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une science qui le mette à même de gagner beaucoup d'argent avec peu de peine.

Le magicien Oh! devient le derviche Oh! dans un conte de Constantinople'. Derviche, magicien ou démon de nos contes européens rappellent incontestablement les croquemitaines initiatiques, les tentateurs rituels et font ressortir la parenté de ceux-ci avec Barbe Bleue.

Son histoire est d'ailleurs nettement apparentée à celle du Magicien et de l'Apprenti. Dans les versions siciliennes, turques et épirotes, le magicien initiateur joue un rôle tout à fait analogue à celui de notre Barbe-Bleue' et nous avons le droit d'en conclure que ce dernier n'en est qu'un équivalent. Le magicien dans l'extrême péninsule italienne est un homme dont la barbe lui tombe jusqu'aux genoux et rappelle à la fois Barbe-Bleue et le Tzar de la forêt. Barbe-Bleue est un tentateur, le tentateur des jeunes femmes ou des fiancées. Il se charge de leur apprendre à garder les secrets de l'époux et peut-être jugera-t-on que cette épreuve était inspirée par une . incontestable sagesse.

b) Le sanctuaire du magicien et la chambre interdite. - Le château de Barbe-Bleue est d'ailleurs une sorte de palais enchanté empli de richesses et de trésors; il en accorde très volontiers la jouissance à la femme qu'il vient d'épouser ou qu'il veut épouser mais il fait une réserve: elle ne pénétrera pas dans la chambre secrète dont il lui remet la clef avec toutes les autres clefs du logis. Cette chambre que l'on pourrait appeler la salle des suppliciées, contient les cadavres de toutes les curieuses qui en ont franchi indûment le seuil : c'est le cabinet d'épouvante.

La maison des hommes, ainsi appelle-t-on la loge réservée à l'initiation des garçons chez les peuples primitifs, est interdite

1) J. Nicolaïdès, Le dervichc Oh! dans La Tradition (1889), III, 206-208. 2) E. Cosquin, Les Mongols, p. 47 citant L. Gonzenbach, Sicilianische Marchen. Leipzig, 1870, no 23; Ada Kaleh n° 26 et J. G. Von Hahn, Grieschische und Albanesische Maerchen. Leipzig, 1864, no 19.

3) D. Comparetti, Navelline popolari italiane. Torino, 1875.

aux femmes et aux enfants et en général à tous les non-initiés. C'est précisément le logis des croquemitaines sacrés. L'Ungunja des Aruntas et des autres tribus centrales de l'Australie est définie par Spencer et Gillen « la partie spéciale du camp où les hommes s'assemblent et dont les femmes ne doivent pas approcher'. » Les Tohes de Sainte Anna, de Saint Christophe et des îles voisines appartenant au groupe des Salomon sont beaux et de grandes dimensions. On y garde les ossements des chefs et des guerriers célèbres ainsi que le crâne des hommes du commun. Les enfants arrivés à l'âge de la puberté y sont enfermés durant une année et quelquefois plus, jusqu'à ce que leur initiation soit complète '.

<< Parmi les Indiens Pueblos dans la partie méridionale des États-Unis les fameux Kivas semblent être une survivance de l'institution primitive de la maison des hommes. Les Kivas sont des salles souterraines qu'on emploie comme lieux de réunion pour les nombreuses sociétés secrètes qu'on trouve dans tous les pueblos'.

C'est la coutume à présent que tous les membres d'un clan soient membres du même Kiva*. Chaque société a son propre Kiva dans lequel seuls les membre initiés peuvent entrer lorsqu'on y accomplit les rites secrets. Les femmes en sont toujours exclues. Les mêmes Kivas servent aussi de temples durant les fêtes

sacrées".

<< La maison des hommes a survécu avec presque toute sa vigueur primitive parmi les tribus d'Esquimaux de l'Alaska. Les Kozges ou Kashims des Esquimaux du Cap du Prince de Galles (détroits de Behring) ne reçoivent les femmes que lors

1) Native Tribes of Central Australia, 656. Cf. aussi Northern Tribes of Central Australia, 335.

2) Gaggin, Among the man-calers, 159-161 et 212-213.

3) Fewker ds Journ. Amer. Ethnol. and Archæol., I (1891), 2 note 1; II (1892) 6 note 1, 14 sq.

4) Mindeleff dans Eighth Ann. Rep. Bur. Elhnol., 134.

5) Bandelier cité par Amer. Antiquarian, XIX (1897), 174. Cf. Ibid., XX (1898), 238.

qu'on y donne des danses publiques. Chaque Kashim est construit et entretenu par la communauté et sert de club, d'atelier et de maison de jeu. On y donne les danses religieuses et on y reçoit les tribus voisines venant en visite'. Il n'y a « presque pas d'événements importants dans la vie d'un Esquimau qui ne soient en rapport avec des rites dans lesquels le Kashim ne joue un rôle important. C'est essentiellement la maison des hommes; à certains moments et durant l'accomplissement de certains rites, les femmes en sont strictement exclues, et les hommes y dorment tout le temps que les règles les obligent à s'éloigner de leurs femmes'. »

On ne saurait douter que les peuples de l'ancienne Europe, les Celtes, les Francs, les Germains, les Ibères et toutes les autres races qui s'y mêlent aujourd'hui ont connu jadis la maison des hommes, le temple où la loge initiatique avec son sanctuaire doublement interdit contenant parfois des crânes, des squelettes voire des cadavres momifiés.

