Slike strani
PDF
ePub

des Confréries de tireurs, coexistence qui fait la preuve de l'ancienneté de la tarramit et de sa captation par l'ordre religieux.

Les scarifications qui sont l'équivalent des tatouages, les remplacent parfois : c'est le cas chez les Nacîria qui constituent une confrérie religieuse groupée autour de Sidi Mohammed ben Naceur, proche parent, frère même dit-on, de Sidi Ali. Leur marque ne ressemble en rien à celle des Tireurs; elle est à la fois un signe d'association et un signe de reconnais

sance.

Le Tal'at el Mouchtari en parle en ces termes : « Les Nacîria ne dissimulent nullement leur qualité, et beaucoup, se conformant à une tradition léguée par le Cheikh Mohammed, portent une marque ostensible de leur affiliation, sous forme de trois traits de tatouage, en avant des tempes, complétés quelquefois par un signe semblable entre les sourcils. Ce signe est appelé le Sceau des cheikhs ». Le Cheik Mohammed en marquait tous ses enfants, dès qu'ils atteignaient l'âge de 7 ans, à l'imitation du Prophète, qui avait donné à ses compagnons une marque spéciale pour les reconnaître au jour de la Résurrection. Le cheikh voulait en outre, que ce tatouage fût le signe affirmant que les Nacîria appartenaient à Dieu comme un esclave à son maître, conformément à l'usage de marquer le plus souvent d'un trait sur les deux joues, l'esclave né à la maison, si bien que dire à quelqu'un : « Je suis pour vous comme l'esclave marqué sur les deux joues », est devenu une expression courante qui signifie le comble de l'obéissance '. » Ces scarifications sont, comme l'anneau à l'oreille, qui signifie tantôt que l'on est l'esclave d'un homme, tantôt celui de Dieu.

A Rabat, on ne fait pas de scarifications entre les yeux; on se borne aux deux ou trois traits des tempes. L'opérateur est un barbier il marque les enfants des familles nacériennes à l'âge de 3 à 6 ans, et son intervention est l'occasion d'une fête

1) M. Bodin, La Zaouia de Tamegrout. Arch. berbères, vol. 3, fasc. 4, année 1918, p. 291.

où le moqqadem, les membres de la confrérie et les parents se réunissent autour d'un repas.

Il y a différentes versions au sujet de l'origine de cette marque. Le Talat el Mouchtari la considère comme une sorte de tradition islamique, et on verra que son opinion est fondée, mais il ne manque pas de légendes explicatives.

On dit, par exemple, que Mohammed ben Naceur était scarifié de la sorte, lorsqu'il se rendit en pélerinage à la « Sainte Maison de Dieu » pour s'y mettre au service du haram, et que ses compagnons adoptèrent sa marque et la transmirent à leurs enfants. D'autres prétendent que c'est au Drâa qu'il voulût donner aux siens ce signe distinctif. Une histoire, d'une portée toute locale, a cours à Rabat: on raconte qu'un des enfants du cheikh affectait quelque dédain pour ses camarades de l'école, et que son père lui fit cette marque, semblable à celle des esclaves noirs pour rabaisser son orgueil; l'exemple aurait été suivi par tous les membres de la famille et se serait généralisé'.

Je ne sais à quelles sources, Ahmed ben Khaled en Naciri es Slaoui (l'auteur du Tal'at el Mouchtari), a puisé son information, mais on la retrouve dans les récits d'Ali-bey 2 : « J'ai remarqué, dit-il, que dans toute l'Arabie, on a le singulier usage de se faire trois incisions perpendiculaires le long de chaque joue; ce qui fait que la plupart des hommes sont marqués de six cicatrices. Je questionnai plusieurs personnes sur les motifs

1) Cette anecdote rapproche, par erreur, les scarifications des taillades nègres. Mais ne faut-il pas attribuer une origine soudanaise à la marque des Khouans de la Zaouïa de Sidi Abid (province de Constantine)? Le nom même du Saint le laisse supposer. Les frères quêteurs, c'est le Dr Carton qui nous l'apprend, portent un tatouage de la joue droite, afin d'être reconnus, dans leurs tournées (L. Carton Ornementation et stigmates tégumentaires des Indigènes de l'Afrique du Nord. Ext. des Mém. de la Soc. d'Anthrop. de Bruxelles, 1909, tirage à part, Bruxelles, Hayez, 1910, p. 13 et communication manuscrite.

2) Voyages d'Ali Bey el Abbassi en Afrique et en Asie, Paris 1814, t. II. p. 415-416.

d'une pareille coutume; les unes me répondirent que c'était pour se faire saigner, d'autres que c'était une marque par laquelle on se déclare esclave de la Maison de Dieu. » Ali-bey est sceptique; « au fond, ajoute-t-il, c'est la mode qui leur commande ces scarifications, qu'ils regardent comme une beauté égale aux peintures bleues, noires et rouges dont se servent les femmes pour teindre leur figures. >>

Les Naciria ont conservé à ces signes, le caractère nettement religieux qu'ils n'avaient déjà plus lorsqu'Ali-bey visita l'Arabie. Ils ont capté à leur usage ces « stigmates divins >> qui, d'après Hérodote', existaient dès la plus haute antiquité, et qui ont conservé de nos jours, chez certains peuples, la même signification. Dans le bassin du Niger, «le tatouage lire les scarifications) atteste la dépendance du fidèle à l'égard de son fétiche' »; en Polynésie, il est «la marque visible de l'alliance avec le Dieu de la tribu »; il est, comme au Maroc, le signe de l'esclavage divin, et il apparaît comme une coutume antique, que le Prophète a adoptée, et que l'orthodoxie, en ce cas un peu inconséquente, n'a pas songé à proscrire, bien que le Qorân ait défendu de porter atteinte à la créature de Dieu.

