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des Proverbes. Pourquoi Marc raconte-t-il que Judas trahit son Maître en lui donnant un baiser devant les gens venus pour l'arrêter (XIV, 44-46)? Pourquoi, ajoute-t-il immédiatement après que « quelqu'un des assistants, ayant tiré l'épée, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui enleva l'oreille », sans d'ailleurs éprouver le besoin de dire si l'affaire eut des suites? Parce qu'il veut montrer comment s'est vérifié un proverbe connu, interprété en prophétie :

Les blessures d'un ami prouvent sa fidélité,

Mais les baisers d'un ennemi sont trompeurs (XXVII, 6).

Pourquoi le même évangéliste dit-il que les soldats, ayant conduit Jésus au Calvaire, lui donnèrent, avant de le crucifier, du vin mêlé de myrrhe (XV, 23) ? C'est qu'il a lu dans le même recueil :

Donnez des liqueurs fortes à celui qui périt,
Et du vin à celui qui a l'amertume dans l'âme,
Qu'il boive et oublie sa misère

Et ne se souvienne plus de ses peines (XXXI, 6).

Aussi le pieux narrateur a-t-il soin d'ajouter que « Jésus n'en prit pas », pour bien montrer que ses souffrances furent agréées par lui très librement.

Dans l'Ecclésiastique, Jésus ben Sira dit au début d'une hymne (LI, 1, 10, Hb.) :

Je te louerai..., mon Dieu, mon Père.

Plus loin, il ajoute, en s'adressant à ses lecteurs (LI, 23, 26-27):

Approchez de moi, ignorants,

Puisque vous manquez de sagesse....
Amenez votre cou sous mon joug

Et que votre âme se charge de mon fardeau.
Elle est proche de ceux qui la recherchent

Et qui applique son âme la trouvera.

Matthieu transpose ces propos en les mettant dans la bouche du Fils de Dieu, avec une gaucherie qui permet d'en retrouver la source: « En ce temps-là, Jésus, prenant la parole, dit : « Je te rends grâces, Père, Seigneur du ciel et de la terre...... Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et instruisez-vous près de moi... et vous trouverez du repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau léger » (XI, 25-30).

En somme, c'est toute la Bible juive qui se trouve exploitée par les évangélistes. Jean l'insinue d'une façon assez nette. Il fait dire par le Christ aux juifs incrédules « Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, ce sont elles qui rendent témoignage de moi » (V, 39). Luc s'exprime dans le même sens. D'après la conclusion de son Evangile, Jésus, étant ressuscité, apparut sur le chemin d'Emmaüs à deux disciples que sa mort avait bouleversées, il leur montra que cette fin tragique avait été prédite et, « commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur expliqua ce qui le concernait dans toutes les Ecritures (XXIV, 27). Il se manifesta ensuite aux Apôtres assemblés et il leur tint des propos analogues: « C'est bien là ce que je vous ai dit quand j'étais encore avec vous: il faut que soit accompli tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ». Après quoi, continue l'évangéliste, «< il leur ouvrit l'esprit pour leur faire comprendre les Ecritures » (XXIV, 44-45), Dans le livre des Actes, Luc raconte de même que, à Thessalonique, Paul, selon sa cou

tume, entra avec les juifs dans la synagogue et « s'entretient avec eux sur les Ecritures, expliquant et établissant que le Christ devait souffrir et ressuciter d'entre les morts >> (XVII, 2-3). Plus loin, nous lisons que l'Apôtre, s'étant rendu à Bérée, y fit entendre le même enseignement et que ses auditeurs «< recherchaient chaque jour dans les Ecritures si c'était bien ainsi » (XVIII, 11). Ces textes nous font entrevoir à la suite de quel travail complexe se sont formés nos Evangiles. Ils sont le résultat des réflexions accumulées de très nombreux croyants qui ont longtemps relu et médité les divers textes dispersés dans la Bible où pouvait se trouver une annonce du Christ, pour en dégager une histoire de sa vie merveilleuse.

