Slike strani
PDF
ePub

Il n'y a pas à en douter : les œuvres industrielles, céramique ou métallurgie, où règne le décor géométrique rectiligne, sont proprement doriennes, ou, pour être moins exclusif, sont le produit du mélange de l'élément dorien et de l'élément grec indigène, avec prépondérance du premier. Bien que la Grèce mycénienne ne soit pas, comme on l'a dit souvent avec trop d'assurance, séparée de la Grèce hellénique par un profond et infranchissable fossé, il est bien certain qu'entre elle et la civilisation qui l'a d'abord et presque partout remplacée dans la Grèce continentale, il n'y a que de lointains rapports. Les liens sont assez ténus, en somme, qui les rattachent l'une à l'autre, et ce n'est guère que dans les produits des modestes industries, comme la céramique, qu'on retrouve des traces certaines d'union. C'est de plus en Attique et en Béotie que le style géométrique rectiligne s'est manifesté jusqu'ici avec le plus d'abondance et de caractère original. Il me semble dangereux de rapprocher ces documents de la poésie homérique, avant tout ionienne. Les vases du Dipylon, pas plus que les bandeaux métalliques de même style, ou les fibules béotiennes, n'arriveront jamais à évoquer en ma mémoire aucun souvenir adéquat de l'Iliade ni de l'Odyssée, ni aucune des rares œuvres d'art, comme le bouclier d'Achille, qui y sont décrites. Mon avis est qu'il y a un antagonisme profond entre l'état d'esprit et de civilisation qui se manifeste dans les poèmes, et celui que révèlent les objets de style géométrique rectiligne. Les convois funèbres, les batailles sur terre et sur mer, qui décorent la panse des grands vases funéraires attiques, ont bien quelque chose d'épique, si l'on veut; mais, bien que je sois tout disposé à tenir compte de l'avance considérable que la poésie a dû prendre à une même époque sur les arts mineurs, j'ai peine à reconnaitre dans ces ébauches informes de soldats, de marins ou de pleureuses Achille, Ajax, Ulysse, Hector, Hercule ou Hélène. Je voudrais chercher ces héros dans des œuvres plus libres, moins enfantines, où passât au moins un reflet des poétiques conceptions des aèdes, et j'avoue qu'à ce titre, malgré les objections que je me fais à moi-même, les œuvres du cycle mycénien m'attirent davantage.

D'autre part, puisqu'aussi bien les questions relatives à la religion sont spécialement à leur place dans cette Revue, j'ai, en lisant ce livre, le même regret que j'exprimais en étudiant la Grèce primitive, c'est que M. Perrot n'ait pas assez tenu compte des éléments religieux en étudiant les restes de ce qui est pour lui la Grèce de l'épopée. Sans doute, dans un très intéressant et très brillant chapitre préliminaire, il étudie la religion (p. 11 et s.). Mais cette étude dépasse de beaucoup la Grèce homérique ;

c'est l'histoire du développement des croyances et des types plastiques des divinités qui nous est là retracée à grandes lignes; mais pas plus là que dans les chapitres suivants je ne trouve indiqués les rapports qu'il peut y avoir entre la religion des héros d'Homère et les images poétiques de leurs dieux d'une part, et d'autre part les idées et les types que révèlent les monuments doriens datant du xi au VIIIe siècle. C'est que probablement ces rapports n'existent pas, ou tout au moins sont bien peu de chose.

Pour prendre un exemple, quelle forme de sépulture M. Perrot est-il logiquement amené, par une étude pénétrante du texte épique, à reconnaître comme celle qui correspond le mieux aux rites funéraires des héros? C'est le tumulus d'Achille, ou le tombeau de Patrocle en Troade, et d'autres tumulus du même style, que l'on rapporte de préférence à l'âge mycénien. M. Perrot ajoute lui-même (p. 50): « On n'a pas retrouvé ailleurs qu'en Troade et en Thrace de tumulus semblables à ceux que décrit le poète; d'autre part, là où des tombes ont été rencontrées que l'on est en droit d'attribuer à la période qui suit de près l'invasion dorienne, le type auquel ces tombes se rattachent n'est pas celui que nous avons défini d'après l'Iliade et l'Odyssée; c'est bien plutôt, avec quelques différences secondaires, celui de l'âge mycénien. » Or, de ces tombes, les plus célèbres et les mieux connues sont celles du Dipylon, et l'étude de ces tombes me semble mal située dans la Grèce de l'épopée, puisque d'ailleurs M. Perrot reconnaît (p. 63) qu'elles ont reçu les corps de ces Eupatrides dont l'autorité s'est substituée à celle des rois des dynasties plus ou moins légendaires.

