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LA PHILOSOPHIE DES ORACLES

I

Tel est le titre d'un ouvrage, que Porphyre avait écrit dans sa jeunesse1, et qui, aujourd'hui perdu, ne nous est connu que par de rares et maigres fragments cités çà et là par les auteurs ecclésiastiques et particulièrement par Eusèbe. Jean Philopon est le dernier des anciens qui l'ait possédé complet; parmi les modernes, c'est une opinion assez accréditée que Marsile Ficin l'a eu encore en entier à sa disposition: mais cela est peu probable; car il n'en cite que les passages contenus dans Eusèbe, et l'on comprendrait mal qu'un livre qui a eu un si grand retentissement, conservé jusqu'au xvi siècle, se fût perdu depuis.

C'est un recueil d'une quarantaine d'oracles, en 358 vers accompagnés d'un commentaire d'une dizaine de pages qui les développe et les explique, et en ramène le sens et la portée à ce que Porphyre appelle la philosophie, mais qui n'a presque aucun rapport avec ce que l'on comprend généralement par ce mot. Quelqu'insuffisants que soient les restes de cet ouvrage, il ne m'a pas paru inutile d'en faire connaître le contenu et d'en apprécier le but et l'esprit. Car s'il intéresse peu la philosophie, il touche à l'histoire générale des idées et à la science des religions pour lesquelles il est un document important.

Suivant la méthode habituelle des anciens, le traité était divisé en livres, et en comprenait au moins trois, peut-être dix. En

1) Eunap., V. Porph., p. 17 : νέος δὲ ὧν ταῦτα ἔγραψεν.

2) 550 après J.-C.

3) Dans le ms. de l'Ambroisienne les 22 vers oraculaires (v. v. 145-164) de l'édition de Wolff sont précédés de la mention : ἐκ τοῦ δεκάτου τῆς Π. εὐλογιῶν pilosopias, et Steuchus qui cite cet oracle (De perenni Philosophia, 1. III, c. xiv) a suivi cette indication : « Adducitur hoc oraculum non a Christianis, sed a Porphyrio Christianorum hoste, decimo libro. » Le ms. de Naples, généralement adopté, donne: 'O Пopp. Ev tÿ deutépw fibλiw. Ce Steuchus, né à Gobbio, était un évêque de Kisamos, en Crète.

tous cas, cela suppose une étendue assez considérable, comme on peut l'attendre d'un érudit qui avait consacré de profondes études et de nombreux travaux aux doctrines et aux pratiques religieuses de presque tous les peuples de l'antiquité1, ainsi que l'attestent saint Augustin et Philopon, et comme nous en avons la preuve dans son propre traité De l'abstinence des viandes. Proclus rappelle ses connaissances particulières qui faisaient autorité, en ce qui concerne la religion des Perses 2, et nous savons encore par lui-même que Plotin l'avait, à cause de sa compétence spéciale, chargé de démontrer l'inauthenticité des oracles de Zoroastre.

Sauf quelques rares et vagues indications tirées de l'ouvrage même, il est vain, dans l'état où les fragments nous sont parvenus, de vouloir répartir entre les différents livres, les matières et le contenu de chacun, et d'essayer, en reconstituant l'ordre des parties, d'en rétablir l'unité et le tout. Eusèbe, Théodoret, Lactance, saint Augustin le citent évidemment, non dans l'ordre de l'ouvrage, mais là seulement où ils le jugent utile à l'exposition de leurs propres thèses, ou à la réfutation des thèses opposées. Le dernier éditeur, Gustave Wolff, plus téméraire, l'a cependant tenté, et quoiqu'absolument conjectural, j'ai suivi l'ordre qu'il a imaginé, parce que pour l'étude, tout ordre vaut encore mieux que la confusion et le désordre.

Quant au but que s'est proposé l'auteur, il l'indique lui-même dans ce passage qui est manifestement le début de l'ouvrage, et qui est cité comme tel par Eusèbe:

<< Marcheront dans une voie sûre et ferme, ceux qui viendront chercher ici (dans la méditation des oracles et la pratique de

1) Philop., De mund.creat., iv, 20; «Porphyre, & лsρì лãσav άyuptíav šoжovdaxç. › Saint Augustin, De Civ. D., x, 32 : « Porphyre, dans son livre : De regressu animarum, avoue qu'il n'a rencontré la voie universelle de la délivrance de l'âme dans aucune philosophie, ni dans les doctrines morales des Indiens, ni dans la science des Chaldéens, auxquels il avait cependant emprunté tant d'oracles divins quorum assiduam commentationem facit ».