Le rhombe ou grenouille, c'est son nom français, avant de devenir un jouet a été partout employé dans les cérémonies initiatiques où son mugissement passait pour la voix du magicien', on l'employait dans les mystères chez les Grecs et l'on ne peut guère douter qu'il n'ait eu un semblable usage dans toute l'Europe primitive. Sa survivance en France, en Angleterre, en Allemagne permet de supposer la préexistence d'initiations celtiques et germaniques où il jouait un rôle sacré.

Au Maroc l'apprentissage de certains métiers comme ceux de moissonneur ou de chanteur se fait encore auprès de certaines grottes sacrées hantées par des génies".

1) Wickersham ds Amer. Antiquarian, XXIV (1902), 221-223.

2) Nelson dans Eighteenth Ann. Rep. Bur. Amer. Ethnol., 286.

3) Webster, Primitive secret societies, Ch. I: The Men's house, pp. 6-7, 9, 16 et 18. On y trouvera des références à d'autres faits analogues.

4) P. Saintyves, La force magique, pp. 57-63.

5) Löbeck, Aglaophanus, I, p. 700.

6) H. Basset, Le culte des grottes au Maroc. Alger, 1920, pp. 67-68 et 81-85.

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Le conte du Magicien et de l'Apprenti suppose de son côté l'existence de chambres de ce genre dans les pays où il est très répandu. Or comme nous l'avons déjà dit la parenté de ce conte et de celui de Barbe-Bleue est étroite.

Dans les deux versions bretonnes où Barbe-Bleue se confond avec le roi Comorre et la version auvergnate dite du BoucBlanc, la triste princesse ne viole aucun interdit mais se rend dans une chapelle funéraire où les fantômes des malheureuses qui furent mises à mort avant elle lui octroient des objets magiques pour lui permettre de s'échapper. Or, parmi les versions du Magicien et de l'Apprenti nous trouvons une variante albanaise qui s'en rapproche étrangement. Le jeune initié a été pris en affection par le magicien qui lui enseigne aussi quelques sciences mais ce n'est pas ces quelques sciences qui lui servent quand il s'enfuit. Il n'échappe à la poursuite du magicien qu'en jetant derrière lui des objets qui créent tout d'un coup entre lui et son poursuivant une montagne, une forêt et enfin une grande mer. C'est sur le conseil de trois juments trouvées par lui dans une chambre défendue que ce jeune homme a pris avec lui ces objets en s'enfuyant'. Nous trouvons encore une version analogue parmi les contes serbes de la collection Mijatovicz'. Le magicien est remplacé par quatre géants et le jeune homme pénètre dans trois chambres défendues, où il reçoit tour à tour un licou, une clef et une chaîne de fer qui lui servent, après son départ, à réaliser des tours magiques qui attestent qu'il a appris le métier'. Ici Ja chambre ou les chambres défendues se rattachent certainement au logis initiatique et leur parenté avec les chapelles de certaines versions de Barbe-Bleue permet de penser que toutes ces chambres interdites, y compris celles de notre conte sont des équivalents.

1) G. Meyer, Albanische Maerchen, n° 5 dans Archiv. fur Litteratur. geschichtes (1884), XII, 108.

2) C. Mijatovicz, Serbian Folk-Lore, 1874, p. 215.

3) E. Cosquin, Les Mongols, pp. 56-58,

c) Les épreuves initiatiques. - Le type idéal ou essentiel de toute initiation consiste en un simulacre de mise à mort du novice suivi plus ou moins rapidement d'une résurrection. On en citerait d'innombrables exemples.

Lorsqu'un Australien du groupe d'Alice Springs veut devenir magicien «< il s'éloigne du camp et arrive à une caverne qu'on appelle Olkapara, fort vaste, tout à fait comparable aux caves dé nos fées, ou aux souterrains des nagas indous. Là les Iruntarinia vivent dans un perpétuel bonheur. En proie à une grande anxiété l'homme s'endort devant la cave. Au lever du jour, l'un des Iruntarinia sort, et, trouvant l'homme endormi, le perce d'une lance invisible qui pénètre en arrière, par la nuque, passe à travers la langue, en y faisant un grand trou, et ressort par la bouche. La langue reste perforée pendant toute la vie, d'un trou de la largeur du petit doigt, et c'est là, la seule trace permanente et apparente du contact du mage avec les esprits. D'un deuxième coup de lance, l'Iruntarinia lui traverse la tête d'une oreille à l'autre et la victime meurt, puis elle est transportée à l'intérieur de la caverne. Là, l'Iruntarinia lui enlève tous les viscères, et lui en met de neufs, tout en disposant, dans le corps ouvert, des pierres atnongara (cristaux de quartz magiques) puis le ranime, mais il est fou. Cependant la raison lui revient rapidement. Alors l'Iruntarinia le ramène vers le camp et rentre à la caverne. Pendant quelques jours encore le futur magicien délire, jusqu'à ce que, un beau matin, on le voie peint du signe de ses esprits. On reconhaît qu'il est homme-médecine.

« Une autre grande tribu, voisine au nord des Arunta, celle des Warramunga a aussi, parmi ses magiciens des individus initiés par les esprits. Voici résumé, le récit de l'un d'entre eux. Parti au désert, il est obsédé pendant plusieurs jours par des puntidir, des esprits du genre des Iruntarinia, qu'il croit être des magiciens étrangers parce qu'ils lui jettent un sort tel qu'il ne peut allumer son feu par friction; ils le poursuivent, et enfin dans son sommeil le tuent, lui ouvrent le corps, changent ses

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