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Le Président ayant insisté pour avoir le vote précis des Pléni- 1878 potentiaires russes, le Comte Schouvaloff dit, qu'aux yeux de son gouvernement, les observations des délégués roumains ne peuvent qu'augmenter les difficultés de la discussion; car, assurément, la Russie ne se laissera pas accuser par eux sans se défendre. Cependant, si la majorité du Congrès se prononce pour l'admission, les Plénipotentiaires russes ne sauraient être seuls à vouloir éloigner des contradicteurs, et ils ne s'opposent point à la proposition de Lord Salisbury.

Les Plénipotentiaires ottomans n'ayant point élevé d'objection, le Prince de Bismarck dit qu'il a voulu subordonner son vote à celui des puissances spécialement intéressées, et consent également, au nom de l'Allemagne, à l'admission des Représentants roumains.

Le Comte Andrássy, avec l'assentiment de la haute Assemblée, exprime le désir que les délégués de Roumanie soient entendus dans les mêmes conditions que les ministres de Grèce.

Le Président annonce qu'en conséquence, il invitera les Représentants roumains pour la séance de lundi prochain.

Le Congrès commence la discussion des articles du traité de San Stefano relatifs à la Roumanie. Le Président donne lecture du 1er alinéa de l'article V ainsi conçu:

>> La Sublime Porte reconnaît l'indépendance de la Roumanie qui fera valoir ses droits à une indemnité à débattre entre les deux parties.<<

Le Président demande si le Congrès est disposé à maintenir, sans condition, le principe posé dans cet alinéa, ou bien à le subordonner à l'acceptation par la Roumanie des remaniements territoriaux qu'elle paraît vouloir repousser. Son Altesse Sérénissime n'a pas d'avis personnel sur ce point, mais désire savoir si les Représentants d'autres puissances considèrent que l'indépendance de la Roumanie est liée à la reconnaissance par cette principauté de la totalité du traité de San Stefano, et s'ils ne regardent point, par conséquent, comme connexes les deux questions de l'indépendance et des changements territoriaux.

Le Comte Corti fait remarquer que les préliminaires de San Stefano ont été conclus entre la Russie et la Turquie, et que la Roumanie n'a pu y prendre part, étant placée sous la suzeraineté de la Porte. Son Excellence ne jugerait pas équitable d'admettre que la principauté soit liée au même degré que le gouvernement ottoman. Il ne croit pas opportun de faire dépendre l'indépendance de la Roumanie de son adhésion aux stipulations qui la

concernent.

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Le Comte Schouvaloff ne partage point cette opinion. La Roumanie a proclamé, il est vrai, elle-même, son indépendance, mais cette indépendance ne peut être effective sans l'assentiment de l'Europe; et le Congrès est en droit de statuer, sans rechercher si la Roumanie est engagée ou non par les autres articles du traité de San Stefano.

Lord Beaconsfield a vu avec le plus vif regret les stipulations de l'article XIX du traité de San Stefano relatives à la Bessarabie. D'abord cette combinaison est une immixtion dans le traité de 1856, et il n'y avait qu'une extrême nécessité qui pût autoriser un changement dans un acte aussi solennel; au surplus, cette nécessité n'a même pas été alléguée. En second lieu, ce serait aux yeux de Son Excellence une grave erreur que de considérer cette stipulation comme un simple échange de territoire entre deux états. Les articles IV et XX du traité de Paris constituent un engagement pris entre les puissances européennes et la Russie, dans le but d'assurer la liberté de la navigation du Danube, et son Excellence ne trouve aucune garantie pour cette liberté dans le traité de San Stefano. Dans l'article IV du traité de 1856, les puissances alliées se sont engagées à restituer à l'Empereur de Russie tous les territoires occupés par leurs troupes, mais sous la condition indiquée dans l'article XX, qu'une rectification de la frontière russe aurait lieu en Bessarabie »pour mieux assurer la liberté de la navigation du Danube«. C'était un engagement pris envers l'Europe. Aujourd'hui, cependant, le gouvernement russe se propose de retenir les territoires restitués sans remplir les conditions sous lesquelles ils étaient restitués. Le Premier Plénipotentiaire d'Angleterre appelle sur une situation aussi grave toute la sollicitude de la haute Assemblée. Lord Beaconsfield déplore cette ingérence dans le traité de Paris et proteste contre elle sans avoir même à se préoccuper de savoir si l'échange dont il s'agit est ou non sanctionné par le possesseur actuel. Les autres signataires du traité de Paris ayant décliné toute intervention dans cette affaire, le Premier Plénipotentiaire de la Grande Bretagne ne saurait conseiller au gouvernement de la Reine d'employer la force pour maintenir les stipulations de ce traité; mais il proteste contre ce changement, et attend les explications que ses collègues de Russie seront en mesure de donner sur les engagements que leur souverain entendrait prendre pour la sauvegarde de la liberté du Danube.