De même, je cherche en vain, parmi les œuvres de sculpture, de céramique, de métallurgie, d'orfèvrerie dont le style est celui du Dipylon, celles qui pourraient bien servir d'illustration aux poèmes épiques. Sans vouloir faire étalage d'une érudition facile, je m'en tiens aux nombreuses gravures qui illustrent si heureusement le volume. En fait de sculpture proprement dite, je ne trouve que des figurines d'ivoire trouvées dans une tombe d'Athènes contemporaine de l'achèvement des deux grandes épopées. La stéphané décorée d'une grecque dont sont coiffées ces femmes, et qui constitue tout leur costume, pourrait faire songer à la déesse Héra. Mais M. Perrot n'émet même pas cette hypothèse; c'est que ces personnages à forme de xoanon n'éveillent nullement en nous l'idée de la brillante épouse de Zeus. Voilà, du reste, avec quelques terres cuites barbares à forme de cloches, les seules figures sculptées ou modelées que nous aient livrées le Dipylon et les nécropoles de son âge. N'est-il pas

étonnant qu'aucun des grands ou petits dieux de l'Olympe, qui tiennent dans l'épopée la place que l'on sait, n'ait été retiré, même à l'état d'idole rudimentaire, des cimetières de cette soi-disant époque homérique?

Et d'autre part, quelles sont les scènes figurées sur les vases? En premier lieu, cela est vrai, des scènes de funérailles : l'exposition du mort sur un lit de parade, au milieu de ses parents et de ses amis désolés, parmi les pleureuses qui vocifèrent en s'arrachant les cheveux. Ce sont là des scènes dont Homère nous retrace plus d'un détail. Mais d'une part ces rites, tels qu'ils apparaissent sur les vases, sont plutôt encore ceux de l'âge archaïque que ceux de l'âge épique, et je suis surpris, d'autre part, de n'y voir aucune allusion au bûcher funèbre pas plus qu'aux sacrifices en l'honneur du mort. La religion est absente de ces tableaux, ce qui m'étonne, s'ils sont vraiment homériques. Les autres sujets sont des batailles sur terre ou sur des vaisseaux, des bataillons ou plutôt des files de soldats en marche, des chœurs de danse, des bandes d'animaux paissants ou se disputant leur proie; mais aucun trait de cette imagerie conventionnelle ne rappelle avec une précision indiscutable les personnages d'Homère, et dans tous les cas je m'étonne que le décorateur n'ait pas essayé d'introduire, par exemple, dans les scènes de batailles, même sous des traits naïvement grossiers, l'image des immortels que le poème nous montre se battant comme les hommes et contre les hommes aussi bien qu'entre eux. Les ouvriers mycéniens étaient certes plus occupés des dieux, et a priori leurs œuvres reflètent mieux l'esprit religieux de l'épopée. Sur les vases du Dipylon, comme sur les fibules de style géométrique et les bandeaux de métal, je ne vois la représentation que d'un être surnaturel sur une coupe (fig. 96) est tracé un groupe de Centaures ailés et sur un diadème d'or divisé en métopes (fig. 115) on voit d'autres Centaures du même type, mais sans ailes. C'est peu, si l'on songe à l'abondance des dieux dont Homère a peuplé le ciel, la terre, l'onde et les enfers.

En résumé, les données des poèmes d'Homère me paraissent concorder rarement avec celles des monuments exhumés des pays complètement ou à peu près complètement doriens, et datant du x1o au viiie siècle, comme ceux du Dipylon. La civilisation que nous ont révélée ces derniers, secs, d'inspiration courte, naïfs jusqu'à l'enfantin, si peu religieux, correspond mal, à mon sens, à celle que la lecture des épopées évoque en notre esprit, riche, brillante, poétique, où la pensée et le culte des dieux préoccupent sans cesse, enfin tout imprégnée d'Orient. Mais, ces objections formulées, la Grèce de l'épopée est d'une lecture aussi

attrayante qu'instructive, et l'on approuve sans contrainte les chapitres où M. Perrot, exprimant la pure substance des textes, qu'éclairent son goût d'artiste et sa science d'archéologue, restitue par exemple le palais homérique, ou recompose tel qu'il devait être, s'il n'est pas une fiction poétique, le bouclier d'Achille.

Après la Grèce de l'épopée, la Grèce archaïque. Le sujet, ici, va s'étendre; les monuments à étudier se multiplient ainsi que les questions à résoudre. Le plan de M. Perrot eût peut-être gagné à ce que l'étude sur la Grèce de l'épopée fût jointe à l'étude sur la Grèce primitive, et que le nouveau volume fût consacré exclusivement à l'archaïsme. Le lecteur n'aurait pas la déception de rester en suspens à la fin du livre XIII, qui constitue la seconde partie du VII volume, et où il est question à peu près exclusivement du temple. Le défaut paraîtra moins grand quand l'œuvre sera complète; mon reproche vient peut-être surtout de mon impatience d'attendre, et du désir que j'ai d'étudier, sous un tel maître, l'histoire de la sculpture ou de la poterie archaïques.

