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La critique est unanime à n'attribuer aucune valeur à la commune légende de saint Savinien et de saint Sidroine: Tillemont, Baillet et les Bénédictins ont sur la première1 l'opinion des Bollandistes au sujet de la seconde, à savoir qu'elle a une autorité nulle, ou du moins très minime, en raison des invraisemblances et du merveilleux qui s'y trouvent ». Mais on ne saurait oublier que l'abus du merveilleux est la caractéristique des compositions hagiographiques d'une certaine époque, aussi ne sont-ce pas là les véritables raisons, mais plutôt certes les invraisemblances grossières qui jettent avec raison le discrédit sur nos deux légendes.

Ces invraisemblances sont telles que quelques-unes d'entre elles constituent à elles seules d'impérieux motifs de rejeter comme supposées les passions de nos martyrs, mais je ne m'attarderai pas à les relever ici un trait, qui a échappé jusqu'ici à la critique, m'a particulièrement frappé, et c'est lui qui m'a conduit à la solution du problème. Qui ne croirait à une plaisanterie déplacée lorsque je déclare que l'apôtre de Troyes, que le martyr sénonais dont j'étudie les gestes, étaient des hercules d'une taille non inférieure à douze coudées - je dis douze coudées ! - que 90 hommes d'armes, chargés d'opérer l'arrestation, invitèrent avec une déférence inusitée à se rendre auprès de l'empereur leur maître Dominus noster imperator desiderat te videre; respondit eis sanctus: Si voluntas est mea, venio; si non, non venio : tamen vobiscum vado. Et cependant j'emprunte cette indication aux passions de nos saints:

secundum staturam eius, hoc est cubitos duodecim,

1) Mém... h. e. IV2 347-348; La vie des saints, 29 janv. table crit. n° 3; Hist. litt. Fr. IV. 197.

2) Acta sanct. iul. III, 181; le P. Stiltinck, sept. II, 671, la juge aussi sévèrement et dit qu'elle est un tissu de fables, c'est aussi l'opinion de l'Hist. litt.. Fr., III, 410-411.

3) Le P. Pien en a indiqué bon nombre dans les §§ 6 et 7 de son commentaire sur la passion de Sidroine, loc. cit.

ou plutôt à celle de Savinien seule, car le biographe de Sidroine, tout en mentionnant une stature remarquable, a cru devoir supprimer une précision si compromettante. Il ne laisse pas néanmoins de nous dire qu'à la vue de nos héros, quoniam magnus esset..., Aurélien fut effrayé, timuit !...

Cette taille prodigieuse évoque tout naturellement à l'esprit l'image traditionnelle si populaire du grand saint Christophe : la lecture quotidienne du martyrologe fut pour moi une révélation; de là à l'examen des gestes, il n'y avait qu'un pas. Celui-ci franchi, constatons que nos deux légendes sont apparentées à celle du martyr d'Orient de la manière la plus étroite, ce qui résulte de la comparaison des textes; citons un exemple, emprunté au baptême miraculeux des trois saints:

PASSIO S. CHRISTOPHORI 2.

In illo tempore... in civitate Samo... ecce nebula de cœlo descendit, et inluxit super eum : et venit ei vox de cœlo dicens: Serve electe Dei, ecce accepisti baptismum in nomine Domini et sanctae Trinitatis. Et ipse sanctus... orabat dicens: Gloria tibi Deus, qui convertis ignorantes, et adducis in viam veritatis... Et tenens virgam ferream in manu sua, fixit eam in terram, et dixit: Domine, Deus meus, fac virgam meam florere, et ramos bonos habere et folia formosa... Multi autem videntes quoniam virga illa floruit, crediderunt in eum de hac civitate millia hominum decem et octo, et baptizati sunt de manu eius...

PASSIO S. SAVINIANI 3.

Tempore illo, cum esset S. Savinianus in Samon civitate... ecce nubilum de cœlo descendens illuxit super eum, et vox de cœlo dicens ad eum: Saviniane, serve electe Dei, baptizatus es in nomine Domini Iesu Christi et multi per te baptizandi erunt in sancta

...

1) Il est à peine besoin de relever ici le contraste qui existe entre les véritables portraits de cet empereur, soldat valeureux, et les misérables traits que lui attribuent les légendaires. D'ailleurs le nom d'Aurélien provient ici d'une interpolation.

2) Acl. sanct. iul. VI, 146-149. 3) Act. sanct. ian. II, 939-941.

Trinitate. S. Savinianus dixit: Gloria tibi Christe, qui convertis ignorantes, et ad viam veritatis adducis. Et cum baptizatus fuisset, apprehendens arundinem in manu sua, fixit in terram, et oravit ad Dominum, et dixit: Domine Deus meus, fac virgam meam florere, et ramos bonos habere et folia formosa producere, ut credat populus iste in nomine Domini nostri Iesu Christi. Multi autem videntes virgam illam florere, crediderunt cum beato Saviniano mille decem et octo; et animae centum et novem baptizatæ sunt de manu ipsius

sancti...

PASSIO S. SYDRONII 1.

