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Maria Morewna qu'il saisit et emporte en son château. Le prince Ivan part à la recherche de son épouse, mais ce n'est qu'après une série de durs travaux et grâce surtout à la conquête d'un cheval extra rapide que le trop curieux époux peut enfin reconquérir définitivement la noble reine.

Les exégétes de Barbe-Bleue n'ont pas tenté d'interpréter cette première série de contes; ils se sont contentés de les signaler en passant. Il n'est cependant pas impossible d'en présumer l'origine. Ces divers récits ont dû faire partie des commentaires d'un rituel d'initiation Les joies et les trésors célestes qui sont mis à la disposition du prince ou du moine, sont les trésors de la doctrine sacrée et les joies qui découlent de sa possession. Les quatre-vingt-dix-neuf chambres dont l'accès est permis au troisième calender des Mille et Une Nuits contenaient précisément toutes les richesses du monde ou du Cosmos ou les trésors de la science encyclopédique.

Il reste cependant une chambre secrète que l'on ne devra pas tenter d'ouvrir avant le temps fixé. On y apprend le mot suprême de l'initiation si toutefois on est prêt à l'entendre. Le cheval ou l'aigle des contes indiens sont des montures redoutables que l'initié trop pressé n'est pas en état de gouverner; aussi bien est-il emporté par elles et précipité dans son état premier de misère et d'ignorance. Pis encore, il voyait des deux yeux, désormais il sera borgne.

Les sept mois pendant lesquels le héros du roman des Sept Vizirs résiste à la tentation correspondent aux sept temps ou aux sept degrés de l'initiation; de même que les quarante jours pendant lesquels hésite le troisième calender des mille et une nuits correspondant à une période initiatique. Je n'en citerai qu'un exemple qui lui aussi est un legs du passé. Au pays de Moab et précisément parmi les Arabes, au voisinage du pays des Mille et Une Nuits « celui qui veut devenir fugir doit se retirer au désert où il s'adonne au jeûne le plus strict et à la prière; il répète continuellement les noms de Michaël, Molelalaïl, etc. Il erre dans la solitude, livré à la contemplation

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d'Allah. Bientôt il est en proie aux tribulations, aux angoisses; un personnage mystérieux se présente à ses regards fatigués; il veut le détourner de son entreprise; il lui déclare la guerre. Si le novice veut persévérer, il repousse les attaques du diable, ne retranche rien à son genre de vie et persiste toujours dans ce rude exercice pendant quarante jours. Au bout de ce temps, il est apte à devenir faqir1».

Durant cette quarantaine le candidat à l'initiation était tou jours soumis à nombre de tentations, mais l'une des plus sérieuses était le désir de pénétrer avant l'heure dans le sanctuaire secret où l'on recevait la révélation suprême.

Ces défenses, étant donné l'usage des anciens, étaient certainement commentées par des récits ou des contes analogues à ceux que nous étudions.

Le récit de Grimm intitulé L'Enfant de la Vierge Marie nous fournit le type de la seconde série de contes où nous rencontrons le thème de la chambre interdite. Les variantes en sont assez nombreuses' tout le monde connaît cette charmante histoire :

Adoptée par la Vierge la fille d'un pauvre bûcheron a été transportée au ciel. Un jour, forcée de faire un voyage, la Vierge remet à sa protégée les clefs des treize portes du paradis

1) Jaussen (P. Antonin), Coutumes des Arabes du pays de Moab, Paris, 1988, p. 388.

2) L'Enfant de Marie dans Grimm, Contes popul. d'Allemagne, no 3, trad. Buchon, pp. 132-137; Le Bénitier d'Or dans E. Cosquin, Contes popul. de Lorraine II, 60-61; et les divers parallèles auxquels il réfère: Ey, Harzmarchenbuch oder Sagen und Maerchen aus dem Oberharze, 1862, p. 176; E. Meier, Deutsche Volks maerchen aus Schwaben, 1859, no 36; Asbjernsen. Norwegische Volksmuerchen gesammelt, trad. en all, par F. Busemann, 1847, I, 8; Haupt und Schmaler, Volkslieder Wenden... 1843, II, 179; Waldau, Boehmisches Maerchenbuch, 1860, p. 600; Leskien und Brugman, Litauische Volkslieder und Maerchen, 1882, p. 498; Schott, Walachische Maerchen, 1845, no 2; D. Comparetti, Novelline popolare italiane, 1875, no 38; L. Gonzenbach, Sicilianische maerchen, 1870, no 20. Notons encore un conte flamand, A. Harou, L'enfant de la fée dans La Tradition (1893), VII, 221-223.

en lui défendant d'ouvrir la treizième. L'enfant désobéit et, la porte ouverte, voit, au milieu du feu et de la lumière, la Trinité assise. Du bout du doigt elle touche légèrement la lumière, le doigt devient couleur d'or et elle a beau le laver, la couleur ne s'en va pas

A son retour, la Vierge Marie interroge la fillette qui, par trois fois, nie avoir ouvert la porte défendue. Pour la punir, la Vierge la renvoie sur la terre. La jeune fille s'endort puis, se réveille dans un désert affreux, où elle reste longtemps en proie à toutes les misères.

Passe un roi qui, la trouvant d'une beauté merveilleuse, l'emmène dans son palais et l'épouse. Elle met successivement au monde trois enfants. Chaque fois qu'elle vient d'accoucher, la Vierge lui apparaît et lui demande si elle veut confesser sa faute elle nie toujours et chaque fois la Vierge lui prend son nouveau-né.

