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Le tambour et les cymbales battent, la trompette sonne, les eris et les lamentations s'élèvent de tous côtés, se croisant avec les cris des vendeurs qui parcourent la rue. Les porteurs d'étendards se divisent en deux parties les uns disent: «Ma fi ouili» (pas de ouah) les autres répondent : <«illa Ali» (autre que 'Ali).

Les jeunes gens continuant à se frapper la tête avec des couteaux s'excitent et poussent des cris de rage: 'Ali! Haidar! 'Ali! Haidar!

Les gendarmes à cheval et à pied et les policiers, en voyés pour maintenir l'ordre, manient leurs cravaches pour frayer un chemin au cortège au milieu d'une foule innombrable de spectateurs. Des hommes, des femmes, des enfants, sont assis ou debout sur les toits et aux fenêtres des maisons, dans la rue, sur le mur des jardins. Les uns accroupis devant l'étalage d'un vendeur de mechoui ou d'œufs durs sont en train de mastiquer paisiblement leurs kesras; les autres mangent des concombres ou prennent des rafraîchissements; d'autres encore marchandent le prix des figues de barbarie ou des pommes. Les cris de tout ce monde se joignent aux cris de ceux qui célèbrent la fête. Le vacarme devient vraiment étourdissant.

Les cavaliers de Hossein continuent à répéter: O 'Ali! O Hossein! O Hassan!

Les petites filles du palanquin ne se lassent pas de gesticuler, de pleurer et de faire pleurer les femmes qui s'avancent vers elles. Ces dernières balancent leurs mains en l'air et les rabattent ensuite sur leur figure pour égratigner leurs joues, puis, s'agenouillant, elles inclinent le corps en avant pour donner plus de force à leurs gosiers et à leurs poumons et lancent d'une voix assourdissante leurs ouli, ouli, ouli (malheur, malheur, malheur).

Zain El Abidin monté sur le chameau prend un air triste et malade. Il se courbe, puis se relève, en prononçant, d'un air résigné, des vers qui signifient : « Et si le Prophète vous demande un jour O croyants, qu'avez-vous fait de mes petits-fils? Que direz-vous? Nous les avons massacrés ! »,

puis il se recourbe sur son chameau en pleurant et les gens qui l'entendent pleurent aussi.

Quant à Yazid et ses cavaliers, ils ne font qu'aller et venir le long du cortège, tantôt se tenant debout sur les étriers et faisant des simulacres de menaces avec leurs sabres, tantôt caracolant et gesticulant.

La civière est entourée par des hommes qui se frappent la poitrine de plus en plus fort, puis, excités, les uns se débarrassent de leur chemise, les autres de leur veste et les jettent par terre. A un moment donné, on ne voit plus que des torses nus et des mains qui de toute leur longueur tracent une courbe au-dessus et en arrière de la tête puis retombent vivement, avec un mouvement d'ensemble, sur la poitrine. Ce sont ceux-là qui, en tournant autour de la mosquée, font le plus de bruit. Une fois arrivés à la hauteur de la fenêtre qui donne à l'est, ils s'arrêtent, puis se retournant du côté de la mosquée, ils frappent de toute leur force leur poitrine et poussent des cris terribles, des cris de rage: 0 Hassan! O Hossein! Ils continuent leur marche en chantant : « Ouèn jiddi el Moustafa ou bouiy ou hali yehoufouni » (où sont mon grand père, le prophète, mon père et mes parents pour qu'ils viennent voir mon état).

Le tour de la mosquée est fait deux fois sous une chaleur accablante et au milieu d'un bruit effroyable; puis, dès que le cortège est de retour dans la cour de la mosquée, les jeunes gens qui se frappent la tête avec les couteaux, s'arrêtent et se groupent pour laver leurs blessures autour d'un bassin dont l'eau devient rouge en un clin d'œil. Ils se bandent ensuite la tête avec un linge qui a servi à épancher leur sang. On prétend qu'ils n'emploient aucun remède pour guérir leurs blessures la foi est suffisante. N'empêche que quelquefois la mort vient démentir la croyance.

Tout le cortège est dans la cour. Silence! Yazid se tient debout sur ses étriers et adresse la parole à Zain El Abidin : « Je suis, dit-il, Yazid fils de Moa‘wiah, fils d'Abou Sofian qui fut la gloire des Arabes ». Ses cavaliers répondent en gesticulant comme lui avec leurs sabres : « Votre famille est la

plus noble des familles arabes. » Zain El Abidin se relève alors, regarde la foule d'un œil triste et continue: « Voilà ce que deviennent les descendants du Prophète. » Des cris, des lamentations partent de tous côtés, puis de nouveau le silence se fait. Yazid prend alors une gargoulette pleine d'eau, la soulève avec sa main et dit : « Zain El Abidin, vois-tu l'eau? Elle est agréable à boire; mais tu n'en auras pas. » Il lève ensuite la gargoulette vers sa bouche, boit, donne à boire à ses cavaliers et, reprenant la gargoulette, il verse l'eau par terre et continue en s'adressant toujours à Zain El Abidin « Tu vois? je verse l'eau par terre et tu n'en auras pas. » Zain El Abidin se relève puis, se retournant vers la foule « Ne voyez-vous pas, dit-il comment on torture les descendants du Prophète? »>

Yazid donne des ordres à ses cavaliers relativement aux prisonniers et se retire toujours gesticulant avec son sabre et disant : « Jour heureux! Jour de fête pour les habitants de Damas ! »> Tout le cortège, accompagné jusqu'à la sortie par les cris et les pleurs des fidèles, se retire et disparaît.