III

Faut-il donc se représenter Marc et ses imitateurs dépouillant section par section les Ecritures juives pour y chercher les textes utiles à leur fin? De leur temps un tel travail n'était sans doute plus à faire. On ne concevrait pas que les communautés chrétiennes eussent attendu jusque-là pour extraire de l'Ancien Testament les passages qui pouvaient s'entendre du Messie. Un tel recueil s'imposait trop pour n'avoir pas apparu de bonne heure. Il était nécessaire aux croyants instruits qui cherchaient dans la Bible la règle de leur foi. Le besoin s'en faisait sentir encore davantage aux missionnaires pour leur propagande quotidienne. Le livre des Actes nous montre tous ces messagers de la bonne nouvelle occupés à prouver par les Ecritures que Jésus est le Christ. On ne peut pourtant pas admettre qu'ils aient emporté dans leurs voyages l'ensemble de la Bible. Beaucoup des rouleaux manuscrits dont ils se seraient ainsi encombrés n'auraient servi que rarement. Un florilège bien assorti de textes messianiques leur convenait bien mieux. Or, dans un tel recueil tous les matériaux de nos

Evangiles se trouvaient déjà réunis. Il suffisait de les agencer en leur donnant une forme historique pour en tirer une Vie de Jésus.

On s'explique par là divers détails qui autrement pourraient paraître étranges. Ainsi Marc annonce, dès le début (1, 2) un texte d'Isaïe (XL, 3). Or, il ne le donne qu'après un autre de Malachie qui n'est point mentionné (III, 2). Les deux citations se trouvent si étroitement soudées qu'elles paraissent ne faire qu'un. Matthieu annonce de même (XXVII, 9), à propos de la trahison de Judas, un oracle de Jérémie où elle se trouvait annoncée. Or, la fin scule de sa citation vient de ce prophète (XVIII, 2-3; XXXII, 6-9). Le commencement est emprunté plutôt à Zacharie (XI, 12-13). De telles méprises ne se comprendraient pas si l'auteur remontait directement aux sources. D'autre part, l'on a à peine à admettre qu'il cite seulement de mémoire en une œuvre de telle importance, dont tous les détails semblent avoir été très étudiés. Tout s'explique bien mieux si l'on admet qu'il travaille sur un recueil d'oracles messianiques pareil à ceux que nous retrouvons dans la littérature ecclésiastique des premiers siècles, par exemple dans le Traité contre les Juifs, attribué à Tertullien, ou dans les Témoignages de saint Cyprien. Là, en effet, ces oracles sont constamment groupés d'après leur sujet, non d'après leur provenance et le premier des textes cités semble ne faire qu'un avec les autres, de sorte que le premier des auteurs mis à contribution couvre les suivants et les fait oublier.

Les évangélistes ne se contentent pas d'invoquer sous un même nom des prophéties diverses dont les fragments pris à diverses œuvres sont cousus bout à bout. Ils composent souvent des récits d'apparence homogène avec les modèles les plus hétéroclites.

S'agit-il de raconter le baptême du Christ pour donner un modèle à celui des chrétiens? Marc montre l'Esprit de Dieu reposant sur Jésus conformément à un oracle d'Isaïe (XLII, 1;

LI, 1). Mais il fait aussi prononcer par le Père céleste à cette même occasion une parole qui est empruntée en partie à un Psaume (II, 7).

Plus loin, quand il dit que le Christ fut conduit dans le désert pour y être tenté et y vivre avec les bêtes (I, 13), il ne fait que lui appliquer un texte du Deutéronome, qui fait une remarque analogue au sujet de l'ancien Israël (VIII, 2). Par la durée qu'il assigne à cette tentation, il montre comment s'est réalisé en un sens nouveau un oracle du livre des Nombres qui fait correspondre les quarante années de la grande épreuve des Hébreux aux 40 jours consacrés à l'exploration de la Palestine par Jésus, fils de Noun, et par ses compagnons, « une année pour chaque jour » (XIV, 33, cf. XIII, 25). Quand il note que la lutte fut menée par « Satan », il pense apparemment à celle que le saint homme Job, figure du Messie, eut à subir de ce même adversaire (Jb., I, 6-12). Enfin, quand il conclut que Jésus, tout en vivant avec les bêtes, était servi par les Anges », il exploite sans nul doute un texte cité à ce même sujet par Matthieu (IV, 6) et par Luc (IV, 10), où le Psalmiste dit au Juste idéal en parlant du Très Haut (XCI, 3): Il ordonnera à ses Anges

De te garder dans tes voies...

Tu marcheras sur le lion et sur l'aspic,

Tu fouleras le lionceau et le dragon.

Ainsi, dans un court récit de Marc, qui ne tient pas plus d'un verset, quatre passages de l'Ancien Testament se trou

vent utilisés.

Le même entrelacement de motifs archaïques empruntés à la Bible se constate sans peine dans les épisodes suivants. Il caractérise l'ensemble de l'Evangile. Or, un tel usage ne se comprendrait guère si l'évangéliste n'avait à sa disposition que le recueil officiel des Ecritures juives où ses matériaux se trouveraient épars. Il s'explique bien mieux si les textes qui

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