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d'une grotte où se sont réfugiés les réchappés du déluge. Et ce trait s'explique peut-être partout de la même manière par la fusion d'une tradition locale sur une caverne berceau de l'humanité avec une légende du déluge.

Il est possible que les Horites aient justifié par ce détail le nom de leur peuple, qui peut être interprété (et a été très souvent interprété): les troglodytes (1). On sait que la plupart des < primitifs », dans leur cosmogonie, identifient à peu près purement et simplement l'humanité avec leur propre peuple, les autres nations ne comptant, pour ainsi dire, pas pour eux.

Lorsque le pays fut envahi par des tribus appartenant au flot que nous appelons hébreu (Moabites, Ammonites), il est probable (bien que nous n'ayons sur ce point que des témoignages israélites), que les nouveau-venus, adoptant Lot et les récits dont il était le héros, se proclamèrent fils de Lot », de même que les Israélites se reconnurent descendants de Noé, le réchappé du déluge selon une version qui doit être d'origine cananéenne; car Noé est aussi l'inventeur du vin, lequel n'est pas un produit du désert.

Sont-ce les Moabites ou Ammonites qui ont imaginé et ajouté à la tradition ancienne l'intervention et le rôle des deux filles de Lot, dans le but de justifier leurs noms de Moab et d'Ammon, et de proclamer en même temps la noblesse sans tache de leur race, dont le sang était pur de tout mélange avec celui d'un peuple étranger? Peut-être.

Cependant il se pourrait aussi que ce trait ait été déjà un élément de la tradition ḥorite, qui aurait été seulement adapté après coup à l'étymologie des noms de Moab et d'Ammon.

L'union d'un père avec sa fille se rencontre dans d'autres traditions; et ce trait peut avoir des significations diverses, tout à fait étrangères à la justification d'une étymologie ethnique. Ainsi, chez les Babyloniens la déesse Ninella, épouse d'Enki

(1) Le nom signifie peut-être en réalité les nobles > ; cf. Procksch, Genesis, p. 210; voy. cependant p. 509.

(Ea), était en même temps sa fille (1). D'après le mythe orphique lacchos (Bacchus) était né d'une union de ce genre (2). Le parallèle le plus frappant est celui du mythe d'Adonis, qui est d'autant plus intéressant que les Grecs empruntèrent le culte de ce dieu aux Phéniciens, c'est-à-dire à des Cananéens. Suivant certaines versions de ce mythe (3), Myrrha ou Smyrna, ayant été déclarée par sa mère plus belle qu'Aphrodite, la déesse offensée inspira à la jeune fille un amour passionné pour son père Théias ou Cinyras, roi des Assyriens (Syriens). Elle réussit à s'unir à lui pendant douze nuits au moyen de diverses ruses et, en particulier, en l'enivrant. Le roi, ayant enfin appris la chose, voulut tuer sa fille; mais Aphrodite, prise de pitié, la sauva en la métamorphosant en myrrhe. Du commerce de Myrrha avec son père naquit le dieu Adonis.

Ces récits sur les amours illicites ou la naissance irrégulière des dieux n'avaient naturellement pas le dessein de jeter sur eux aucune défaveur ; ils n'avaient, à vrai dire, aucune portée morale ou immorale; ils pouvaient provenir, par exemple, de la simple combinaison de généalogies divergentes.

Qui sait si, dans la légende horite, Lot, divinisé comme le héros babylonien du déluge, ne devenait pas le père d'un autre dieu? Il n'y aurait rien de surprenant à ce que la généalogie des anciens habitants de la Palestine s'ouvrit, comme celle de tant d'autres peuples, par quelques générations divines.

On pourrait faire une autre hypothèse et supposer que, dans la tradition borite, Lot, le premier homme sorti de la caverne où la Terre l'avait enfanté, donnait à son tour naissance à une femme par quelqu'un des procédés familiers aux cosmogonies primitives, -soit qu'elle sortit, par exemple, de son cerveau, comme Minerve, fille de Jupiter, soit qu'elle fût formée d'une de ses côtes comme Eve; et que cette fille de Lot, en s'unissant à son père, procréait l'humanité.

(1) Stephen Langdon, Sum. Epic of Paradise, p. 71, note 6. (2) Pauly-Wissowa, s. v. Adonis.

(3) Ovide, Métam. X, 298-502; Hyg., Fab. 58; Apollodore, III, 14, 4 (d'après Panyassis).

Quoi qu'il en soit de ce dernier point, l'étude de ce petit épisode de la Genèse nous paraît présenter un double intérêt. Elle ajoute un élément à la liste fort longue des traditions d'origine cananéenne que les Israélites ont adoptées en s'installant dans le pays, quitte à les transformer et à les pénétrer d'un esprit

nouveau.

