Slike strani
PDF
ePub

psychique populaire dans laquelle vécut ce Jean inconnu était constituée par un extraordinaire mélange de croyances, datant parfois des Hittites et des Assyriens, auxquelles s'étaient plus ou moins adaptées des croyances grecques, pour ne nommer que les courants principaux. Car on venait aux sanctuaires de l'Asie Mineure, pays riche et bien peuplé, depuis la Russie méridionale, le Caucase, le Turkestan, la Perse, peut-être l'Inde, le Tibet et la Chine.

A la fin du règne de Domitien, les chrétiens ne forment encore dans les villes que des minorités de « communistes >> ou de « bolcheviks » ; ce sont gens de basse classe, mal vus des commerçants positifs et des castes sacerdotales locales, dont ils sapent à la fois l'influence morale et les finances. Le poème, qu'on s'accorde à regarder comme virulent autant que les injures d'un charretier, grossier, chaotique, est né dans ce milieu et s'adresse à ce milieu, non pas à l'homme de la rue, entendez-moi bien, mais aux prêtres qui organisaient alors dans les diverses cités le culte chrétien. Et je dis bien « le culte », mais non pas la morale chrétienne; car l'Apocalypse n'a point de tendance morale; Jean hurle seulement avec force vous serez damnés si vous ne m'écoutez pas; si yous m'écoutez, tout ira bien; c'est-à-dire avant toutes choses, obéissez-moi !

Si l'on accepte mon point de départ, le reste de mon explication va tout seul. Ce point de départ est que Jean l'Inconnu prêche pour lui-même, non pas pour le Christ, ou pour l'Eglise chrétienne tout entière (car que peut savoir de la géographie méditerranéenne et de l'histoire de Rome ce dervichehurleur ?), mais pour sa propre église, à laquelle il annexe le christianisme, qu'il affirme la vraie chrétienne, comme ont fait avant et après lui bien d'autres fondateurs ou chefs de secte, si nombreux en Orient.

La contexture du poème répond-elle à cette hypothèse ? Pour n'être pas taxé de partialité, je cite M. Loisy : « On s'accorde à reconnaître l'unité de style qui règne dans l'Apocalypse... La plupart des commentateurs admettent l'existence

d'un plan régulier, les sept lettres, les sept sceaux, les sept trompettes, les sept coupes marquant dans le livre une division assez nette et comme les étapes du drame eschatologique à partir de l'état présent des communautés [chrétiennes] jusqu'à la fin du monde actuel et l'organisation d'un monde

nouveau. »

Ce premier point est important Jean sait ce qu'il veut et où il va ; ou plutôt, comme on verra, son plan lui était imposé par le but à atteindre, à savoir révéler ce qui était secret, mystérieux; car le mot grec Apocalypse signifie non pas prophétie mais révélation.

<«< Mais, ajoute M. Loisy, si le cadre est suffisamment tracé, les scènes qui s'y déroulent ne sont pas toujours bien liées entre elles ni équilibrées dans leur propre structure. Les doublets ne manquent pas, ni les surcharges, ni les anticipations. C'est sur les incohérences du fond et de la rédaction que la plupart des critiques ont fondé leurs hypothèses touchant les sources ou traditions qui ont été incorporées dans notre livre. Enfin l'artifice par lequel le septième sceau recouvre en quelque façon les sept trompettes, la septième trompette les sept coupes, la septième coupe les événements de la fin qui amènent le règne du Christ et le règne de Dieu, trahit la combinaison rédactionnelle bien plus qu'il ne réalise l'enchaînement des faits. >>

Or c'est précisément ce double caractère des prétendues incohérences et maladresses d'abord, puis de l'enchaînement du premier détail de chaque série au dernier de la série précédente, qui m'a conduit à chercher une explication autre que purement littéraire, rédactionnelle et verbale.

Il me faut, pour être intelligible, résumer le contenu du poème, ou plutôt de ce que je regarde aussi comme un véritable drame, mais au sens rituel et shakespearien. Pour éviter à mon tour le reproche d'incohérence, je formule de suite ma théorie :

L'Apocalypse est le catéchisme d'un rituel d'initiation à una secte asiano-judéo-chrétienne composite, peut-être fondée, du

moins dirigée par ce Jean inconnu, secte que d'autres ́ communautés chrétiennes refusent d'adopter et qui, si elle englobait toutes les communautés deviendrait l'Eglise par exceilence et assurerait la salvation et le bonheur de l'humanité. Mais pour devenir membre complet de cette sccte, il faut se conformer à un rituel d'initiation par étapes, dont le secret doit être gardé et dont le sens ésotérique ne peut être dévoilé que par Jean lui-même et ses prêtres accrédités. Donc :

<«< Qui a oreille, entende

Ce que l'Esprit dit aux communautés ! »

Le poème commence en effet par toute une série de menaces adressées par Jean à sept églises d'Asie Mineure choisies comme représentatives et dont les membres ne veulent pas l'écouter, dont certaines préfèrent même adopter l'enseignement de sectes rivales, comme celle des Nicolaïtes à Pergame. Mais ceux qui accepteraient sa doctrine recevraient un << caillou blanc, avec, sur le caillou, un nom nouveau inscrit, que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit ». Quiconque a lu des descriptions d'initiation sait que le novice change de nom, et que ce nom doit rester secret ; parfois un symbole est inscrit sur un cbjet, qui est une flèche, ou un os enveloppé d'herbes, de cheveux, etc., et qui ici est un caillou blanc. Ce détail a beaucoup intrigué les commentateurs; il n'y a rien dans la littérature juive qui l'explique ; mais les mystères asianiques, le culte de Dionysos, l'orphisme, etc., fournissent des parallėles suffisants.

