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loin (19): « Il s'évertue ensuite à nous démontrer que le diable n'avait aucun droit à réclamer sur l'homme, si ce n'est par la permission de Dieu, nullum sibi jus in hominem vindicare... nisi permissione Dei »; à quoi Bernard ajoute: «comme s'il y avait quelqu'un à contester cela ». Cette «< permission » de Dieu, qui est présentée comme le fondement du droit du diable, peut en effet, à la rigueur, s'autoriser du texte du De Trinitate (Revue d'Histoire et de Littérature religieuses, VIII [1922] 52) où Augustin nous explique que Dieu abandonne l'homme souillé par le péché, et laisse la place libre au diable qui reçoit ainsi en fait la permission de faire ce qu'il voudra. Mais, parmi les choses qu'Abélard s'évertue à prouver et que personne ne conteste, se trouve la suivante : « (il s'évertue à prouver...) que Dieu aurait pu, sans commettre d'injustice à l'égard du diable, et sans léser le droit, sine injuria diaboli, jure, aller par un mouvement de miséricorde à la recherche du transfuge et l'arracher par une simple parole, solo verbo eripere... » Ici, l'accord cesse avec la doctrine traditionnelle qui établit précisément une ligne de démarcation entre le domaine de la puissance et celui de la justice, qui enseigne que Dieu devait respecter les droits du diable et attendre que ce personnage se fût mis dans son tort pour user de violence à son égard. Les mots sine injuria diaboli, jure, portent l'empreinte d'Anselme. Bernard n'a pas lu Anselme ; mais il a dans son entourage des moines qui connaissent les doctrines anselmiennes, qui lui en ont communiqué quelques lambeaux; qui ont réussi à les lui faire accepter, aux dépens de la cohésion des idées (le texte de 19 que j'ai, non sans peine, adapté à la doctrine augustinienne, est plus probablement de provenance anselmienne; cette observation s'applique à la phrase suivante de 14: «< hoc ergo diaboli quoddam in hominem jus, Ietsi non jure acquisitum, sed nequiter usurpatum, juste tamen permissum »). En sorte que lui qui défend avec tant d'ardeur la tradition, il ne la représente qu'imparfaitement. Mais c'est tout de même la tradition qui parle par sa bouche;

et, comme le cygne de la fable, c'est au moment où elle est blessée à mort, qu'elle fait entendre son plus beau chant.

Car elle est blessée à mort. Désormais ses jours sont comptés. Dans un siècle on n'osera plus parler des droits du diable. D'ici-là ceux qui prendront la défense de ces droits, ne le feront qu'en termes embarrassés et souvent incohérents. La doctrine traditionnelle de la rédemption ne se relèvera pas des coups. que lui ont portés Anselme et Abélard. On pourrait dire des coups que lui a portés Abélard; mais en notant que l'arme meurtrière a été fabriquée par Anselme.

HIPPOLYTE GALLERAND.

REVUE DES LIVRES

Analyses et Comptes Rendus

Baron DESCAMPS. - Le Génie des Religions: Les Origines, avec un essai de protologie scientifique sur la vérité, la certitude, la science et la civilisation, 8° XVII, 712. p. Paris, Félix Alcan; Bruxelles, Albert Dewit; London, Burns Oats et Washburne Ltd. 1923.

Etre

Le livre de M. le baron Descamps est l'essai d'une vaste synthèse dogmatique et critique de ce que l'on appelle aujourd'hui « la science des religions ». Le fait religieux se définit pour lui un phénomène où l'activité humaine entre en rapport avec un considéré comme divin » (p. 98) et c'est à la lumière de cette définition «< expérimentale » que l'auteur passe en revue les principaux faits et les principales théories de cette science. Le « sensisme », l'«< immanentisme », le criticisme, le fidéisme, le sociologisme, traditionnalisme, le naturisme, l'animisme, le manisme,

le

mythisme, le magicisme, le totémisme et le tabouisme sont tour à tour exposés et critiqués dans le « titre second ». de l'ouvrage (p. 126-330), partie qui nous paraît présenter le plus d'intérêt pour le lecteur, étant un rapide et clair aperçu de ces différentes doctrines. On trouvera également dans les titres Vet VII (Le phénomène religieux à la lumière de l'archéologie préhistorique, phénomène religieux à la lumière de l'ethnologie) un exposé clair

et le

et, en général, exact des principaux résultats de l'ethnologie et de la préhistoire.