Le Prince Gortchacow pense, comme Lord Beanconsfield, que la libre navigation du Danube est un intérêt européen, mais son Altesse Sérénissime ne voit pas quelle influence la cession

de la Bessarabie peut exercer sur la libre navigation du Danube. 1878 La Roumanie, en effet, n'est absolument pour rien dans les améliorations dont le cours du fleuve a été l'objet: Sans doute le traité de Paris a donné à la Moldavie, une partie de la Bessarabie et le delta du Danube, mais, en 1857, les mêmes puissances ont restitué, le delta aux turcs, et elles ont rendu ainsi service à la Moldavie, qui était hors d'état d'exécuter les travaux nécessaires pour le libre accès de la bouche de Soulina. C'est depuis lors que la commission européenne du Danube a exécuté les grands travaux d'où sont résultés de si importants avantages pour le commerce du monde.

Son Altesse Sérénissime, envisageant la question à un autre point de vue, rappelle qu'en 1856 la Bessarabie n'a été adjointe qu'a la seule Moldavie, à une époque où les principautés devaient rester séparées. Plus tard, la Valachie et la Moldavie se sont réunies malgré le traité de Paris, et nonobstant l'opposition des cabinets européens, les principautés-unies ont élu un prince etranger pour lequel, d'ailleurs, son Altesse Sérénissime professe le plus grand respect: la situation n'est donc plus la même qu'autrefois. Le Prince Gortchacow déclare, d'ailleurs, que son gouvernement ne saurait reculer dans cette question et espère que Lord Beaconsfield ne persistera pas dans ses objections lorsque Son Excellence aura reconnu que la liberté du Danube n'aura rien à souffrir de la rétrocession de la Bessarabie.

Le Comte Schouvaloff dit que, s'il a bien compris les observations de M. le Premier Plénipotentiaire d'Angleterre, le noble. Lord a regretté que le traité de San Stefano constitue une immixtion dans le traité de 1856 par lequel la Russie a contracté des engagements envers l'Europe. M. le Plénipotentiaire de Russie croit devoir rappeler que le traité de San Stefano est une convention préliminiaire, n'ayant de force obligatoire qu'entre les deux parties contractantes et par laquelle la Russie a entendu faire connaître d'avance au gouvernement turc les demandes qu'elle formulerait plus tard devant l'Europe. C'est dans cette intention que la Russie est venue au Congrès à la suite d'une guerre longue et victorieuse. Le noble Lord a ajouté qu'il ne regarde pas la rétrocession de la Bessarabie comme nécessaire. Le Comte Schouvaloff pense que Lord Beaconsfield ne saurait éviter de reconnaître que, lorsqu'une nation est rentrée en possession d'une partie de territoire qu'une guerre précédente lui a fait perdre, il est difficile de faire abandonner à cette même nation le territoire qu'elle a reconquis. En ce qui concerne la libre navigation du Danube, M. le Plénipotentiaire de Russie présentera quelques explications qui lui semblent de nature à satisfaire Lord Beaconsfield. La ques

X. Recueil.

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la

1878 tion de Bessarabie pouvait être envisagée par la Russie comme une question d'ambition et d'intérêt ou comme une question d'honneur. La Russie a voulu la réduire à une question d'honneur, et c'est pourquoi elle ne redemande pas les parties du territoire dont la possession aurait pu constituer une menace ou du moins une ingérence dans la libre navigation du fleuve. Enfin, elle offre, en retour, à la Roumanie, un territoire plus vaste, conquis au prix de son sang, et qui doit être considéré comme de bonne prise. Le Comte Schouvaloff a la conviction que Roumanie ne perd point au change. Quant au principe de l'intégrité et de l'indépendance de la Roumanie, Son Excellence pense. avec Lord Beaconsfield, que de tels principes ne doivent pas seulement être exprimés par des mots, mais doivent être une réalité. Or, la Roumanie ne saurait sauvegarder réellement son indépendance et son intégrité tant qu'elle persisterait à vivre sur les dépouilles d'un grand empire qui se croit en droit de revendiquer un lambeau de son ancien territoire. Le Comte Schouvalof! est fermement persuadé que la Roumanie elle-même, que toute l'Europe, est intéressée à ce que cette question soit résolue dans le sens des aspirations légitimes de la Russie.