De même à ceux de Sardes, il dit que ceux qui seront avec lui marcheront avec lui en blanc, « le vainqueur sera couvert de vêtements blancs ». Bref, il tâche d'attirer des adeptes tantôt par la menace et tantôt par de belles promesses. Il se garde de dire qu'il agit ainsi de son propre mouvement dès le début, il s'est mis à l'abri derrière une Vision, où son Christ lui ordonne d'écrire tout ce qui lui sera révélé comme parole de vérité. Jean ne se donne que comme l'interprète de la parole divine de même dans les rites d'initiation australiens

et nègres, le chef de cérémonie se dit en communication avec la divinité; le shamane des Sibériens se met en état de transe et raconte ses visions du monde céleste. Tout ce début, avec la vision inaugurale et le rêve à Pathmos, appartient à une catégorie magico-religieuse bien connue des ethnographes. Mais rares ont été les shamanes, magiciens, prêtres inspirés ou thaumaturges qui ont su décrire eux-mêmes leurs visions, ou dont l'ouvrage écrit ou dicté nous soit parvenu. Il faut, pour des parallèles plus anciens, se reporter notamment au Livre des Morts et au Livre de l'Ouverture des Portes égyptiens. Mais dans l'Apocalypse, sous l'influence de la littérature prophétique juive, la Vision n'est pas donnée seulement comme une description de faits actuels; elle a pris en outre la forme d'une prophétie, c'est-à-dire d'une description de l'avenir qui attend le novice, la secte et ses ennemis.

Aucune erreur n'est possible: Jean explique lui-même dans quel état il se trouvait :

Je fus en extase le jour du Seigneur,

Et j'entendis derrière moi une voix éclatante,

Comme de trompette...

Et je me retournai pour voir la voix qui me parlait

Et retourné, je vis sept candélabres d'or

Et au milieu des candélabres (quelqu'un) pareil à fils d'homme Vêtu de manteau long

Et ceint à la poitrine de ceinture d'or.

Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme laine blanche ses yeux étaient comme flamme de feu,

ses pieds pareils à airain brillant purifié en fourneau, et sa voix comme de grandes eaux ;,

et il avait en sa main droite sept étoiles,

de sa bouche une épée à deux tranchants, affilée, sortait son visage était comme le soleil brillant en sa force.

Jean effrayé tombe évanoui; l'apparition met sur lui sa main droite et lui dit de ne pas craindre, mais d'écrire ce qu'il a vu et verra.

Les commentateurs se sont donné une peine inouïe pour

expliquer ce portrait; même M. Loisy dit qu'il est difficile de s'imaginer le Christ tenant sept étoiles dans sa main, étoiles que certains ont regardé comme étant celles de la Grande Ourse. On s'est demandé pourquoi le Christ a le visage tout blanc, et des cheveux blancs, puisqu'il est jeune ; et qu'est-ce que ce glaive affilé, qui sort de sa bouche? Ainsi de suite, non seulement pour ce passage, mais pour bien d'autres. Et plus on a commenté, plus tout est devenu inintelligible.

[ocr errors]

Mais supposons qu'il s'agit d'un rite d'initiation ce n'est plus le Christ de l'Evangile, mais l'image d'une divinité composite dénommée Christ, cachée dans le saint des saints, qui apparaît à Jean ; à tout prendre, cette image est encore moins extraordinaire que celles des divinités hindoues dont précisément le Musée Guimet vous peut faire voir des variétés plus apocalyptiques » encore que celle de Jean. Les commentaires n'ont plus à porter alors que sur les éléments plastiques que Jean a combinés pour donner à sa secte un dieu qui fût en même temps païen et chrétien. « Nonobstant les analogies bibliques, note M. Loisy, ni cette robe, ni cette ceinture », ni, ajouterai-je, malgré le parallélisme de quelques textes juifs, les sept candélabres (qui ne sont pas un candelabre à sept branches), les cheveux ni le visage blancs, ni le glaive sont du symbolisme proprement juif ». Et plus loin : « le symbolisme de notre auteur ne doit pas être aussi décousu qu'on le suppose ».

[ocr errors]

Voilà qui est bien dit; mais je crois que ce n'est pas du symbolisme seulement, que cette description signifiait quelque chose pour les auditeurs de Jean, que cette image composite existait vraiment, en nature, que Jean ne l'a même pas décrite en entier, et que c'est elle que le novice voyait en subissant les épreuves par étapes qui, le séparant du monde profane,

devaient l'agréger

au monde sacré de la secte.

Au cours de chaque étape, d'autres objets et personnages sacrés lui sont encore présentés, d'ordinaire par sept, chiffre sacré en Orient dès longtemps ce qui a subsisté à travers . tous les cataclysmes mieux que les systèmes rituels bien

« PrejšnjaNaprej »