2) Procl., in Tim., 187 b. Théodore εὑρὼν παρὰ τῷ Π. τὴν δόξαν, ὡς ἐκ Περσί δος ήκουσαν.

leurs prescriptions) comme à la source de la vérité, l'espérance de leur salut... Le présent recueil comprendra le texte écrit d'un grand nombre de doctrines philosophiques, dont les dieux euxmêmes ont attesté la vérité par leurs oracles : je ne toucherai que rapidement la partie pratique et quand elle pourra être utile à la connaissance spéculative et à la purification de la vie. »

L'intention de Porphyre se précise et s'accentue dans les der niers mots de ce préambule : « L'utilité de ce recueil sera surtout comprise de tous ceux qui, dans les douleurs de l'enfantement de la vérité, ont parfois demandé, dans leurs prières, d'obtenir des dieux la grâce qu'ils leur apparaissent, pour faire cesser leurs doutes par l'autorité souveraine, qui emporte la créance, de ceux qui les instruisent par leurs propres paroles. >>

Ainsi il ne faut pas se laisser tromper par les mots, « les doctrines philosophiques τῶν κατὰ φιλοσοφίαν δογμάτων, ni par le titre lui-même. Il ne s'agit pas d'extraire de l'interprétation des oracles un système de philosophie scientifique. De même qu'Iso crate appelait déjà l'éloquence, philosophie, Porphyre donne ce nom à la connaissance des préceptes religieux qui peuvent assurer le salut de l'âme, et des règles et des pratiques morales qui servent à rendre la vie sainte et pure. Pythagore l'avait déjà ainsi comprise : la philosophie était pour lui la connaissance des dieux et du culte qu'il faut leur rendre. C'est là la vraie notion de la philosophie, & λóyos taútns piλocopías. Jamblique donnait également le titre de philosophie chaldaïque à son grand ouvrage sur les doctrines de Zoroastre, et Porphyre appelle philosophe le célèbre théurge Julien, surnommé le Chaldéen 2.

On peut surprendre encore, à peine indiquée dans ce préambule, une autre intention de Porphyre: les poésies théologiques

1) Jambl., Vit. Pyth., ch. xxvm, § 137.

2) Ce savant illuminé avait recueilli, traduit en grec et publié les oracles chaldaïques, donnés, disait-on, par les dieux dans la Chaldée, mais qui en réalité, pour la plupart du moins, semblent avoir été imaginés par des philosophes d'origine orientale, mais versés dans la philosophie grecque. Ce qui n'a pas empêché Proclus d'y ajouter une foi absolue, et d'y voir, avec le Timée, la somme de toute la vraie philosophie.

d'Orphée, qu'on appelait aussi oracles, et les oracles chaldaïques, enseignaient également l'art de bien vivre et d'adorer les dieux; mais quoiqu'inspirés par une assistance divine, c'étaient des hommes qui parlaient à des hommes. Dans les oracles recueillis par Porphyre, ce sont les dieux eux-mêmes, qui parlent directement, sans intermédiaire humain, aux hommes; ce sont eux qui, de leur bouche infaillible, proclament la vérité, et de leur autorité souveraine leur dictent leurs commandements et leurs ordonnances. Ils entrent même à cet égard dans les détails les plus minutieux, comme nous le verrons, pour régler les rites du culte qui leur est dû.

En cela Porphyre imitait Moyse, non sans le vouloir peut-être, et si l'on s'étonne de la puérilité de certains détails rituels que ne dédaignent pas de prescrire les dieux, qu'on se rappelle que dans le Lévitique, c'est aussi Dieu même qui dit : «< Lorsque l'un de vous offrira une hostie de bêtes à quatre pieds, il mettra la main sur la tête de l'hostie... Les prêtres en offriront le sang; ils ôteront la peau de la victime, et la découperont en morceaux. >> C'est que tous deux, connaissant la puissance des rites, qui durent souvent plus longtemps que les idées dont ils ont été primitivement l'expression symbolique, leur attribuaient une origine divine qui en assurât le respect, l'exécution exacte et la longue durée.