Seuls, les hommes qui se frappent la poitrine, restent devant la porte de la mosquée, et c'est là que les coups qu'ils se portent atteignent le plus haut degré de violence : des voix rauques râlent le même refrain: 'Ali, Hassan, Hossein. Les hommes aux torses nus tracent toujours avec leurs bras des courbes au-dessus de la tête, en les rabattant vivement et avec cadence sur les poitrines. Ils continuent ainsi avec des périodes d'excitation et des périodes de calme relatif jusqu à ce que le Grand Saïd apparaisse au milieu d'eux. C'est la fin de la cérémonie.

Un notable ou un homme riche ou encore la communauté a préparé dès le matin plusieurs grands plats qu'on fait venir dans la cour et tous ceux qui ont faim avancent. Dieu les rassasie deux fois.

10 moharrem 1342.

Ct MALINJOUD.

LES ORIGINES DE LA RELIGION HELLÉNISTIQUE (1)

I

Parmi les cultes innombrables du monde grec il y en avait deux, qui se distinguaient de tous les autres par une organisation très sérieuse et, ce qui en était le résultat, par un prosélytisme très actif : l'un c'était celui d'Apollon Pythien, l'autre, celui des Grandes Déesses d'Eleusis. Leur ressemblance va très loin; je me borne ici à rappeler que ce sont les deux seuls qui aient eu à Athènes et probablement ailleurs, leurs «<exégètes » ou interprètes semblables aux pontifes romains, ce qui fait supposer l'existence à Delphes comme à Éleusis, d'un droit pontifical ou droit canon; l'Euthyphron de Platon nous en montre l'importance.. Leur différence, il est vrai, va plus loin encore, ce qui est bien naturel, du reste, puisque autrement ils se seraient inutilement répétés l'un l'autre. Delphes, c'est le jour, la clarté, la vie active et consciente; Éleusis, c'est la nuit, le mystère, la mort et l'outretombe. Avec ces domaines différents ils se complétaient l'un l'autre admirablement, et puisque c'était Apollon qui avait le devant dans l'opinion religieuse de la Grèce, nous ne sommes pas étonnés de voir Déméter chercher sa protection pour son propre prosélytisme qui, en effet, s'opère « selon la prophétie de Delphes ».

Apollon Pythien avait le devant; c'est qu'il avait, au moins dès le vie siècle, ce qu'on peut appeler une politique extérieure. A ce temps là son culte était déjà devenu un culte panhellénique, il avait atteint ce but soit en fondant un peu

1. Mémoire lu dans la séance plénière du Congrès international d'Histoire des Religions à Paris, 10 octobre 1923.

partout des cultes filiaux (des « Pythia »), soit en s'assujettissant les cultes apolloniens jusqu'alors indépendants comme celui de Cumes à l'Ouest ou celui des Branchides à l'Est. Dès lors il s'agissait de faire de la religion apollonienne, déjà panhellénique, une religion mondiale. A l'Ouest, c'était la Rome des Tarquins qu'il fallait gagner; à l'Est, la Lydie des Mermnades. En tout cas c'étaient les premières positions dans le monde barbare; ensuite, on verrait. C'est ce qu'on peut appeler le songe d'or de Delphes. On y réussit admirablement : les deux Tarquins d'une part, Alyattès et Crésus de l'autre devinrent des adorateurs zélés d'Apollon Pythien. Mais l'échec ne tarda pas à venir: Crésus vaincu par les Perses, Tarquin le Superbe chassé par les républicains. Dans cette situation fâcheuse Delphes, il faut le dire, déploya plus d'adresse que de magnanimité en lâchant les vaincus, on tàcha de s'arranger avec les vainqueurs. A Rome, grâce aux livres Sibyllins, la réussite fut complète, et le pontificat de Delphes n'eut pas à se repentir d'avoir accordé sa protection à la jeune république l'hellénisation de la religion romaine en fut le résultat. Mais à l'Est l'alliance antinationale de Delphes avec les Mèdes, « descendants de Médée », ou bien, si on le préfère, avec les Perses « descendants de Perseus »> ne porta pas bonheur aux prêtres d'Apollon; malgré ces généalogies, complaisamment forgées par Delphes dans un but, qui n'était que trop transparent, les Perses restèrent pour les Grecs les barbares par excellence et la protection perfide qu'Apollon Pythien offrit à l'envahisseur, au préjudice de la cause nationale, le compromit inutilement dans l'opinion des patriotes sans aider de beaucoup le protégé. Ce fut la cause nationale qui triompha à Salamine; ce jour-là le songe d'or de Delphes s'envola dans l'éther.

Pour toujours ? Nous le verrons.

II

En attendant, Déméter d'Éleusis travaillait patiemment à la consolidation de son royaume mystique; en abandonnant à

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