Quant aux idées et au point de vue propres de M. le Baron Descamps, quelques citations permettent d'en juger mieux qu'une exposition quelconque. Nous avons déjà vu la définition expérimentale du phénomène religieux, tout à fait irréprochable, en effet, surtout si l'on définit le divin comme l'objet d'une attitude religieuse. Tout aussi irréprochable nous semble la définition de la magie: «< la magie, dans sa notion expérimentale, simple et générale, est l'établissement d'un rapport de cause à effet sur la base d'un rite improportionné comme facteur naturel au résultat, mais prétendument doué en propre et à titre catégorique d'une efficience prestigieuse » (p. 283), surtout si, comme il convient, on substitue au terme « prestigieuse » le terme plus exact de « magique ». La magie est, selon M. le Baron Descamps, profondément différente de la religion; il a, croyons-nous, parfaitement raison de s'opposer à leur identification: «< il faut constater d'ailleurs que l'attitude religieuse elle-même n'a rien de commun avec l'attitude magique. La prière religieuse est et demeure de sa nature une invocation soumise adressée à un Etre puissant et bon, chez lequel l'assistance n'est pas à coup sûr en contradiction avec la puissance et dont la liberté ne peut être limitée que par elle-même. Le procédé magique est, au contraire, de sa nature un procédé de contrainte dont l'impuissance n'a d'égale que la suffisance » (p. 301) et cependant, on peut se demander si l'auteur tient bien compte de la valeur contraignante des rites, et s'il ne court pas le risque de devoir exclure de la religion, pour la transférer à la magie, la plus grande partie du rituel de la plupart des religions positives.

Les conceptions philologiques de l'auteur, ainsi que ses théories anthropologiques (problème des races) nous semblent un peu fantaisistes et sa classification simplifiée à outrance : « Les grandes racessouches sont la race sémitique, la race négritique, la race mongolique, la race hamitique et la race aryenne » (385). A laquelle appartiennent, selon la classification de l'auteur « les peuples linguistiquement apparentés par les idiomes suivants : l'hellénique, l'italique, le germanique, l'indo-iranien, le slave-lithuanien, le tchécoarménien-albanais... » (sic)? Nous ignorions jusqu'à ce jour que la

langue tchèque était apparentée à l'arménien et n'appartenait point, comme on l'avait cru, à la grande famille slave. C'est possible, d'ailleurs, car M. le Baron Descamps connaît une « langue slave » (la langue slave) et dans cette langue des termes comme dosbonaly dans le sens de perfectus (p. 625).

Passons maintenant au titre huitième et dernier du livre : Le phénomène religieux à la lumière de la raison (p. 573-712) où M. le Baron Descamps présente les preuves traditionnelles de l'existence de Dieu, d'abord celle par la perfection et l'ordre du monde, qui lui semble la plus forte: « Le monde offre à nos regards le plus riche spectacle de choses admirablement harmonisées soit dans l'ordre distributif, dans la variété des êtres, soit dans l'ordre connectif, dans les affinités et solidarités qui existent entre eux. L'ordre est partout visible dans l'immense 'univers. Il brille dans la composition des êtres... Le fait si éclatant de l'ordre général du monde rapproché du clair principe d'efficience engendre lumineusement en nous la conviction d'une cause de l'existence souverainement intelligente, puissante et sage, ordonnatrice de l'univers » (p. 581), ensuite la preuve qui conclut de l'être contingent à l'être nécessaire, etc., etc., sans oublier celle du premier moteur : « Or, il est manifeste qu'en remontant de déterminant en déterminant, il faut s'arrêter à un premier facteur qui, lui, détermine le fieri sans être déterminé; car si nous prétendions poursuivre indéfiniment la progression dans l'ordre réel où se rencontre l'être qui devient, nous poursuivrions l'irréalisable et, en perdant, par ordre de motion, le premier facteur, nous perdrions avec lui tous les autres qui en dérivent » (p., 597). L'objection de l'infinité du monde et des séries causales ne trouble pas l'auteur, car, dit-il avec beaucoup de bon sens : « En conception nette et en terminologie parfaite, on ne peut attribuer à une chose finie, quelque extension qu'on lui accorde, le caractère propre de l'infinité « (593).

Nous devons avouer que ces preuves, très belles et très intéressantes chez saint Anselme, saint Thomas ou saint Bonaventure, nous paraissent de nos jours suffisamment désuètes. A tel point qu'une critique en semble superflue.

A. KOYRÉ.

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