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les deux dernières catégories de mots se trouvent associées à des noms de dieux. Cette constatation a une portée considérable. Elle permet d'écarter a priori toute une série de noms que l'historien du paganisme serait tenté d'utiliser. Même si l'on n'avait pas la forme ancienne du nom ostrogotique Torstrup, il faudrait se garder d'y voir le nom du dieu Thor, car l'élément -trup, issu d'un ancien -thorp qui désigne un « écart », ne s'associe jamais au nom d'une divinité; il s'agit en réalité d'un nom de personne théophore comme le prouve une graphie du XIVe siècle.

L'étude des noms de lieu pose bien d'autres problèmes de méthode qui n'ont pas encore reçu de solution. La plupart des noms à deux termes sont en réalité ce que les grammairiens appellent des juxtaposés, c'est-à-dire que le premier mot y figure sous une forme fléchie, le plus souvent au génitif (type Tors-vi, Odens-vi, Frös-vi = sanctuaire de Tor, d'Odin, de Frö). Certains auteurs admettent que la juxtaposition est une règle sans exception. D'autres au contraire prétendent qu'il existe dans l'onomastique de véritables composés où le premier mot figure à l'état radical. La question intéresse au premier chef la documentation religieuse. Si l'on n'admet que la juxtaposition, on ne rapportera au dieu Týr que les noms où le dieu est nommé au génitif (Tys-, Tis-) et l'on écartera a priori le nom de la forêt suédoise Ti-veden. Un premier élément Freypeut s'interpréter selon la théorie qu'on professe soit comme le nom du dieu Freyr sous la forme radicale, soit comme le nom de la déesse Freyja énoncé au génitif (Freyju). Un problème analogue se pose pour l'élément Njard- qui apparaît dans l'onomastique à côté du génitif régulier Njardar-. Faut-il voir dans la première forme le radical du nom de Njord? S'il existe des composés à côté des juxtaposés, ont-ils une signification différente? On peut supposer avec M. Magnus Olsen que le rapport syntaxique exprimé par le génitif a correspondu à une réalité cultuelle, que le juxtaposé revendique pour le dieu la propriété du sanctuaire tandis que le composé indique une simple invo

cation.

De tous les problèmes généraux qui dominent la toponymie, le plus important est celui de la chronologie. La solution serait pour l'histoire du paganisme de première importance, mais elle est loin d'être acquise. Tous les essais qu'on a tentés pour établir une chronologie absolue sont restés infructueux, tout au moins pour les noms les plus anciens. Même pour la chronologie relative des divergences redoutables attestent la difficulté du problème. Il suffirait de distinguer les couches successives de l'onomastique et de les étager dans le temps, mais on ne peut se mettre d'accord que pour les couches les plus récentes, celles du bas moyen âge qui n'intéressent plus la civilisation. païenne. Pour l'époque ancienne, on a imaginé les méthodes les plus diverses on a tiré argument de l'inégalité des impositions foncières, des trouvailles de l'archéologie, des noms de lieu, de la répartition des localités sur le terrain. Les systèmes qu'on a fondés sont tous très fragiles, y compris le système éclectique de Noreen qui a rallié beaucoup de suffrages (Ur våra ortnamns historia réimprimé dans le recueil Spridda Studier, III, p. 58 et suiv.). Il apparaît par exemple que les noms cultuels en -vin sont parmi les plus anciens, mais le désaccord commence dès qu'on prétend déterminer un terminus a quo. Certains auteurs commė M. A. M. Hansen, qui se fonde surtout sur une argumentation archéologique, prétendent remonter jusqu'à l'âge de pierre et datent du néolithique le type norvégien en vin. D'autres s'interdisent de retrouver si haut dans le temps les traces de la colonisation actuelle et datent le même type de la fin de l'âge du bronze ou même du début de l'âge du fer.

Ces exemples suffisent à montrer la conplexité des questions. On ne peut signaler ici les difficultés de tout ordre qui peuvent induire en erreur les philologues les mieux avertis. On ne citera qu'un seul fait. Il n'est pas rare dans l'onomastique suédoise que le second élément -vi représente non pas le mot « sanctuaire » mais une forme altérée du mot « bois » (v. suéd. vidhi) où le dh s'est amui. M. Jöran Sahlgren a pu consacrer à celte

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question un article entier Oäkta vi-namn « Pseudo noms en -vi » (dans Namn och Bygd, 1923, p. 110 et suiv.): on y trouvera signalées les bévues des meilleurs auteurs. Les matériaux qu'offre la typonymie sont par nature d'une utilisation délicate; ils sont dangereux pour les historiens du paganisme qui ne sont pas de bons philologues.