Cum esset beatissimus Sydronius in Samon civitate... nubes de cælo descendens, illuxit super eum, pariterque vox de cælo venit, dicens ad eum Sydroni, serve Dei excelsi,... baptizatus es in nomine Domini et sanctæ Trinitatis... S. Sydronius dixit: Gloria tibi, Christe, qui convertis ignorantes et ad viam veritatis eos adducis. Cum ergo baptizatus fuisset, apprehendens arundinem manu, fixit eam in terram, et hanc orationem fudit ad Dominum, dicens: Domine Deus, in quem credo, fac virgam istam florere, et ramos producere, foliaque pulcherrima generare, ita ute credat populi istius. multitudo per nomen sancti filii tui in te. Et statim virga ipsa floruit, ramosque produxit et folice. Multa autem videntes virgam ipsam floruisse et ramos produxisse et folia, crediderunt in nomine Domini lesu Christi, exorante beato Sydronio : et fuit numerus eorum decem et octo millia, et credentes baptizati sunt in nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti, de manu ipsius sancti...

Le lecteur pourra s'administrer lui-même, en se reportant aux tomes et aux pages indiquées en note le supplément de démonstration qui lui paraitrait nécessaire: ayant établi la parenté de nos légendes 2, il reste à dire laquelle a servi de prototype.

1) Act. sanct. iul. III, 182-185.

2) L'étude philologique de nos textes eût conduit à la même constatation: le vocable inusité horca, orca qu'on y rencontre, figure au Glossarium de Du Cange précisément avec l'indication qu'il est tiré des passions de saint Savinien et de saint Christophe.

:

La critique de provenance permettrait aisément d'établir, d'après l'âge des manuscrits, que la passion de Christophe est antérieure à celle des saints Savinien et Sidroine, mais la critique interne nous apporte ici un concours suffisant l'apostrophe fera mala, facies turpis adressée au martyr pourrait, en soi, n'être considérée que comme une épithète injurieuse, mais la réflexion du persécuteur au sujet de sa victime, qui inter feras nutritus est, ce consilie mal avec le témoignage même de Sidroine, suaviter educatus, et ce que nous savons par ailleurs de la jeunesse de Savinien. Aussi le texte de la passion de saint Christophe éclaire-t-il d'un jour lumineux les obscurités des autres légendes, qui en sont incontestablement dérivées on y lit par exemple qu'une femme, à la seule vue du saint, prit peur, contremuit; avouons qu'on serait surpris à moins facies eius [Christophori] mutata est, videns corpus hominis, caput autem canis !... Nous comprenons maintenant l'effroi du persécuteur, le luxe de précautions et le renfort d'hommes chargés de l'arrestation et la garde de nos martyrs, mais il nous faut pour cela recourir au prototype, car les légendaires de Savinien et de Sidroine, bien qu'ils se soient bornés à retoucher le style et à modifier les noms propres ', ont cru devoir écarter quelques détails par trop fabuleux, mais ils n'ont point su- celui de Savinien moins encore que celui de Sidroine dissimuler le plagiat par une révision minutieuse qui eût entraîné le remaniement total du prototype.

Quant à savoir si les passions de ces deux saints sont ou non dépendantes l'une de l'autre, c'est ce que j'examinerai

1) Cette modification n'a pas même été introduite partout: c'est ainsi que le Dagnus rex (Decius, Dacianus ?) bourreau de saint Christophe, transformé en Aurelianus imperator, a laissé des traces sous la forme rer dans la passion de saint Sidroine.

2) Par exemple: tulerunt mensuram eius, quæ erat cubitorum duodecim (P. S. Christophori); fecerunt scamnum et caminum ferreum secundum staturam eius, hoc est cubitos duodecim (P. S. Saviniani); tulerunt mensuram corporis eius (P. S. Sidronii).

ailleurs. Qu'il suffise ici de constater qu'elles sont l'une et l'autres issues de la légende de saint Christophe ', ce qui suffit à ruiner radicalement leur faible autorité.

III

La Passio Juliæ et sociorum BHL 4518, plagiat du vine siècle.

L'existence de sainte Jule et des satellites dont l'a flanquée l'hagiographie repose sur une « passion » que Camuzat qualifie de mal concertée, Tillemont de pitoyable, le P. du Sollier de bonne tout au plus, par voie de contraste, à relever le mérite des actes authentiques, et les Bénédictins de l'Histoire littéraire « un tissu mal assorti et presque aussi mal écrit d'évènements et de prodiges imaginaires », mais ils se trompent en attribuant aux premières années du xe siècle la rédaction de ce texte, qui est beaucoup plus ancien 2. Ainsi l'érudit Görres résume parfaitement l'opinion de la critique lorsqu'il écrit qu'il n'y a pas lieu de douter que les héros de cette passion sont des personnages apocryphes: l'histoire ne sait rien en effet d'un Claudius imperator barbarorum à la cour duquel sainte Jule aurait vécu durant 28 ans et qu'elle aurait converti plus tard au point qu'il l'ait suivi dans la confession de la foi et jusque dans la mort 3.

Seul de nos jours pourquoi faut-il qu'il ait été suivi par les auteurs locaux! - P., Allard s'est trouvé pour écrire ces lignes d'une haute fantaisie où l'historien des persécutions semble céder le pas au littérateur :

Une esclave chrétienne se fait respecter du chef barbare dont elle est captive, le convertit par l'exemple de son courage. et de ses vertus puis, rentrée après de longues années en

1) Le nom du président » Crispin et de la ville de Vienne proviennent de la passion de saint Ferréol BHL 2911.

2) Prompt. Tricass. fol. 384; Mém. h. eccl. IV2 358; Act. sanct. iul.V 13.; Hist. litt. Fr. VI, 129.

3) Die Martyrer der Aurelianischen Verfolgung dans Iahrbuch für Protest. Theologie IV (1880) 449-494.

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