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Une légende indienne de Pendjab publiée en 1903 nous montre précisément la lutte contre la tentatrice (le candidat est ici un homme) associée à un rituel matrimonial :

Le Radja Rasâlou, après avoir tué plusieurs géants ogres (råkshasas) entré dans leur château, où il trouve une råkshasí. Il feint de consentir à l'épouser; puis il dit: - Faisons les choses selon les règles mettons la chaudière sur le feu; remplissons-la d'huile et marchons sept fois tout autour. De cette façon les rites du mariage seront accomplis. - Pendant qu'ils' tournent ensemble autour du feu, Rasâlou empoigne l'ogresse et la jette dans l'eau bouillante'.

On ne saurait douter que le mariage ait comporté chez nos lointains ancêtres une sorte d'initiation ou d'apprentissage et par suite des rites de probation analogues à ceux qui sont à la base de nos contes.

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Arrivé au terme de notre recherche il nous faut reconnaître une parenté des plus étroites entre nos quatre séries de contes. Chacun des thèmes typiques se ramène à une sorte d'apprentissage. La première série, modèle du calender, nous présente une sorte d'apprenti-mari, la seconde une apprentie-sainte. Enfin la troisième série nous expose l'aventure d'un disciple devenu plus habile que son maître. Tous les héros de cette triple série d'histoires entrent dans un état nouveau qui comporte des avantages, mais où ils sont soumis à une grave tentation. Ces divers récits ne constituent pas des commentaires complets d'un rituel initiatique, mais diverses exégèses légendaires de la tentation rituélique à laquelle on soumet ordinairement les initiés. De même les contes du type de Barbe-Bleue.

1) Cf. Swynnerton, Romantic Tales of Pandjab, Wesminster, 1903, p. 223 sq.

Nos quatre séries de contes comportent toutes des épreuves, qui supposent une sorte d'apprentissage et de formation. Le mendiant qui s'unit à une reine et la fillette transportée au ciel; la jeune épouse de l'ogre ou la fille ravie par le diable; le jeune garçon devenu malgré lui disciple d'un pseudo-ascète, tous sont soumis à des interdits dont la violation peut amener la mort; tous doivent triompher des embùches mortelles que le tentateur organise sur leur route, parfois même ils doivent entrer en lutte directe avec lui.

En réalité tous ces récits ne dépendent pas simplement les uns des autres, mais se rattachent avant tout aux rituels d'où ils sont nés. Bien entendu lorsque l'initiation a disparu, ces commentaires lui ont survécu sous forme de contes. La BarbeBleue européenne et ses variantes, très vraisemblablement ne nous viennent pas de l'Inde historique mais de la décomposition des épreuves auxquelles on soumettait jadis, en Gaule ou en Germanie, les initiés et dont on a longtemps conservé des survivances dans les épreuves du compagnonnage. Dans les migrations préhistoriques, les ancêtres des populations d'Europe apportèrent sans doute avec eux leurs rituels initiatiques et les récits qui les commentaient.

Barbe-Bleue qui nous est présenté dans certaines variantes comme un ogre ou un sorcier est de toute évidence l'équivalent du magicien instructeur et de ces ogres déguisés en yoghi, sandhou voire en saint lama des contes de la troisième série. Ces faux ascètes nous rappellent à leur tour ce démon tentateur, ne les traite-t-on pas eux aussi de démons? - qui se présente à l'apprenti-faqir pour le détourner du droit chemin, ou ces croquemitaines des initiations primitives dont la voix résonne comme un tonnerre?

Il y a des cas cependant où le rôle des personnages démoniaques semble se confondre avec celui du véritable initiateur. Les contes qui se rattachent à cette variante rituélique forment le groupe de l'ogre maître d'école. Nous le rencontrons chez les Mehris de l'Arabie du Sud.

Un sultan n'a qu'une fille; quand elle est grandelette, il l'envoie chez un cadi, qui instruit les enfants. Un jour que la petite princesse arrive en avance à l'école, elle voit le cadi, lequel est un sorcier, en train de manger un petit garçon qu'il a fait cuire au four; elle quitte la maison bien vite. Pendant qu'elle s'enfuit, un de ses anneaux de cheville se détache, et le cadi le ramasse.

« A l'heure ordinaire, elle revient à l'école, et le cadi lui ordonne de rester après que les enfants seront partis. Il lui demande alors ce qu'elle a vu de si extraordinaire, qu'elle en a perdu son anneau de cheville. La petite princesse répond qu'elle n'a rien vu que de beau. Alors le cadi lui dit que, si elle ne le lui raconte pas, il mangera le sultan. « Mange-le », dit la princesse. C'est ce qu'il fait, et ensuite, ne recevant pas davantage une réponse à sa question, il mange la sultane, puis il détruit la moitié du palais.

