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Cependant, à lire la pénétrante et suggestive étude que M. Raymond Weill a consacrée aux passages de Manéthon conservés par Josèphe1, on est frappé de ce que plusieurs traits de la narration manéthonienne sont confirmés par les sources égyptiennes anciennes. Le fait est si remarquable qu'on s'étonne qu'au moyen de ces documents, les critiques ne tentent pas une reconstitution du récit de Manéthon. M. R. Weill déclare que « ce serait une grande faute de raisonnement » de procéder de la sorte parce que, à son avis, les sources égyptiennes de cette narration ne sont pas à proprement parler des documents historiques, mais plutôt des traditions héroïques. C'est pousser un peu loin le scrupule historique, car une communication de M. Moret devant la Société Asiatique a montré que cette littérature, dite héroïque, reposait sur des bases réelles. Il ne faut donc pas rejeter a priori le témoignage de Manéthon ni celui, plus ancien, de Ptolémée de Mendès, d'après qui l'exode aurait eu lieu sous Amosis, c'est-à-dire serait plus ou moins postérieur à 1580. Le chiffre donné par I Rois, vi, 1, de 480 ans (LXX=440) entre la sortie d'Egypte et la quatrième année de Salomon est évidemment sujet à caution; cependant, il constitue un ordre de grandeur qui n'est pas à négliger en ce qu'il nous reporte vers le milieu du xve siècle avant notre ère. D'autre part, l'addition des années attribuées à l'activité des divers Juges donne un nombre un peu plus élevé qui nous reporte dans la seconde moitié du XVIe siècle. Précisément parce qu'ils offrent une différence fort sensible, et que, par suite, ils ne proviennent pas de la même source, ces deux documents se confirment l'un l'autre, à condition qu'on veuille bien n'y chercher qu'une approximation.

On est généralement mal impressionné par les nombres ronds. d'années que le Livre des Juges attribue à plusieurs reprises à l'activité de ces chefs. Ce sont évidemment des chiffres approchés qui justifient la remarque de M. Desnoyers qu'il n'y a sans doute pas de système chronologique dans le Livre des Juges » (p. 417); mais loin de reconnaître dans ces nombres ronds une notation arbitraire pour indiquer la durée des périodes sur

1. R. Weill, La fin du Moyen Empire égyptien, 2 vol., Paris, Aug. Picard, 1918.

lesquelles aucun renseignement précis n'était conservé, nous y voyons un usage authentiquement ancien puisque c'est celui qu'emploie le rédacteur de la stèle de Mésa au IXe siècle avant notre ère. Quand les rédacteurs bibliques n'ont pas de renseignements touchant l'activité d'un personnage ainsi pour Josué, ils ne donnent pas de chiffre.

Depuis la découverte des tablettes d'el-Amarna, on ne peut guère mettre en doute que des documents écrits concernant la période des Juges étaient conservés dans les archives des premiers rois de Juda. Une preuve directe est fournie par la liste des rois d'Edom «< avant David » que conserve Genèse, XXXVI, 31 et suiv.

Ainsi, dans le cadre même de la tradition, on peut situer l'époque des Juges autrement que ne l'a fait M. Desnoyers. Il en résulterait, entr'autres, une utilisation plus large de la documentation égyptienne, notamment de la stèle de Minephtah mentionnant Israël parmi les populations de Palestine1 ce qui reste inexplicable si l'on place sous ce pharaon la sortie d'Egypte. On pourrait aussi utiliser l'inestimable lot de tablettes d'el-Amarna relatives à la Palestine. Ces observations n'ont d'autre intention que de montrer l'intérêt des questions relatives aux Juges; elles ne doivent surtout pas porter à méconnaître le soin avec lequel l'auteur a composé son ouvrage et la très utile documentation qu'il a réunie dans les notes. René DUSSAUD.

Maurice GOGUEL.

