Slike strani
PDF
ePub

lieu quand un historien prétend retrouver sur le terrain l'itinéraire d'une procession païenne, on oppose quelque scepticisme à ces hypothèses fragiles. Mais comme la répartition des noms de lieu ne peut guère s'expliquer que par les mouvements de la civilisation, il est légitime de rechercher dans les noms << sacrés » l'histoire des cultes païens. Un peu de critique transforme la carte actuelle en une carte assez précise du paganisme. Il s'agit d'y retrouver le centre de chaque culte et d'en délimiter le cercle de rayonnement; certains indices permettent même de retracer le cheminement des cultes migrateurs et d'en déterminer l'âge relatif.

Pour arriver à ces résultats il importe de travailler sur de grands ensembles de matériaux et de considérer soit la répartition, soit le groupement des noms de lieu.

On peut tout d'abord observer comment un certain type de noms se répartit sur tout le domaine scandinave. C'est ainsi qu'Axel Olrik a comparé l'onomastique des trois grands pays pour démontrer l'identité d'Ull et de Ty. Ce sont des noms différents pour le même dieu du ciel. Le Danemark seul a conservé l'appellation traditionnelle « Ty » qui remonte à l'indoeuropéen; si on la retrouve dans la Norvège occidentale, c'est qu'elle y fut apportée par des colons Harudes venus du Jutland. Par ailleurs, la Norvège comme la Suède ne connaît que le nom nouveau. Si l'on se borne à considérer isolément un ensemble national, la Norvège par exemple, la répartition des noms permet de dresser la carte cultuelle du pays et d'accuser la physionomie religieuse de chaque région. Il apparaît que Frey et Freyja ont leur culte dans le pays de Trondhjem, que Njord (et peut-être Ty) régnent sur les provinces côtières de l'Ouest, tandis qu'Ull et les Dises se partagent la région sudorientale. Telles sont les données brutales de la statistique géographique. Si l'on tâche de les interpréter par l'histoire, on perçoit bientôt les grands courants de civilisation qui propagent les idées religieuses et les cultes: le pays de Trondhjem a subi l'influence de la Suède où Frey était le grand dieu et la

colonisation Harude explique le substrat religieux de la côte occidentale. Si l'on observe dans une région limitée la façon dont les lieux de culte se répartissent sur le terrain, il n'est pas impossible de reconstruire une chronologie relative. C'est dans les centres de peuplement, sur les voies de communication. qu'on trouve les sanctuaires des dieux les plus anciens. Les cultes venus plus tard se sont installés à la périphérie du domaine. La répartition des églises médiévales est elle-même une source d'informations. On sait que l'Eglise s'est efforcée partout d'établir son culte à la place des sanctuaires païens. Tout porte à croire qu'elle a tenu compte de la hiérarchie établie par la tradition païenne : les grandes églises ont certainement succédé à de grands sanctuaires. L'organisation ecclésiastique du moyen âge permet des conclusions intéressantes non seulement sur l'importance relative, mais aussi sur l'àge des cultes païens. L'Eglise n'a utilisé que les centres religieux en pleine prospérité. Les sanctuaires des dieux déchus ne présentaient pas d'intérêt. On a remarqué par exemple que ni Njord ni Ull ne figuraient dans les noms des paroisses suédoises, mais on y trouve les grands dieux de la fin du paganisme : Odin, Thor, Frey et Freyja,

Parmi tous les noms de lieu qui sont répartis sur l'ensemble du domaine scandinave, il y en a qui constituent manifestement des groupes cohérents. Ce qui forme le lien de ces groupes, ce n'est pas l'unité du type onomastique, c'est un système de représentations religieuses. On a remarqué en effet que certaines divinités, toujours les mêmes, groupaient souvent leurs sanctuaires sur des aires restreintes. De tels groupements, attestés en des points divers de la Scandinavie, ne sauraient s'expliquer par les hasards de l'histoire: ils procèdent manifestement de conceptions et de pratiques cultuelles. Cette simple remarque s'est montrée particulièrement féconde. Elle a permis à la toponymie d'éclairer les cultes de la fertilité. Ils ont joué un rôle important dans les régions agricoles et les rites ont culminé dans le « mariage sacré » qui unissait le principe mâle et

le principe femelle, le dieu et la déesse dans l'acte de fécondation. Le culte le plus typique, le plus ancien aussi, est celui qui associe Ty le dieu du ciel à la déesse de la terre, la Nerthus de Tacite. C'est l'état qu'atteste encore un groupe norvégien. Mais ces divinités ont pu être remplacées au gré des modes religieuses ou nationales et la toponymie permet de suivre le renouvellement du personnel divin. Du côté des dieux, Ty peut apparaître sous le nom d'Ull ou il peut être remplacé par Thor qui, au témoignage d'Adam de Brême, de la tradition lapone et du folklore, représente dans le Nord l'élément fécondant du ciel. Ull et Thor s'associent normalement à des déesses comme Freyja ou Hærn. Mais la divinité de la terre, Nerthus, ayant changé de sexe à la suite d'un accident purement grammatical, il n'est pas rare que le principe de la végétation soit représenté par un dieu, Frey par exemple ou Fillin. Ainsi s'explique l'existence de «< couples masculins », à côté des couples anciens qui unissaient le dieu du ciel et la déesse de la terre.

