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et les prêtres de la secte pourront donc lui adjoindre aisément des membres nouveaux en les initiant suivant la règle, puisque par ce livre, Jean a non seulement fixé définitivement la forme des rites à exécuter, mais en a donné aussi l'interprétation secrète, le catéchisme ésotérique. D'où cette exigence finale, qui n'est pas tant littéraire que rituelle, de conserver le texte intact, sous peine des fléaux de Dieu, de la mort et de la damnation éternelle.

Telle est, Mesdames et Messieurs, la substance de mon interprétation ritualiste. J'ai laissé de côté bien des détails, et je sais que pour certains d'entre eux il y aurait matière à bien des discussions. Mais il importait d'abord de présenter les lignes générales de mon hypothèse. Que si on consent à l'examiner de plus près, je demande avant tout qu'on ne le fasse qu'après avoir lu des descriptions détaillées de cérémonies d'initiation des demi-civilisés modernes. On en trouvera dans les Rapports du Bureau d'Ethnologie de Washington, dans les monographies de Spencer et Gillen sur les Australiens, dans le recueil de Frobenius, Masken und Geheimbuende Afrikas, dans les ouvrages énumérés par Webster, Primitive secret societies, et dans mes Rites de Passage. De toutes celles que je connais, la plus << apocalyplique» est certainement celle qu'a publiée, sous le titre de Zidji (Saint-Blaise, près Neuchatel, 1910) le missionnaire Henri Junod, et qui met en action la lutte entre le christianisme et le paganisme nègre; n'était que chaque scène de cette longue cérémonie sud-africaine est expliquée à fond, on se croirait dans un monde de détraqués et de maniaques. Je voudrais aussi qu'on n'oubliật ni les mystères grecs, ni surtout l'orphisme et le mithriacisme.

Un point faible de mon argumentation pourrait être qu'on Le voit pas pourquoi Jean aurait ainsi décrit le scenario initiatique de sa secte, et que cet acte est isolé dans l'antiquité. Mais si on remonte plus haut, on constate que ce fait s'est produit. Je connais au moins un texte cunéiforme qui est de ce point de vue comparable à l'Apocalypse. Découvert en 1904 à Kalah Shergât, localité construite sur l'ancienne

Assur, publié et traduit par Zimmern, puis traduit et commenté de nouveau par Sayce (Journal of the R. Asiatic Society de juillet 1921), il décrit à l'usage seulement des prêtres le rituel de la fête du Nouvel An assyrien, qui durait dix ou onze jours. On y trouve la même interdiction terminale que dans l'Apccalypse:

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Quiconque détruit cette tablette, est-il dit tout à la fin, ou la jette dans l'eau, ou quiconque la lit qui n'y entend rien ou qui n'a aucun droit à connaître son contenu, que tous les dieux du ciel et de la terre et d'Assur le maudissent sans rédemption, de sorte qu'il ne trouve point de pardon pour autant qu'il vivra, et qu'ils effacent son nom et sa descendance hors du pays, et qu'ils placent sa chair dans la gueule d'un lion ! »>

Vous participerez donc avec moi à cette malédiction puisque je vous dévoile ce scenario, qui est d'ailleurs décrit avec autant d'incohérence » que celle qu'on reproche à Jean. Voici quelques passages seulement Bel est dans la montagne... il est enfermé... un messager court de toutes parts qui le cherche... C'est la maison qui est sur le flanc du mont... Nabu vient de Borsippa pour sauver son père, qui est prisonnier... Il y en a qui courent dans les rues, et qui cherchent Bel... Que Bel vive de nouveau... Voilà la porte de... Elle y va, vers lui... C'est la porte de la tombe... Les jumeaux sont de part et d'autre. Ce sont les gardes qui le gardent... C'est dans la prison qu'ils l'ont descendu... Voilà les blessures dont il est blessé... Voilà son sang... Voilà la déesse qui est avec lui. C'est pour le soigner qu'elle est descendue...

Et ainsi de suite; ou plutôt, la suite est bien plus embrouillée; à la description des rites s'ajoute l'explication des mythes représentés, dont tous ne nous sont pas bien connus. Donc, ici aussi, des prêtres ont rédigé à leur propre usage une sorte de manuel très résumé, et procédant par allusions, d'un rituel comme a fait Jean l'Inconnu pour les siens.