Introduction au Nouveau Testament. Tome III:

le livre des Actes (376 pages). Paris, E. Leroux, 1922.

M. le Professeur Maurice Goguel vient d'entreprendre la publication en 5 volumes d'une Introduction au Nouveau Testament qui entend être une synthèse de ce qu'il est nécessaire de savoir pour comprendre et apprécier justement les plus anciens documents littéraires du christianisme. On sait quelle est l'importante contri

1. Au moment de donner le bon à tirer, on annonce que la mission américaine qui fouille Beisan (Scythopolis. près du Jourdain) a découvert une stèle de Ramses II portant mention des Israélites,

bution personnelle du savant professeur pour élucider quelquesuns des problèmes les plus délicats posés par l'histoire des origines du christianisme. Dans ce domaine, avancer une opinion nouvelle c'est avoir au préalable examiné les hypothèses antérieures et parcouru en tous sens le vaste champ où s'exerce la critique. L'indépendance ne se montre pas uniquement dans la hardiesse des aperçus nouveaux, mais aussi dans l'aveu de l'incertitude et dans la régression, imposée par des motifs purement critiques, vers des positions qui, aux partisans de l'hypercritique, peuvent apparaître trop modérées. Telle est l'indépendance de M. Maurice Goguel; elle fait de lui un guide expérimenté et sûr. Il ne cède jamais à l'attraction de l'hypothèse aventureuse; mais lorsque ses études lui ont permis de frayer un chemin nouveau il ne redoute pas de s'engager à fond. Cette loyauté intellectuelle lui a conféré une autorité scientifique solidement établie. Et la complète maîtrise qu'il possède des multiples questions néo-testamentaires lui permet, dans un travail de vulgarisation comme celui qu'il offre aujourd'hui au public, de ramasser en un vigoureux raccourci les éléments d'ensemble d'une question sur laquelle l'unanimité est loin d'être établie.

Cette Introduction vient à son heure. On sait le renouvellement d'intérêt que suscitent, dans le public intellectuel, les questions relatives aux origines du christianisme. La fréquentation des cours de M. Guignebert, à la Sorbonne, en est une preuve visible. Mais pour s'orienter dans ce champ si labouré et poursuivre personnellement l'étude d'un point spécial, une solide base de départ est nécessaire. On doit savoir gré à notre auteur d'avoir songé au public érudit. Ce n'est pas sans sacrifice qu'un spécialiste se fait vulgarisateur. Mais il n'y a de véritable vulgarisation que là où le savant peut intervenir en faisant le départ entre l'essentiel et l'accessoire et présenter les questions sobrement et sans mutilation. Au surplus, la part personnelle prise par M. Maurice Goguel dans l'élucidation des problèmes posés, l'analyse littéraire et la discrimination des sources est considérable. L'auteur ne laisse jamais dans l'ombre le juge très averti qu'il est, et les hypothèses qu'il propose sont toujours appuyées par les plus sérieuses raisons. L'œuvre de Maurice Goguel, venant après les Introductions de langue française de Godet et de l'abbé Jacquier, ne pourra être suspectée, comme celles-ci, de confession

nalisme. Cette innovation, il nous faut donc la saluer avec une vive gratitude.

Il n'y a pas, dans le Nouveau Testament, de livre plus intéressant à étudier que le livre des Actes. Sa valeur documentaire très mélangée n'empêche pas qu'il ne soit l'une des bases les plus essentielles sur lesquelles repose l'histoire du christianisme ancien. Il comprend, à côté d'éléments nettement inférieurs, des matériaux qui remontent au delà de l'époque de la composition du livre, entre autres les fragments d'un document où les missions de Paul étaient racontées par un collaborateur de l'apôtre, et, dans quelquesuns des discours rapportés, les éléments de couches rédactionnelles primitives. La complexité du problème ne permet pas de porter sur la valeur historique du livre un jugement simple. Et de plus, le livre, dans son ensemble, constitue un type littéraire nouveau « qui, sur quelques points sans doute, se rapproche des formes antérieures, mais qui n'en reste pas moins quelque chose d'original. »>

