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toutes leurs habitudes, voient d'un fort mauvais œil qu'on prétende les en déloger et s'appliquent, avec toute l'énergie qui leur reste, à conjurer le péril » ; c'est là plus qu'il n'en fallait pour que son œuvre fût tenue tout de suite, et par nombre de gens de tout bord, en un rigoureux isolement. La Mennais a-t-il souffert de cette « quarantaine»? On peut se demander si, en tout état de cause, il ne s'y fût pas condamné lui-même sa sensibilité, l'a bien dit M. H. Brémond, était «< d'une vivacité, d'une irritabilité et d'une exigence extrêmes ». P. A.

F.STROWSKI. Histoire des Lettres françaises de Ronsard à nos jours (Histoire de la Nation Française, tome XIII). - Paris, Plon-Nourrit, 1923. Un volume in-4° illustré par G. Ripart et M. Vicaire, 614 pages.

Ce livre ne se présente nullement comme un manuel conçu en vue d'une utilisation pédagogique. C'est avant tout un répertoire de jugements pleins d'érudition, de mesure et de finesse sur une vaste période des lettres françaises. Il faudra qu'on discute plusieurs de ces jugements on ne pourra reprocher à aucun d'être vicié par un brutal a priori esthétique ou doctrinal. Non que M. S. salue tous les auteurs qu'il évoque d'une louange uniforme et prudente il a ses préférences, et sa courtoisie est, en jugeant certains, légèrement teintée d'ironie; mais on chercherait en vain, au long de ces quelques six cents pages un déni de justice flagrant, un fait d'incompréhension voulue. Mérite de plus le très délicat historien de saint François de Sales sait à merveille nuancer son jugement, et quelque vives que soient certaines de ses admirations, il ne les administre jamais au lecteur par doses massives: qu'on lise pp. 320-338 son étude du caractère et de l'œuvre de Bossuet : les conseils à qui veut goûter les Sermons, l'analyse de l'élément dramatique et de la structure interne des Oraisons funèbres nous sont présentés avec un tact fort séduisant.

A plusieurs reprises, il rectifie il calme des jugements de mode ou de parti avec seulement une remarque pénétrante, une réserve, un rappel discret à la pondération dans l'hommage. En plein temps d'apothéose ronsardienne, M. Str. signale loyalement la

pauvreté du sens religieux chez Ronsard, cette infériorité de la vie spirituelle chez le grand vendômois. A ceux de nos contemporains qui ont si tôt fait de parler du « théâtre sacré » de Racine, il donne également une leçon de mesure certes il reconnaît que l'auteur de Phèdre a eu des avant 1677 l'angoisse janṣéniste du péché, mais son art n'a pris de couleur proprement religieuse que dans la seule réalisation d'Athalie, et les harmonies d'Esther, « élégie » et « opéra »>, ne tiennent que bien peu des enseignements de Port-Royal. Plus délicat peut-être encore était le jugement de sang-froid à porter sur Joseph de Maistre : la bonhomie subtile de M. S. a fait ici merveille : [Joseph de Maistre], « dans le Pape et le Traité de l'Eglise gallicane, a dit bien des choses pour faire enrager le monde » (p. 463). La page fameuse sur le bourreau est mise par M. S. au nombre des <«< morceaux déclamatoires et déconcertants» qu'on peut çà et là découvrir dans les Soirées de Saint-Pétersbourg. Plusieurs de ces Soirées « gardent la brutalité de l'improvisation etc. Formules habiles, dira-t-on. Nous préférons voir ici de la part de M. S. un souci d'équité, une équité qui parfois lui fait prendre le parti du vaincu, même lorsqu'il semble avoir mérité sa disgrâce M. S. serait tenté par bonté d'âme de défendre Jurieu contre Bayle! (1)

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Pourquoi dès lors s'est-il trop mollement gardé de la séduction de certaines légendes? Car la dernière partie de sa notice sur Renan porte des traces de ce folklore salonnier dont Jules Lemaître avait si complaisamment recueilli des traits. Surtout nous eussions préféré ne pas retrouver sous la plume de M. S. le moindre linéament de ce << portrait imaginaire » de Renan jeté dans le public par l'auteur du Jardin de Bérénice, mais que n'eût peut-être pas signé aussi allègrement l'auteur de la Colline inspirée.