Quoi qu'il en soit, ce XIIIe livre est certainement une des parties les mieux venues, jusqu'ici, de l'Histore de l'Art. M. Perrot et son digne collaborateur, M. l'architecte Chipiez, se sont surpassés. Le caractère spécial de la Revue où j'écris m'interdit de m'arrêter sur ces chapitres pour en faire une minutieuse analyse, et montrer avec quelle ingéniosité savante les auteurs nous font assister au démontage, ou, si l'on préfère, au montage du vieux temple dorique, depuis les origines lointaines où il n'était qu'une cella sans ornements, jusqu'à l'époque où il se dressa, chef-d'œuvre de logique et d'art, avec la ceinture de ses portiques, dans tout l'éclat de sa brillante polychromie. Les fondations, le stylobate, la colonne, l'entablement, le fronton, les plafonds, les combles, les toits, chaque partie et chaque élément est étudié et décrit, expliqué, avec une clarté pour ainsi dire mathématique, et du même coup le lecteur pénètre dans l'intimité du génie grec, qui enfin, au vie siècle, a pris possession de lui-même et marche à grands pas vers les chefs-d'œuvre. L'analyse du temple ionique n'est pas moins fine et délicate que celle du temple dorique, bien que naturellement elle satisfasse moins l'esprit, puisque l'architecture ionique primitive ne nous a pas encore livré ses secrets comme sa sœur. Mais tout ce que l'on peut savoir actuellement, les auteurs l'exposent sans défaillance; rien, par exemple, ne peut exprimer l'art extrême avec lequel ils nous font suivre à pas certains le développement gradué du chapiteau ionique.

Je me permettrai, cependant, une ou deux réserves. D'abord, entraîné

sans doute par la logique du sujet, M. Perrot a quelquefois dépassé les bornes qu'il s'était marquées; il a fait plus d'une incursion sur le domaine de la Grèce classique, alors qu'il n'était peut-être pas absolument nécessaire, et il s'est exposé pour plus tard à des redites inévitables. Mais cela est de peu d'importance; il est souvent utile, quand on fait l'histoire des arts plastiques, d'en prendre à son aise avec la chronologie, car les époques successives s'éclairent l'une par l'autre.

Pour en arriver tout de suite à une critique capitale, je me demande si M. Perrot a trouvé un terrain bien solide pour y asseoir les bases de sa théorie, quand il nous engage à considérer le temple dorique comme le développement naturel du mégaron du palais achéen. Qu'était-ce en somme que ce mégaron, dans sa forme la plus simple, à Troie par exemple? Une salle de réception et d'apparât, ouvrant par une baie sur un vestibule largement ouvert. Ce plan appelle certainement la comparaison avec le temple très simple in antis; mais cette disposition est si peu compliquée, si élémentaire, d'une invention tellement à la portée de tous, que je ne sais pas vraiment s'il est nécessaire de mettre un lien entre l'un et l'autre édifice, et de dire que le second est sorti du premier. N'y a-t-il pas simple coïncidence, et des moins étranges? Ne pouvonsnous pas dire que le premier architecte dorien qui eut à construire une chapelle pour y loger une idole, trouva sans préparation, inventa cette forme élémentaire de la salle carrée ou barlongue précédée d'un vestibule; tout comme l'architecte achéen l'inventa pour l'appliquer au salon de son roi ? D'ailleurs, le mégaron de Tirynthe ou celui de Mycènes sont plus compliqués; devant le vestibule est venu se placer un portique, et nous avons là quelques éléments du temple dorique, mais non les éléments de tout le temple, car il manque l'opisthodome, le portique et la façade postérieure. Parmi tous les plans de temples qu'a relevés M. Perrot, je n'en remarque aucun qui soit construit à peu près sur le plan du mégaron mycénien, pas même le temple d'Assos qui est l'un des plus anciens, pas même l'Héraion d'Olympie, qui nous est présenté, et à juste titre, comme l'un des spécimens les plus caractérisés de l'architectecture religieuse, et nous permet de saisir sur le vif le passage de l'édifice de bois à l'édifice de pierre.

Je voudrais aussi que M. Perrot eût tenu compte d'une donnée qui est sans doute essentielle à la solution du problème. Il a écrit (p. 351): << Créé pour l'homme en vue de la vie princière, le type du mégaron s'est prêté sans effort à recevoir une autre destination plus relevée. C'était le plus noble et le plus beau type d'édifice que l'on connût; il a paru tout

« PrejšnjaNaprej »