»

On ne se bornait pas à consulter les dieux dans leurs temples, et à en recevoir les oracles par l'intermédiaire des prophètes : il y avait un art, une science, l'avaywyn lepati, qui permettait de les faire apparaître personnellement à nos sens, θεαγωγία, θεοπτία. Enseigné et pratiqué par les théurges, obtenu par l'accomplissement ponctuel de certains rites qui délivrent l'âme et le corps de l'impureté de l'aggrégat mortel, cet art donne au fidèle la puissance d'absorber en lui la substance divine, et d'acquérir un empire absolu sur la nature universelle et même sur les dieux. Arrivé à cet état de sainteté, l'homme qui les évoque, devenu xλýtop', les contraint de lui obéir, s'il a employé, selon les

1) Eusèbe, qui nous donne la formule par laquelle le charme qui enchaîne les

règles, les prières et les formules consacrées, qui s'appellent žvάya, tandis que le xλtop, quand il a réussi dans son opéraἀνάγκαι, tion magique, devient l'énavayxès du dieu'. Le miracle qui s'accomplit alors, l'apparition contrainte de la divinité, prend le nom d'éлaywy ou éлолý. Le dieu, quel qu'il soit, obéit à la voix de l'évocateur, bon gré malgré, et plutôt malgré lui, comme ils le disent eux-mêmes. Non seulement ils sont contraints d'apparaître, mais encore de répondre aux questions qui leur sont faites, dussent-ils dire soit ce qu'ils ignorent, soit ce qu'ils savent être faux 2.

Sous quelque forme qu'il apparaisse, soit comme une voix mystérieuse, soit comme un vent qui souffle on ne sait d'où, soit comme un feu, soit comme une lumière qui s'allume soudain, l'évocateur peut obliger le dieu à entrer dans un corps préparé à le recevoir, soit une statue, soit l'officiant lui-même, qui devient alors le réceptacle, le tabernacle vivant et pour me servir des termes techniques de la théurgie, le δοχεύς ou le καταβολικός du dieu. Cette pénétration intime dans le théurge, qui a reçu la substance divine, corps et âme, sous une espèce presque immatérielle, s'appelle expois. Le théurge est devenu l'hôte de la divi

dieux est rompu, ne nous fait pas connaître le texte de l'évocation même : elle se trouve dans les Philosophumena d'Hippolyte, p. 72, éd. Miller: «< Viens, infernale Bombo, terrestre et céleste, déesse des grands chemins, des carrefours, toi qui apportes la lumière, qui marches la nuit, ennemie du jour, amie et compagne de la nuit, toi que réjouissent les aboiements des chiens et l'effusion du sang, qui erres au milieu des ombres, à travers les tombeaux, qui apportes la terreur aux mortels, Gorgo, Mormo, Lune aux mille formes, assiste d'un œil propice à nos sacrifices. » La Revue archéologique, ann. 1873, 2o sem., p. 254, contient la formule d'une incantation magique chaldéenne, qui a beaucoup d'analogie avec la Pappaxeurpia de Théocrite, et la IVe Idylle de Virgile.

1) Qui contraint le dieu. Conf. Wolff, p. 158: xaì máliv ähλos άvayxαČóμevos ἐπεὶ καὶ ἐπανάγκους ἑαυτῶν ἐκδιδόασιν; et Philop., De mund. creat., II, 20 : τοῖς ἐπανάγκοις κατίασι βιαζόμενοι ; id. p. 175 : βιαζόμενοι οἱ θεοὶ παρὰ μοῖραν διὰ τὴν τῶν ἐπανάγκων βίαν.

2) Il faut voir dans le livre des Mystères toute la subtilité métaphysique que déploie Jamblique, ou l'auteur, quel qu'il soit de ce livre, pour expliquer cet état d'asservissement des dieux aux hommes. La contrainte qu'ils subissent est la persuasion, qui est une sorte de contrainte. C'est un acte de la bonté divine; car la bonté est une soumission.

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