P. A.

(1) Cette justice distributive est-elle cependant tout à fait équitable en ce qui regarde La Monnoye? Dire de lui qu'il fut un « très médiocre écrivain », même avec le correctif de « charmant homme » (p. 129), n'est-ce pas donner au lecteur une idée bien incomplète de ce profond humaniste, de cet admirable ouvrier de notre histoire littéraire ? Et nous laissons de côté ses Noëls de Gui Barozai qui sont, avec les Noëls de Saboly, les perles de notre littérature en patois. Pareillement il semble aujourd'hui reconnu que l'ouvre de Volney a eu autre chose qu'une grande influence sur le développement de la mélancolie» (p. 453). Très différent de Dupuis malgré les apparences, l'auteur des Ruines est tenu pour un précurseur, très conscient de sa méthode, de l'école « mythique » en histoire des religions.

«

FR. PALMER.Heretics, Saints and Martyrs. Cambridge (U. S. A.) Harvard University Press, publié par Humphrey Milford, Londres, 1926. Un vol. in-8° de vi-256 pages.

Des essais, au nombre de sept, qui forment ce livre, trois seulement sont publiés pour la première fois le second, Joachim de Flore et l'Evangile Éternel, et les cinquième et sixième, Perpetua et Felicitas, martyres et saintes et Mani et le Dualisme. Les quatre autres ont paru en 1918 et 1919: I: Les Anabaptistes et leurs rapports avec la liberté civile et religieuse, dans la Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1918; III: Angelus Silesius, le « cherubinischer Wandersmann» et IV: Isaac Watts, l'auteur des hymnes du Puritanisme, dans The Harvard Theological Review, avril 1918 et octobre 1919; VII: La Conception de Jésus d'après les Synoptiques, le IVe Evangile et S. Paul dans The American Journal of Theology de juillet 1919.

L'essai sur Joachim de Flore est brillant et, presqu'en tous ses points, solide et bien informé. Peut-être cependant M. P. n'a-t-il pas suffisamment souligné ce qu'il y a de purement scripturaire chez Joachim de Flore. On en a fait un prophète, il l'est peu, et un mystique, ce qu'il n'est pas du tout. C'est un explanator scripturarum. Ses origines spirituelles sont beaucoup plus chez Jérôme, chez Tichonius, chez Bède, que chez Plotin, le Pseudo-Denys et Scot Origène. Son triévisme s'apparente à celui des sabelliens d'Espagne au vin siècle, Migetius et surtout Beatus de Llebana; mais cet apocalypticien n'a, dans l'essentiel de sa pensée, rien de commun avec Amaury de Bène et David de Dinant qui, l'un et l'autre pour autant que nous puissions les connaitre avec quelque certitude sont des spéculatifs.

M. P. remarque avec justesse que la Concordia et le Psalterion ne renferment aucun des traits précis du « programme » que les rigoristes trouvèrent aisément dans l'Introductorius de Gherardo de Borgo San Donnino; mais l'œuvre authentique de Joachim n'a pas davantage le caractère d'un « poème », malgré ses quelques éléments lyriques, d'ailleurs bien moins nombreux que ne le disait Gebhardt.

Pour retracer, en des pages de vulgarisation adroite et fort animée, les actes des martyres montanistes Félicité et Perpétue de Carthage, il va sans dire que M. P. n'a eu qu'à utiliser le texte et le commen

taire fournis par R. Harris et S. Gifford. Çà et là il intercale dans son récit des gloses personnelles, des remarques de psychologie religieuse très délicates, des textes en connexion avec le document hagiographique, par exemple des fragments typiques du Ad Martyres de Tertullien. Chemin faisant, M. P. donne une traduction intégrale du << journal » tenu par Perpétue entre son arrestation et son supplice. « Nous avons souvent souhaité, dit M. P., de pouvoir causer avec les martyrs avant leur mort, et d'apprendre comment ils l'envisageaient cela nous est permis grâce à ce document » (p. 178).

