. 83. Voy., in Nozhet el-H'âdî,

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