D'autre part elle nous fournit un exemple typique de l'évolution graduelle des idées morales en Israël. L'histoire des filles de Lot a d'abord été racontée (et sans doute chez les Israélites eux-mêmes) à la gloire des aïeules de Moab et d'Ammon. Dans le récit actuel de la Genèse, il y a tout au plus une nuance de blame formellement indiquée dans le fait que les jeunes filles se croient obligées d'enivrer leur père; sobre, il aurait donc refusé de se prêter à leurs projets. La réprobation est beaucoup plus énergiquement exprimée dans la forme du mythe d'Adonis que nous rappelions tout à l'heure le père poursuit sa fille l'épée à la main pour la tuer.

En Israël cette réprobation se manifesta avec une intensité croissante dans la suite des siècles. Nous avons rappelé la loi du Deutéronome excluant les descendants de Moab et d'Ammon jusqu'à la dixième génération et au-delà. Le livre des Jubilés (Ier siècle av. J.-C.) raconte (16, 9) que, à la suite de ce crime sans précédent, Dieu décida et fit inscrire sur les tables célestes que ces deux peuples seraient traités comme Sodome et exterminés jusqu'au dernier homme.

Cette évolution n'est morale antique.

pas sans intérêt pour l'histoire de la

Ad. LoDs.

L'ÉPISODE DE BAUBÔ DANS LES MYSTÈRES D'ÉLEUSIS (^)

Une des scènes des mystères d'Eleusis dont les Pères de l'Église les premiers ont, selon P. Foucart lui-même (2), tiré le plus grand parti pour leur polémique intéressée contre le paganisme, est l'épisode dit de Iambé-Baubô.

On peut convenir de ce que, même à l'époque moderne, la discussion n'a pas désarmé sur ce point. Pour des raisons que j'examinerai ici, et dont je dois dire dès maintenant qu'elles ne m'ont pas convaincu, P. Foucart avait cru pouvoir exclure de la d'automne tout ce qui mythe ou rite se rapportait à une si scabreuse aventure (3); et cette aventure, il l'écartait elle-même, avec quelque dédain, de son étude. Mais répondant à l'excellent article général que M. A. Loisy, dès 1913, avait consacré de son côté aux mystères d'Eleusis (4), le Père M. J. Lagrange (5) a réintégré non sans un peu de satisfaction sans doute, dans

le rituel même des initiations, l'inconvenante intervention de celle qui, paraît-il, dérida Déméter affligée par l'exhibition la plus inattendue. Comme il fallait prévoir, le savant directeur honoraire de l'École archéologique de Jérusalem juge plus que sévèrement

(1) Une partie de cette étude a été communiquée, lors du Congrès d'histoire du Christianisme, le 21 avril 1927.

(2) Les Mystères d'Eleusis, 1914, p. 466.

(3) L. 1.

(4) Rev. d'hist. et de littérature religieuse, 1913, p. 193-225. Cf. Les mystères païens et le mystère chrétien.

(5) Revue biblique, XVI, 1919, p. 157-217.

la tradition et la scène; grâce à quoi, il a pu conclure, et en raison, aussi, de toute une discussion subtilement conduite, contre la spiritualité essentielle des pratiques d'Éleusis (1). Le problème, quoique spécial, et d'une nature telle qu'il eût été plus agréable de le traiter... en latin, m'a paru avoir assez d'importance pour que j'aie osé intervenir à mon tour dans une controverse redevenue actuelle. N'était-il pas tentant d'essayer de mieux connaître les réalités païennes de l'épisode de Baubô, non pour juger équitablement toute la valeur morale d'une religion officielle du paganisme, ce qui eût été trop ambitieux, au moins pour discerner ce qu'un helléniste doit légitimement retenir arguments de polémiques si vives, anciennes ou récentes. Il m'a semblé, d'ailleurs, sur quelques points, pouvoir apporter diverses précisions nouvelles au débat, par l'examen et la comparaison, notamment, des représentations figurées et des textes. Une question préjudicielle se posera naturellement ici: l'épisode de Baubo fit-il partie, vraiment, des mystères ? C'est là ce qu'après P. Foucart, il faut bien, d'emblée, décider. Or, toute cette recherche expliquera pourquoi je n'ai pas eu, pour ma part, à conclure négativement. L'analyse du mythe même, et d'autre part, l'étude du rite qu'il suppose (la légende, posté

des

rieure, ayant visé là comme ailleurs à expliquer des pratiques

dont le sens S s'effaçait) m'ont pareillement conduit à penser

que, dans la première nuit de l'initiation d'automne, les mystes à qui l'on représentait le Rapt de Coré, le Deuil et la Course errante de Déméter, pratiquaient, au vrai, certaines opérations, et recevaient certains enseignements, où Iambé-Baubô intervenait.

P. Foucart ne me paraît pas avoir correctement exclu du vieux fonds du culte l'aventure contée par les « Orphiques » et les Pères

de l'Église,

avec les pratiques cultuelles dont elle avait été

l'explication aitiologique. Je pense donner ci-après la

ce que je viens d'avancer.

preuve de

(1) P. 206-207, l. 1.

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