Dans l'article sur Mani et le Dualisme, M. Palmer traite en philosophe religieux de l'antagonisme entre l'humain et le divin, plutôt que de la doctrine historique de Mani. Ne lui demandons pas des précisions qu'il n'est pas dans son dessein de nous donner sur les relations entre les cosmogonies iraniennes ou sémitiques et le manichéisme classique, sur la parenté de ce dernier avec les spéculations dites gnostiques. Tout ce qu'ont révélé en cette matière les Ecritures manichéennes d'Alfaric et tout ce qu'a résumé le précieux petit livre récent de M. Burkitt a été, peut-être de propos délibéré, omis par M. P. comme non afférent à son sujet.

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Diverses études ont été publiées sur Marcion au Cours du XIXe siècle. Elles sont toutes éclipsées par le livre de M. Harnack. Ce travail magistral décrit successivement dans Marcion: 1° l'homme (né vers 85 à Sinope ville du Pont-Euxin, venu à Rome en 139); 2o la doctrine (le Dieu bon dissimulé sous une enveloppe éthérée est venu en personne sur la terre pour arracher les hommes à l'empire du Créateur qui les torturait. « Lumière des nations » il a accompli son œuvre de salut tout d'abord en nous éclairant); 3° l'influence (énorme); 4o l'œuvre littéraire. C'est sur cette dernière partie que l'on va exclusivement s'arrêter ici.

L'œuvre littéraire de Marcion est double. Elle comprend un travail d'édition et un travail de rédaction personnelle. Comme éditeur Marcion a publié l'Évangile et l'Apostolicon, c'est-à-dire le recueil

des épîtres de Paul. Comme rédacteur il a écrit les Antithèses qu'il a placées en tête de son évangile.

L'évangile de Marcion et son édition des lettres pauliniennes ont péri. Mais plusieurs écrivains ecclésiastiques, notamment Tertullien, ont connu ces deux livres et en ont parlé. Malheureusement les renseignements qu'ils donnent offrent des lacunes lesquelles, dans le domaine des lettres pauliniennes, prennent des proportions considérables. Pourtant, si incomplets qu'ils soient, ils ont pour nous un prix immense. Naguère Zahn crut pouvoir, à l'aide de ces matériaux, procéder à un essai de reconstruction. M. Harnack a renouvelé l'entreprise de Zahn. Il a d'abord interrogé les témoins. Ceux-ci, surtout Tertullien, lui ont rapporté ce que Marcion avait mis dans divers endroits de ses livres et ce qu'il n'y avait pas mis. Là où les dépositions des témoins faisaient défaut, il a eu recours à l'induction qui lui a dit : « Marcion a dû nécessairement éliminer tel texte qui était par trop gênant pour sa doctrine; en revanche il a sûrement gardé tel autre qui lui était franchement favorable; enfin tel texte qui était neutre a probablement trouvé grâce à ses yeux ». Muni de ces réponses il a reconstruit l'Evangile de Marcion, il a reconstruit son Apostolicon; cette reconstruction tantôt sûre, tantôt conjecturale il l'a menée à bien en utilisant alternativement les témoignages et l'induction.

Après avoir rétabli les deux livres édités par Marcion, M. Harnack s'est occupé de leur interprétation. Il a dit comment Marcion luimême interprétait son œuvre et comment celle-ci doit être en réa lité interprétée. Marcion prétendait avoir trouvé l'évangile et les épîtres de Paul dans un état lamentable par suite des interpolations grossières que les chrétiens judaïsants y avaient introduites. Lui, il avait rendu à ces livres vénérés leur pureté primitive, il avait fait œuvre de nettoyage. Son Evangile et son Apostolicon c'étaient donc, à l'en croire, l'évangile et le recueil des épitres pauliniennes débarrassées de toutes les surchages qui les défiguraient aux environs de 140. Mais la réalité est tout autre. Ce que Marcion appelle l'Évangile, c'est l'évangile de Luc amputé des histoires de l'enfance de Jésus et de tous les textes qui contredisaient trop ouvertement la doctrine du Christ spirituel; l'Apostolicon c'est un recueil qui comprend dix des épîtres pauliniennes (les quatre absentes sont les épitres pastorales et l'épitre aux Hébreux) et dans lequel lesdites épîtres n'ont été

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