Si l'on essaie de caractériser le mouvement d'études qu'on vient d'exposer, il apparaît sur bien des points que la période actuelle a hérité de la période précédente les grands problèmes dont elle cherche la solution. Sa plus grande originalité est d'en avoir renouvelé la position et les données.

On a indiqué au début du présent article que le xix° siècle s'était affranchi du joug de la tradition eddique, qu'il s'était employé à retrouver en marge de la littérature norroise une religion populaire qui n'affleure pas dans les textes. Le xxe siècle a recueilli les bienfaits de cette émancipation. Les conceptions jadis révolutionnaires sont devenues l'opinion reçue; on ne cherche plus dans l'Edda et chez les Scaldes que la religion d'une élite dans les derniers siècles du paganisme. La critique a redoublé de prudence. Elle n'aborde aujourd'hui l'Edda de Snorri qu'avec une extrême méfiance. Signe des temps: arrivé

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors]

au terme de sa carrière, l'un des maîtres de la génération précédente, M. Eugen Mogk dévoile dans Snorri le fondateur de la «nouvelle mythologique » (cf. Novellistische Darstellung mythologischer Stoffe Snorris und seiner Schule dans FFC., n° 51 [1923]).

Toutefois le problème posé par la critique eddique s'est singulièrement élargi. Il s'est déplacé par le mouvement naturel des études. La civilisation qui se réflète dans l'Edda a cessé de retenir l'intérêt exclusif. Ce que la critique eddique cherche aujourd'hui à préciser, ce sont les origines ou tout au moins les stades pré-eddiques du développement religieux. Elle y est encouragée par l'afflux des matériaux de toutes sortes qu'apportent l'archéologie, le folklore, la toponymie. Aux anciennes descriptions de la religion scandinave, simple paraphrase des textes norrois, on tend enfin à substituer une histoire du paganisme. La toponymie invite à esquisser l'histoire des cultes, l'archéologie retrouve dans le sol les courants de civilisation, véhicules des mythes qu'analyse le folklore. Cette tendance historique est sans doute le caractère le plus frappant des études actuelles. Elle s'affirme dans la disposition extérieure des manuels parus depuis dix ans. L'Altgermanische Religionsgeschichte de M. Karl Helm dont il n'est malheureusement paru qu'un volume (Heidelberg, 1913) rompt avec la tradition des exposés systématiques et se propose de décrire la religion des Germains dans son développement: chaque partie traite comme un tout isolé l'état religieux d'un grande période historique. Le livre de M. Gudmund Schütte Hjemligt Hedenskab « Paganisme danois » (Copenhague, 1919 et en traduction allemande Dänisches Heidentum dans la collection Kultur und Sprache, n° 2, Heidelberg, 1923) sacrifie davantage à la routine dans les chapitres consacrés à la démonologie, mais l'histoire des dieux y est exposée dans sa genèse.

Cette conception nettement historique a donné une importance nouvelle au vieux problème des influences étrangères qui est également un legs de l'époque précédente. On a indiqué plus haut comment la question a été reprise dans un esprit plus

large, avec des données et une méthode nouvelles. Depuis que l'époque eddique et les influences occidentales dénoncées par Bugge ont repris une place modeste dans la perspective historique, on a recherché tous les courants de civilisation qui, dès les époques précédentes, avaient pu amener mythes et cultes en Scandinavie. On a porté l'attention sur l'Europe orientale, sur ces régions d'Asie Mineure d'où tant d'idées religieuses se sont propagées vers l'Ouest et vers le Nord. On croit reconnaîtres, dès l'âge du bronze, des traces de ces influences orientales. Les cultes de la végétation semblent venir de ces régions agricoles du bassin méditerranéen. M. Neckel a même voulu retrouver dans le mythe de Balder l'écho du culte d'Attis et d'Adonis (cf. Die Uberlieferungen vom Gotte Balder, Dortmund, 1920).

Ces vastes problèmes ont sollicité le concours de disciplines très différentes. Plus on a porté les recherches sur le plan de l'histoire, plus cette collaboration est devenue nécessaire. L'intervention de l'archéologie et du folklore dans l'histoire de la religion païenne date, on l'a vu, du siècle dernier. Elle a pris au xx siècle une importance sans cesse croissante. Héritiers des grands folkloristes d'Angleterre et d'Allemagne, les folkloristes scandinaves ont déployé une activité considérable. Ils n'ont pas été seulement de grands organisateurs, il ont élargi le champ des investigations et forgé une méthode de travail. Avec Axel Olrik, Kaarle Krohn, C. W. von Sydow, l'étude des mythes est passée au premier plan; elle a succédé à l'étude des rites populaires. Des disciplines comme la runologie et la toponymie qui étaient encore à la fin du siècle dernier à l'état embryonnaire ont pris un essor subit; elles apportent aujourd'hui un concours inespéré. Uue juste conception du rôle de l'écriture chez les demi-civilisés permet à la runologie d'éclairer le vaste champ de la magie. L'étude systématique des noms de lieu ouvre sur l'histoire des cultes des perspectives insoupçonnées.

Mais ces disciplines ont chacune leur méthode propre et leur objet limité. Elles recherchent les matériaux, les élaborent

« PrejšnjaNaprej »