Mais on peut chercher ailleurs aussi. Les religions propre

ment populaires de la Perse et de l'Inde anciennes nous demeurent encore à peu près inconnues; j'ai même dû, pour plusieurs détails de l'Apocalypse, chercher plutôt vers l'Asie centrale que du côté de la Méditerranée. De nos jours les cérémonies magiques du Tibet fournissent aussi quelques parallèles possibles. Je crois donc que Jean a subi une forte influence hindoue, qu'il a parfois représenté des monstres venus de l'Inde par la Perse, et que c'est de ce côté qu'on trouvera, mieux que dans la littérature juive ou grecque, la clef définitive de l'Apocalypse.

A. VAN GENNEP.

Note sur une épreuve peu connue imposée

aux vestales romaines

La ville latine de Lanuvium, située au sud des Monts Albains, et parfois confondue dès l'antiquité même avec la cité légendaire de Lavinium, possédait un sanctuaire célèbre de Junon surnommée Sospes ou Sospita (1). Bien qu'elle ait été rapprochée parfois de la Junon d'Argos, cette déesse était d'origine certainement italique; elle est même distinguée par Cicéron de la Junon proprement romaine, dans un passage où l'écrivain décrit avec précision son costume et ses attributs caractéristiques peau de chèvre, lance, petit bouclier, chaussures aux bouts relevés (2). Grâce à cette description, l'image de Juno Sospes a été reconnue sur plusieurs monnaies de la République romaine, sur celles des gentes Mettia, Papia, Procilia, Roscia et Thoria, où se voient, d'une part, la tête de la déesse coiffée d'une peau de chèvre, d'autre part la déesse debout, à pied ou sur un char, brandissant une lance et tenant un bouclier (3). L'une de ces images est accompagnée des lettres IS M R = Juno) S(ospes) M(ater) Regina) (4). Il n'est donc pas douteux que les effigies de ces monnaies repré

...

(1) Wissowa, Religion und Kultus der Römer, 2o Ed., p. 188 et suiv. (2) Cicéron, De natura Deorum, I, 29, 82 : illam nostram Sospitam, quam tu nunquam ne in somnis quidem vides nisi cum pelle caprina, cum hasta, cum scutulo, cum calceolis repandis. At non est talis Argia, nec Romana Juno. Ergo alia species Junonis Argivis, alia Lanuvinis, alia nobis.

(3) E. Babelon, Monnaies de la République romaine, t. II, p. 223, 279 et suiv., 386, 402, 488.

(4) Cf. C. 1. Lat., XIV, 2088-2091.

sentent la déesse de Lanuvium. Or, quelques-unes d'entre elles portent une autre image. Sur une monnaie de la gens Mettia, derrière la tête de Junon un serpent se dresse sur sa queue ; sur deux monnaies de la gens Procilia, le même serpent accompagne ici Junon debout à pied, brandissant la lance et tenant le bouclier, là Junon dans la même attitude sur un char attelé de deux chevaux. Cette image du serpent fait allusion à une scène, qui est plus complètement figurée sur trois monnaies de la gens Mettia, de la gens Papia, de la gens Roscia ; la scène est ainsi interprétée par E. Babelon Jeune fille debout à droite donnant à manger à un serpent (ou un dragon) qui se dresse devant elle. Deux gestes caractérisent l'attitude de la jeune fille : la position de ses jambes indique nettement qu'elle s'avance vers le serpent; ses deux mains sont tendues vers la gueule de l'animal et lui présentent quelque chose (5). Pour expliquer et commenter la scène, on se réfère d'habitude à trois textes anciens, une Elégie de Properce, deux passages d'Elien et de Prosper d'Aquitaine.

Il ne nous semble pas qu'on puisse attribuer grande valeur au passage de Prosper d'Aquitaine, écrivain chrétien, étranger à l'Italie, inspiré par le désir de ridiculiser ou de stigmatiser les rites païens. D'ailleurs il ne nomme ni la déesse Junon ni la ville de Lanuvium ou de Lavinium. Il se contente de rapporter que près de Rome, apud urbem Romam, dans une caverne, il y avait un énorme dragon mécanique, draco miræ magnitudinis mechanica arte formatus. Une épée était placée dans sa gueule; ses yeux étaient représentés par des perles flamboyantes. Chaque année des jeunes filles lui étaient sacrifiées; ignorantes du cruel destin qui les attendait, elles descendaient dans la caverne pour apporter des présents au. monstre; l'épée les frappait et répandait leur sang innocent. Au temps de Stilicon, un moine mit fin à la supercherie sanglante, pénétra dans la caverne armé d'un bâton et brisa en deux morceaux l'animal ainsi fabriqué (6).

(5) E. Babelon, op. laud., p. 224, p. 284, p. 402.

(6) Prosper d'Aquitaine, De promissis et praedictis, XXXVIII, p. 3, in Patrol. latine de Migne, t. LI.

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