« La princesse quitte le pays, et, dans sa vie errante, elle fait la rencontre d'un fils de sultan qui, charmé de sa beauté, l'épouse. Ayant mis au monde un petit garçon, elle voit tout à coup apparaître le cadi, qui lui adresse sa question habituelle, ajoutant que, si elle ne lui raconte pas ce qu'elle a vu, il tuera le nouveau-né. Il le tue, en effet, et barbouille de sang la bouche de la princesse, que la sultane-mère à cette vue, accuse d'être une ogresse. Le prince l'épargne; mais, quand deux autres enfants ont encore disparu, il l'enferme dans un château qu'il avait fait bâtir pour elle.

« Un jour le prince doit aller en voyage; il demande à toutes les personnes de sa famille ce qu'elles désirent qu'il leur rapporte; mais il laisse sa femme de côté. Il s'embarque et voilà que le vaisseau ne veut pas bouger. Un matelot plonge, et il voit un personnage qui retient le vaisseau et l'empêche d'avancer. Ce personnage lui dit : « Si le fils du sultan veut que son vaisseau marche, il faut qu'il aille trouver sa femme qui désire lui donner une commission. >>

«La princesse dit à son mari de lui rapporter tels et tels

objets, et, quand elle les a, elle leur conte ses chagrins, et le prince apprend ainsi la vérité.

« Arrive alors le cadi, qui dit à la princesse : « Je suis sous la protection de Dieu devant toi. Tes enfants, ton père et ta mére, tous sont en vie, et ton château (qui avait été à moitié démoli) est à la même place qu'autrefois' ».

Le cadi joue done ici à la fois le rôle du démon tentateur et celui de la Vierge dans l'Enfant de Marie de Grimm et la jeune femme est récompensée d'avoir subi toutes ces épreuves sans avoir jamais révélé à personne le secret qui lui était imposé.

Dans une variante turque de Constantinople l'ogre est remplacé par l'oiseau de chagrin. L'héroïne est condamnée comme ogresse, mais malgré tout garde le silence. Tout à coup, arrive l'oiseau qui la porte dans un grand palais, se transforme en beau jeune homme et dit: Tu as souffert et tu ne m'as pas trahi. Eh bien! j'ai construit pour toi ce palais et j'ai élevé les enfants que voici. Ce sont tes enfants'.

Si l'épreuve de la chambre interdite est remplacée par celle du silence il faut noter qu'elle est peut-être encore plus terrible. Il s'agit toujours de garder un secret, le secret des initiés. Le cadi et l'oiseau de chagrin jouent ici à la fois le rôle du tourmenteur et celui de la Vierge dans l'Enfant de Marie des frères Grimm.

On peut enfin s'expliquer la genèse (de notre seconde série) de contes où manque le démon tentateur.

Qu'il faille remonter, pour expliquer tous ces contes à des croyances et des pratiques fort primitives on ne saurait en douter.

Les couleurs qui ne s'en vont point, la clef d'or qui ne peut se laver, le doigt qui demeure teinté d'or, supposent la foi en des substances magiques qui se comprennent admirablement

1) Alfred Jahn, Die Mehri-Sprache in Sud-Arabien, Vienne, 1902; n° 11. 2) Kunos-Adekale, no 48, cité par E. Cosquin, dans Rev. des Trad. pop. 1914) XXIX, pp. 99.

chez des peuples qui ont foi aux ordalies par l'eau bouillante et le poison. Le sang ou le bain d'or dénonciateur ne répugnent pas plus au rituel initiatique que le poison révélateur au rituel judiciaire.

Au reste on ne saurait nier la parenté de tous ces récits soit que l'on considère le personnage démoniaque qui en joue le rôle horrifique, soit que l'on considère son logis avec son cabinet d'épouvante, soit enfin que l'on étudie la lutte du héros avec l'ogre tentateur et meurtrier; mais il faut encore reconnaître que les divers incidents du conte, en ses diverses variantes correspondent aux divers aspects de la tentation initiatique.

Ce groupement des incidents n'est pas le résultat d'une simple fantaisie de conteur car tous se rattachent à l'idée centrale quoique implicite de la tentation rituélique. Tous les incidents en dépendent et tous s'expliquent par elle. Nous sommes loin de la mythologie solaire et de Gilles de Rais, mais sans doute sommes-nous plus près de la vérité.

P. SAINTYVES.

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