Le Prince Gortchacow désire ajouter une observation relative à la valeur de l'échange.

La Roumanie n'obtiendrait pas seulement à la suite de la guerre à laquelle elle a pris part, la reconnaissance de son indépendance et la destruction des forteresses qui menaçaient sa sécurité. Il a été stipulé en sa faveur des annexions éventuelles qui augmenteraient son territoire dans la proportion de 3500 kilom. carrés en étendue, de 80.000 âmes comme population. comparativement à ce qu'elle aurait à céder, et qui lui assureraient, en outre, le delta du Danube, que l'Europe lui a enlevé en 1857; certains districts fertiles, comme celui de Babadagh, et un bon port de commerce sur la mer Noire.

Le gouvernement impérial de Russie a done la conviction. non-seulement de maintenir un droit, mais de se placer sur un terrain d'équité en réglant sur des bases mutuellement avantageuses avec le gouvernement roumain une question sans la solution de laquelle ils serait impossible d'établir entre la Russie et la Roumanie les bons rapports nécessaires à la consolidation de la paix en Orient.

Son Altesse Sérénissime considère que ces indications démontrent suffisamment que la Russie ne demande pas pluqu'elle ne donne. Le Prince Gortchacow veut, en outre, rappeler qu'en réalité tous les droits et priviléges de la Roumanie lui ont

été assurés au prix du sang russe. Il n'y a aucun traité conclu 1878 par la Russie avec la Turquie, depuis un siècle, qui ne contienne des stipulations favorables aux roumains. Son Altesse Sérénissime désire ajouter une observation psychologique et regrette d'avoir à constater que si, dans la vie privée, il arrive souvent qu'en rendant service à un ami, on le transforme en adversaire, cette vérité est encore plus applicable à la politique. Le Prince Gortchacow se borne à citer l'exemple des roumains, et son observation lui paraît de nature à rassurer pleinement ceux qui semblent redouter que la Russie n'acquière le dévouement absolu des populations pour lesquelles elle s'est imposé les plus grands sacrifices.

Le Prince de Bismarck déclare que, quant à la nécessité d'assurer la libre navigation sur le Danube, il partage complétement les idées de M. le Premier Représentant de l'Angleterre, mais il ne voit point de connexité entre la liberté du Danube et la rétrocession de la Bessarabie. Il s'associe, pour ce qui est de la Bessarabie, à l'opinion des Plénipotentiaires russes en se plaçant moins au point de vue des intérêts de la Russie qu'à celui de la paix durable de l'Europe. Son Altesse Sérénissime croit, en effet, que le traité de Paris eût été plus solide si l'on eût écarté cette question d'amour propre, cette diminution de territoire qui, d'ailleurs, n'affectait en rien la force d'un si grand empire. Le Prince de Bismarck pense que l'oeuvre du Congrès serait incomplète si la haute Assemblée laissait subsister une disposition à laquelle se rattacherait pour l'avenir un souvenir pénible à la nation russe tandis que les intérêts de la Roumanie ne paraissent pas contraires à l'échange proposé. Il craint que le Congrès, en se refusant à satisfaire au sentiment historique de la Russie, n'atténue les chances de durée de son oeuvre.

Le Président croit, d'ailleurs, qu'il serait préférable d'ajourner la discussion jusqu'au moment où les Représentants roumains auront été entendus dans la séance de lundi prochain. Il ajoute qu'il désire mettre à l'ordre du jour pour la prochaine séance, il y a lieu, la question du Monténégro après avoir terminé celle de la Roumanie.

Cette proposition est acceptée par le Congrès et la séance est levée à 4 heures et demie.

(Suivent les signatures.)

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