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L'auteur avait bien destiné ses lettres à une lecture publique, solennelle, qui devait être faite dans l'assemblée, devant tous les frères réunis 1. Mais il n'avait pas prévu des lectures répétées. Ses lettres étaient des écrits de circonstance. Leur but était de frapper un grand coup. Une fois excommunié, par exemple, l'incestueux de Corinthe, il n'y avait pas lieu de relire indéfiniment l'excommunication. Il est donc probable que Paul n'avait pas assuré la conservation de ses lettres en les faisant tracer sur du parchemin. Il avait dû se servir de papyrus courant.

De leur côté, les assemblées ne songèrent pas tout de suite à faire des copies pour les envoyer au loin, Paul avait demandé aux chrétiens de Colosses de faire passer à ceux de Laodicée la lettre qu'ils recevraient et vice-versa. Il n'avait pas parlé de copies. Dans les autres lettres, il ne vise pas d'autres destinataires que ceux-mêmes à qui il écrit, très personnellement.

Entre le jour où une lettre de Paul fut lue publiquement, à son arrivée, et l'époque où elle entra au commun trésor des églises et dans un cycle de lectures régulières, il s'écoula un temps fort long. C'est vers l'an 95 que, pour la première fois, nous voyons citée une lettre de Paul 3, et tard dans le second siècle le recueil tout entier 4.

Il est probable que la lettre aux Romains, qui est, elle, un petit traité doctrinal, fut la première recopiéé. Elle le fut pour son intérêt général, commé le montrent les exemplaires où le mot Rome a été supprimée et où la fin a été écourtée 3. Son succès fit qu'on rechercha, pour le copier, tout ce qui pouvait rester de Paul, même les billets. Il faut nous représenter en quel état pouvaient être alors les originaux de Paul et quels accidents avaient pu leur arriver.

1. I Thess., V, 27.

2. Coloss., IV, 16.

3. Clém. Rom., Corinth., XLVII, citant I Corinthiens.

4. II Pierre, III, 16. Voyez A. Loisy, Les livres du Nouveau Testament. Paris, 1922 p. 241.

5. Voyez K. Lake, The earlier Epistles of St Paul. 2o éd. London, 1914, p. 335350, 366.

Paul dictait. L'amanuensis écrivait sur le papyrus: Tertius qui traça la lettre aux Romains a mis son bonjour à la fin 1. Une fois la lettre finie, qu'était-elle, matériellement ?

Les billets à Philémon, à Timothéos, à Titus étaient semblables à un grand nombre de billets de même longueur qui nous ont été conservés dans les sables d'Égypte. Ils tenaient sur un seul feuillet de papyrus. Le feuillet était roulé, lié, cacheté et portait au verso le nom du destinataire 2.

Pour les lettres plus étendues, quand un premier feuillet était couvert d'écriture, on en collait un autre à droite, puis un autre, jusqu'à former un rouleau plus ou moins long. Sir Frederic Kenyon a calculé que la lettre aux Romains a dû faire un rouleau de trois mètres cinquante de long3. On pouvait acheter chez le chartopola un rouleau tout collé. Mais quand on ne savait pas d'avance la longueur exacte de ce qu'on écrirait, il était plus pratique de coller les feuillets à mesure. Le papyrus était cher et devait être ménagé.

Ces rouleaux étaient fragiles et de conservation délicate. Par le temps et l'usage, il pouvait leur arriver divers malheurs. Comme les makimono japonais ils s'effritaient aux parties qui fatiguaient le plus dans l'enroulement et le déroulement, c'est-à-dire aux deux extrémités. Ils étaient exposés ainsi à perdre leur début et leur fin. Si la colle employée était trop faible, les feuillets rectangulaires pouvaient se décoller. Une gomme trop forte produisait le même effet : elle rendait le papyrus cassant sur la ligne de collage. Décollé ou rompu en plusieurs endroits, le rouleau se transformait automatiquement en plusieurs petits rouleaux. Il devenait alors difficile à reconstituer. S'il se trouvait mêlé à d'autres rouleaux également rompus, la situation était plus grave

1. Rom. XVI, 22.

2. Voyez, par exemple, B. P. Grenfell et A. S. Hunt, The Oxyrhynchus Papyri. Part. XIV. London, 1920, no 1663 à 1684.

3. F. G. Kenyon, Handbook to the textual Criticism of the New Testament, 2o édit. London, 1912, p. 24 (11 feet 6 inches).

encore. Le scribe chargé de faire une copie pouvait rester perplexe et prendre un mauvais parti.

Quand la phrase était interrompue, il lui était relativement facile de retrouver l'enchaînement littéral. Mais quand la phrase était terminée, il lui fallait chercher la suite des idées, tâche plus haute et plus subtile. Il pouvait faire une conjecture trop prompte. Un faux ajustement en entraînait forcément d'autres. Le puzzle manqué ne pouvait plus être résolu que par l'arbitraire.

De tels accidents sont arrivés à plusieurs des lettres de Paul: l'état de la copie en fait foi.

Plusieurs rouleaux ont dû être trouvés dans un grand délabrement. Il faut examiner en chaque lettre si quelques dislocations ou mauvais ajustements ne se sont pas produits au moment fatal de la première copie.

Deux lettres ont été parfaitement conservées et ont un ordre excellent ou bon. Ce sont celles qui furent adressées à des églises que Paul ne connaissait pas, aux Colossiens et aux Romains. Moins favorisés que les Corinthiens, ils furent plus soigneux.