La floraison des études toponymiques est relativement récente. Il a fallu les vastes enquêtes et la lente élaboration d'une méthode pour que le travail s'organisât sur le plan de la science. C'est en Norvège que les études actuelles ont pris naissance : elles y ont été le fruit des Norske Gaardnavne. Elles ont trouvé en M. Magnus Olsen un maître incontesté qui joint à la hardiesse du novateur la prudence du philologue. C'est grâce à lui que la toponymie est devenue l'auxiliaire indispensable de l'histoire religieuse. Il a commencé par de petites monographies sur des sujets limités, l'une sur l'ancien nom d'une île du Hordaland méridional (Det gamle norske önavn Njarðarlög dans Christiania Videnskabs Selskabs forhandlinger for 1905, no 5), l'autre sur un nom de lieu suédois (Hærnavi. En gammel svensk og norsk gudinde dans Christiania Videnskabs Selskabs forhandlinger for 1908, n° 6). La première annonce l'une des idées les plus fécondes qu'il ait développées par la suite elle montre comment la toponymie garde la trace des cultes de la fécondité. La seconde est consacrée à l'étude d'une déesse suédoise dont le culte n'est attesté que dans un nom de lieu elle montre qu'on peut identifier une divinité à peu près inconnue par des procédés toponymiques. Ces travaux de détail, complétés par les Stedsnavnestudier « Etudes de toponymie »> (Christiania, 1912) ont préparé le grand ouvrage Hedenske Kultminder i norske Stedsnavne « Souvenirs du culte païen dans la toponymie norvégienne » dont le premier volume est paru en 1915 (dans Christiania Videnskapsselskapets Skrifter. II. Hist.- filos. Klasse, 1914, no 4). Cette publication marque une date dans l'histoire des études sur le paganisme. Elle apporte non seulement des résultats nouveaux, mais une technique nouvelle.

L'objet même des recherches est une véritable innovation : utilisant la totalité de la documentation toponymique fournie par son pays, M. Magnus Olsen cherche à dresser la carte des cultes norvégiens et à en reconstruire l'histoire. Le volume paru ne traite que de la Norvège sud-orientale (Oplandene). En attendant la suite, on pourra consulter du même auteur les Minner om guderne og deres dyrkelse i norske stedsnavn « Souvenirs des dieux et de leur culte dans la toponymie norvégienne »> (Christiania, 1922) qui ne fournit qu'une énumération des matériaux.

L'influence de M. Magnus Olsen s'est largement exercée sur la Suède. Elle est particulièrement visible dans les travaux de M. Elias Wessén qui par son talent et sa curiosité est le vrai disciple suédois du maître norvégien: on a de lui d'importantes études sur les cultes païens d'Ostrogotie: Forntida gudsdyrkan i Östergötland << Cultes d'autrefois en Ostrogotie » (deux articles publiés dans les Meddelanden från Östergötlands Fornminnes- och Museiförening, 1921, p. 1 et suiv. ; 1922, p. 1 et suiv.) et sur ceux de la Suède centrale: Minnen av forntida gudsdyrkan i Mellan-Sveriges ortnamn « Souvenirs des cultes d'autrefois dans les noms de lieu de la Suède centrale » (dans Studier i nordisk filologi, XIV [1923], n° 1). A Upsal c'est Adolf Noreen qui, par son action personnelle plus que par ses publications, a été le grand animateur. C'est lui qui a créé en 1923 le périodique Namn och bygd, le premier organe de la toponymie scandinave. Ce sont ses élèves, MM. Lundberg, Sperber, Wessén, Erik Noreen qui depuis 1912 ont activement contribué à l'essor des études en Suède. La création de l'Institut de Göteborg a allumé un nouveau foyer de recherches, mais il semble que M. Lindroth se soit détourné de l'histoire religieuse à laquelle il avait consacré jadis quelques articles. A Lund, M. Jöran Sahlgren montre également quelque réserve. Il se peut que dans un excès de zèle certains néophytes de la toponymie aient fait abus de l'interprétation religieuse et c'est ce travers que M. Sahlgren a ridiculisé dans une diatribe acerbe « Ar my

tosofien en vetenskap? « La mythosophie est-elle une science?» (publiée par la Société de Lund « Vetenskaps-Societeten >> dans son Årsbok, 1923, p. 29 et suiv.). Mais les critiques les plus justifiées et des plaisanteries d'ailleurs faciles n'infirment pas l'ensemble des résultats obtenus par M. Magnus Olsen et par tous ceux qui ont appliqué à leurs recherches la même rigueur et quelque talent.

Certains historiens qui s'intéressent avant tout à la psychologie du paganisme refusent le secours de la toponymie. Pourtant l'expérience a prouvé que cette collaboration était non seulement légitime, mais fructueuse. Dans un domaine comme le domaine scandinave où, dans les circonstances les plus favorables, l'information directe date de la fin du paganisme, la tradition toponomastique permet de remonter bien plus haut que la tradition littéraire la plus ancienne. Elle atteste des états divers dont beaucoup sont antérieurs à la religion eddique. Certains dieux comme Ull et Njord étaient déchus à l'époque littéraire la toponymie révèle qu'ils étaient jadis des divinités puissantes dont les sanctuaires couvraient le pays. Il apparaît au témoignage des noms de lieu que Njord jouait encore le rôle de la déesse dans les couples de la fécondité et ce renseignement confirme celui que Tacite donne sur Nerthus. La toponymie révèle des noms divins ignorés par ailleurs : témoin cet Ullin qui se substitue normalement à Ull dans la Norvège sud-orientale ou ce Fillin, dieu du champ (germ. felpa, cf. allem. Feld) qui est sans doute Frey sous un masque très ancien. Il existe au contraire des divinités dont nous ne connaissons que le nom (par exemple Hörn que Snorri donne pour un nom de Freyja) ou le rôle mythique (par exemple Rind, la Rinda de Saxo). La toponymie atteste qu'elles ont été l'objet d'un culte et permet, dans certains cas, de préciser leur fonction.

Mais l'intérêt véritable de la toponymie n'est pas dans cette utilisation fragmentaire. Elle ouvre à l'histoire l'accès d'un domaine qui fut jusqu'ici fermé: l'histoire des cultes païens. Il ne s'agit pas de reconstruire des rites sur la foi des noms de

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