Au point de vue de la religion, les Zkara, qui habitent à l'ouest d'Oudjda, diffèrent totalement des autres tribus marocaines; ils mangent du sanglier et des bêtes mortes, ils boivent du vin, et ne considèrent pas Mohammed comme un Prophète. Les Arabes les tiennent pour des Kharedjites Abadhites. Il était intéressant de connaître leurs idées sur le tatouage; je me suis adressé à M. Moulieras, leur historien, qui a bien voulu interroger à mon intention, le marabout Ali, un de ses anciens informateurs.

1) Histoires d'Hérodote, Trad. P. Giguet, Paris, Hachette et Cie, 1875, Livre II, CXIII.

2) S. Reinach, Orpheus, Paris, A. Picard, 1909, p. 227,

3) S. Reinach, op. laud., p. 229.

Les Zkaras connaissent le tatouage des tireurs. « Exceptionnellement, m'écrit M. Moulieras (juillet 1918), les tireurs adroits s'arrogent et ont seuls le privilège de se faire sur le haut du bras, à quelques centimètres de l'épaule droite, un tatouage représentant un crabe de rivière. C'est une sorte de prix de tir, une épinglette indélébile, enfoncée en plein derme, qu'ils montrent volontiers, en relevant leur manche de chemise au-dessus de l'épaule, surtout quand ils tirent à la cible, ou sur leurs ennemis. >>

Le tireur Zkara découvre son épaule comme le Mesfioua, mais il y a entre leurs gestes pourtant identiques, la différence de deux pensées : le tatouage Mesfioua est une marque d'affiliation, le dessin Zkara une consécration professionnelle, sans caractère religieux, car dans la tribu, le culte des saints - n'existe pas.

M. Moulieras dit incidemment, dans son ouvrage, « les Zkaras ont adopté, il n'y a pas longtemps le tatouage pour ne pas trop se distinguer des autres Zenètes. » Cette remarque ne s'applique pas à mon sens, au tatouage des tireurs, qui est une survivance, dont les Zkara ont hérité au même titre que les autres tribus du Maroc. Les «rousma » ne maudissent d'ailleurs pas le tatouage; ils considèrent le crabe tatoué, comme une amulette, et prennent, à ce sujet, le contre-pied des jurisconsultes musulmans.

On rattache aux Zkara, les R'enanema du Sud-Oranais et des environs de Marrakech; ils auraient les mêmes idées religieuses et les mêmes mœurs. Les femmes R'enanema du Sud-Oranais sont connues comme diseuses de bonne aventure et comme tatoueuses. J'ai vu leur travail sur la main droite de tirailleurs algériens; il ne rappelait en rien le crabe des Zkara et m'a paru sans caractère spécial.

Les R'enanema de Tamesloht ont un point de tatouage sur le

1) A. Mouliéras. Une tribu zenète anti-musulmàne au Maroc, les Zkaras, Paris 1904, A. Challamel, note 2 de la page 130.

2) M. Mouliéras considère les « rousma » comme les prêtres des Zkara.

nez, que M. Doutté' a déjà signalé. « Serait-ce un signe de reconnaissance », dit cet auteur? Je ne le crois pas, parce qu'on le retrouve, en maintes tribus du Maroc, où il n'a pas cette signification.

Ces R'enanema disent venir du Sahara et se donnent pour les descendants des Kharedjites qui, d'après eux, avaient tatoué, en signe de mépris, le nom de Mohammed sur leur talon. Cette anecdote, où le tatouage joue un rôle aussi inattendu, prouve que la mentalité de la centaine de R'enanema, essaimée à Tamesloht, est bien semblable à celle de Zkara; elle explique l'impression de M. Mouliéras, qui avait vu en eux, des antimusulmans.

Il ne me reste à parler que des Juifs; ils suivent généralement la prescription du Lévitique : « Vous ne ferez point d'incisions sur votre chair en pleurant un mort, et vous ne ferez ni aucune figure, ni aucune marque sur votre Corps »>< (XIX, v. 28).

Les Israélites criminels eux-mêmes ne portent que rarement des tatouages; sur 195 fiches établies par le service anthropométrique de Rabat (fin 1918), je n'en ai relevé que 8 et on n'en trouverait pas une proportion plus forte chez les prostituées. Encore faudrait-il faire une place à part aux femmes tatouées de force par les musulmans. J'ai vu un certain nombre de juives enlevées par les tribus lors des sacs des Mellah de Fès et de Casablanca; quelques-unes portaient encore la siyâla; le plus grand nombre avait essayé de la supprimer au moyen d'un caustique.

La violation, volontaire ou non, de la loi religieuse, comporte d'ailleurs chez les israélites une sanction: les tatouées

1) Doutté, En tribu, Paris 1914, p. 334.

2) Communication de M. Pillet, officier interprète à Marrakech. Il est bien entendu que ce trait qui rappelle celui du chanoine Docre dans le roman de Huysmans, Là-Bas (Paris, 1899, p. 337), n'a aucun fondement.

« PrejšnjaNaprej »