On l'accuse d'être une ogresse et on la condamne au bûcher. Déjà elle est attachée au poteau et la flamme commence à s'élever autour d'elle, lorsqu'enfin son cœur est touché de repentir.

Si je pouvais avant de mourir, pense-t-elle, avouer que j'ai ouvert la porte! Et elle crie: - Oui, Marie, je suis coupable!

Comme cette pensée lui venait au cœur, la pluie se mit à tomber du ciel et éteignit le feu du bûcher; une lumière se répandit autour d'elle et la Vierge Marie descendit, ayant à ses côtés les deux fils premiers-nés et portant dans ses bras la petite fille venue la dernière. Elle dit à la reine d'un ton plein de bonté Il est pardonné à celui qui avoue son péché et s'en repent'. >>

En d'autres variantes la Vierge est remplacée par une femme mystérieuse et le ciel par quelque lieu paradisiaque.

1) Ch. Deulin, Les Contes de Ma Mère l'Oye, pp. 175-176. On trouvera le conte entier dans Contes popul. de l'Allemagne, trad. M. Buchon, pp, 132-137 et Contes choisis des frères Grimm, trad. Baudry p. 93-101.

Les contes de cette seconde série peuvent recevoir aussi une interprétation initiatique; cela n'est guère douteux l'enfant de la Vierge a huit ans, l'âge de raison; les douze chambres des douze apôtres symbolisent la totalité de l'enseignement chrétien; la treizième celle du Saint des Saints renferme le secret mystique de l'union divine. On ne peut y accéder qu'en attendant l'heure fixée et à la suite d'un guide sacré. Si l'on s'est trop pressé il faut expier sa faute non seulement par diverses épreuves mais par un humble aveu. Dans cette adaptation chrétienne d'un thème païen, l'idée essentielle demeure.

Dans la variante flamande la chambre interdite est remplacée par une cassette. Celle-ci contient la baguette magique de la fée qui élève l'enfant, c'est-à-dire les pouvoirs ou la puissance qui ne peut être conférée que par l'initiation.

Peut-être, dira-t-on, que ces deux séries de récits ne semblent pas avoir grand rapport avec l'histoire de Barbe-Bleue. Mais il n'en sera pas de même pour la troisième série.

On y retrouve non seulement la chambre interdite avec son affreux spectacle, mais le cheval sauveur des versions de la première série. Croquemitaine y est précipité dans l'huile. bouillante.

Oyez d'abord ce conte qui a été recueilli dans l'île de Zanzibar, chez les Swahili, population issue d'un mélange de nègres et d'arabes Un sultan n'a point d'enfants. Un jour, il se présente devant lui un démon sous forme humaine, qui lui offre de lui en faire avoir, à condition que, sur deux, le sultan lui en donnera un. Le sultan accepte sa proposition; sa femme mange une certaine substance que le démon a apportée, et elle a trois enfants. Quand ces enfants sont devenus grands, le démon en prend un et l'emmène dans sa maison. Au bout de quelque temps, il donne au jeune garçon toutes ses clefs et part pour un mois en voyage. Un jour, le jeune garçon ouvre la porte d'une chambre: il voit de l'or fondu; il y met le doigt et le retire tout doré. Il a beau le frotter, l'or ne s'en va pas; alors il s'enveloppe le doigt d'un chiffon de linge. Le démon, étant

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revenu, lui demande : « Qu'avez-vous au doigt? Je me suis coupé », dit le jeune garçon. Pendant une autre absence du démon, le jeune garçon ouvre toutes les chambres. Il trouve dans les cinq premières des os de divers animaux, dans la sixième des crânes humains, dans la septième un cheval vivant. « O fils d'Adam! » lui dit le cheval, « d'où venez-vous? » Et il lui explique que le démon ne fait autre chose que dévorer des hommes et toutes sortes d'animaux. Il lui donne ensuite le moyen de faire périr le démon, en le poussant dans la chaudière même où il fait bouillir ses victimes. Le garçon suit ces conseils, et, débarrassés du démon, le cheval et lui vont s'établir dans une ville où ils bâtissent une maison, et le jeune homme épouse la fille du sultan du pays'. >>

Il est bien clair que les diverses chambres où le jeune garçon est entré étaient interdites quoique le conte ne semble plus s'en souvenir. Nous en trouvons la preuve en cet autre récit indien de Kamaon:

« Un jeune prince, qu'un yoghi s'est fait promettre par un roi dès avant qu'il fût né, a été emmené au jour dit, par le yoghî, qui lui fait voir toutes ses richesses, sauf une chambre. Un jour que le yoghî était sorti, le jeune prince ouvrit la chambre défendue, et il la vit remplie d'ossements: il comprit que le yoghî était un ogre. Et les ossements, en le voyant, se mirent d'abord à rire, puis à pleurer. Le prince leur ayant demandé pourquoi, ils répondirent : « Tu auras le même sort que nous. Mais y a-t-il quelque moyen de me sauver? Oui, dirent les ossements, il y en a un. Quand le yoghî apportera du bois et fera un grand feu, quand il mettra dessus un chaudron plein d'huile, et qu'il te dira: « Marche autour, tu lui répondras Je ne sais pas marcher ainsi; montre-moi comment il faut faire. Et quand il commencera à marcher autour de la chaudière, tu lui casseras la tête et tu le jetteras dans l'huile

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1) E. Steere, Swahili Tales, London, 1870, p. 381-389 et E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, I, 145-146.

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