La première est irréprochable pour l'ordre. La seconde a une petite interversion. Les versets xv, 8-12 interrompent un mouvement très lié de péroraison. Ils doivent, je crois, se lire après x1, 36, où ils apportent un supplément de pensée et de citations 1. Il s'agit probablement d'une note ajoutée par Paul après coup. Elle a dû être inscrite dans l'étroite marge laissée au bas du rouleau. Le copiste n'a pas bien deviné à quelle colonne du texte elle se rapportait. Un cas analogue s'est produit dans une lettre aux Corinthiens (II Cor., XI, 32-33). Le souvenir de Damas et de l'évasion dans un panier a été sans doute ajouté dans la marge. Il faut le lire après le souvenir du naufrage et de la journée passée au creux des vagues (x1, 25).

A part cela, la lettre aux Colossiens et la lettre aux Romains

1. R. Harris a senti que ces versets sont mal placés. Testimonies, Part II, Cambridge, 1920, p. 29.

sont d'une composition très régulière. On y peut admirer comme le génie de Paul, pour impétueux qu'il soit, est méthodique et ordonné. Ce sont les fautes du copiste qui ailleurs l'ont rendu suspect de coq-à-l'âne et de galimatias.

La lettre aux Philippiens est faite avec deux lettres ajoutées bout à bout. Le premier qui s'en soit aperçu est, je crois, Stephan Lemoyne 1. La suture est au milieu du verset III, 1. Les mots : « Enfin, mes frères, adieu, en le Maître »3 sont les derniers mots conservés d'une lettre et ceux-ci : « Vous écrire la même chose, ça ne me lasse pas et c'est plus sûr pour vous » (citation d'un poète comique) représentent le début mutilé d'une autre. Les deux furent prises pour une seule ou bien la copie ne ménagea pas entre elles un intervalle suffisant. Polycarpe, en effet, semble connaître encore plusieurs lettres aux Philippiens 4.

Dans les deux, la situation n'est pas la même. Dans la seconde, la plus ancienne, Paul donne reçu aux Philippiens de l'argent qu'Epaphroditos vient de lui apporter. Dans l'autre, il est en prison. Il renvoie Epaphroditos qui a failli mourir « pour l'œuvre du Messie » et qui portera de ses nouvelles. Il s'excuse pour ces raisons de l'avoir gardé si longtemps. Nous avons donc deux lettres aux Philippiens, A (Phil. III, 1 b-1v) et B (Phil. I-III, 1 a).

La lettre aux Thessaloniciens a dû être trouvée en plusieurs morceaux. Deux ont été intervertis. Il est facile de voir qu'après les versets iv, 11-12 : « Frères, nous vous supplions de vous aimer encore davantage... » doit venir le verset v, 12 : « Frères, nous vous demandons d'estimer ceux qui peinent chez vous... » C'est la série des exhortations

1. Dans le Novum Testamentum de Koppe, 1803 (cité par M. R. Vincent, Philippians and Philemon Edinburgh, 1897, p. xxxi,) Une lettre de Cicéron (Ad fam. V., 8) paraît être dans le même cas (K. Lake, The earlier Epistles of St Paul, London 1914, p 164).

2. La division du Nouveau Testament en versets est commode mais très factice, Elle fut faite par Robert Estienne, vers 1550, pendant un voyage à cheval de Paris à Lyon (E. Jacquier, Le N. T. dans l'Eglise chrétienne. Paris, 1913, tome II, p. 58.) 3. To λonóv... aípete formule courante d'adieu qui subsiste aujourd'hui. 4. Phil., III, 3: inorodás, mais le pluriel s'emploie quelquefois pour le singulier.

finales. Par conséquent, le passage sur la résurrection des morts (iv, 13-v, 11) doit avancer et s'aligner après le verset III, 13, où il est question de la Parousie, ce qui donne aussi une excellente suite. L'interversion est facile à corriger et dans cette lettre le mal est à son moindre degré.

La lettre aux Galates présente un état beaucoup plus grave. Pour rendre compte du texte actuel, il faut admettre, je crois, un accident brutal survenu au rouleau vers son premier quart, par suite duquel un fragment a été détruit ou perdu et trois fragments se sont trouvés détachés et volants.

Le début de la lettre est un exposé historique palpitant d'intérêt, l'exposé le plus ancien et le plus sûr que nous ayons des débuts du christianisme. On a fait savoir aux Galates que Paul n'avait pas de mission régulière et que le seul évangile authentique était celui des apôtres palestiniens. A quoi Paul riposte en colère qu'il tient son évangile de Jésus même et qu'il n'est pas venu en Galatie comme envoyé des apôtres palestiniens. A grands traits, il explique ses relations avec ces « suréminents apôtres ». Il a fait avec eux un accord et ce sont eux qui l'ont rompu. Il arrive à son éclat d'Antioche, II, 14: « Je dis à Képha devant tous : Si toi qui es juif, tu vis à l'étrangère, non à la juive, pourquoi forces-tu les étrangers à judaïser ? » A ce moment, on attend avec une curiosité tendue ce qui arriva et comment Paul partit pour la Galatie.

Au lieu de cela le récit se perd. Il est remplacé par un pathétique morceau d'homélie : « Nous, juifs de naissance, non pécheurs d'entre les étrangers... nous aussi, au Messie Jésus nous eùmes foi!... Avec le Messie je reste crucifié : je ne vis plus, moi, en moi vit le Messie! Vivant en chair, je vis par la foi au Fils de Dieu qui m'aima et se livra pour moi!» Elévation mystique fort belle, mais qui est ici hors de propos et qui appartient, je pense, à un autre contexte. Il n'est pas croyable que Paul, après avoir entrepris de mettre au point des faits essentiels, oublie sa narration serrée et déraille en une envolée oratoire d'un tout autre ton, comme s'il était incapable de suivre sa pensée.

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