Après avoir relevé les témoignages de la tradition (pp. 15-36), M. Maurice Goguel résume l'histoire de la critique du livre des Actes. Il observe judicieusement que « l'idée que l'on se fait du livre, des circonstances de sa composition et de sa valeur historique, reflète directement la manière dont on se représente tout le développement du christianisme primitif. » En divisant l'histoire de la critique en quatre périodes l'auteur réussit à sérier en de larges groupes les divers aspects du problème."

Après une période de tâtonnements qui va jusqu'en 1841, la question est posée sur le terrain critique par le théologien bernois Schneckenburger dont les suggestions sont reprises et développées par l'école de Tubingue. Ed. Zeller voyait dans les Actes un écrit tendancieux d'un disciple de Paul s'efforçant de réaliser une synthèse entre le paulinisme et le judéo-christianisme, hypothèse reprise, avec des divergences de détail, par l'école en général, et mise au point par Overbeck (1870) et, plus tard par Jülicher (1894). Les Actes seraient non une histoire, puisque le développement d'épisodes historiques tels que la mission chrétienne ou les biographies de Pierre et de Paul ne répond qu'en partie à la réalité, mais l'apologie d'un pagano-christianisme dénaturé, plus proche du judéo-christianisme légaliste que du paulinisme, projection naïve dans le passé de la situation qui

existait au moment où vivait l'auteur. Le point de vue de l'école de Tubingue fut vigoureusement attaqué; parmi les adversaires de marque il faut citer en première place Reuss et Sabatier.

Il était déjà apparu à l'école de Tubingue que le problème des Actes était avant tout un problème d'ordre littéraire. C'est sur ce terrain que se placent B. Weiss et surtout Spitta, suivi par J. Weiss et Jüngst. En gros, les Actes auraient été constitués par la combinaison de deux sources en partie parallèles : l'une, suite du 3e évangile aurait fourni les discours et les fragments nous; l'autre, de moindre valeur historique, aurait amalgamé des éléments populaires légendaires. Malheureusement, la part de l'élément subjectif est trop considérable dans ces essais de reconstitution, même quand ils sont proposés par des savants de la valeur de Harnack, pour ramener à une conception d'ensemble les résultats de tous ces travaux. Et la question, telle qu'on la posait sur le seul terrain littéraire, se trouvait être mutilée, l'enquête devant porter, ainsi que l'a tenté J. Weiss, à la fois sur le caractère littéraire et sur la valeur historique du récit.

ne

Parmi les travaux récents sur les Actes, il faut mentionner les études de Harnack qui marquent un retour vers les idées traditionnelles, de Schwartz et de Wellhausen, de Norden, etc. Ce dernier, par une minutieuse analyse du prologue, établit que nous possédons pas le livre des Actes sous sa forme originale et que le livre, ainsi envisagé, n'est pas sans rapports avec la tradition héllénique. Loisy, qui se rapproche de Norden, distingue entre Luc, auteur d'un récit de grande valeur historique mais dont il ne reste que des débris, et le rédacteur qui a remanié et gravement mutilé cette œuvre pour des motifs apologétiques.

Le chap. III est consacré à la question du double texte des Actes. On sait que les Actes nous sont parvenus sous deux formes assez différentes pour que des critiques, comme Blass, aient pu penser à deux recensions d'un même texte : un texte dit occidental représenté principalement par le codex Bezae, qui serait la rédaction faite à Rome par Luc; un texte dit oriental dont témoignent le Sinaïticus et le Vaticanus entre autres, et qui serait la rédaction primitive, corrigée, émondée et envoyée par Luc à Théophile. L'hypothèse de Blass adoptée par Nestle, Zahn, Conybeare, a été

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