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Δημᾶς, Λουκάς,

οἱ συνεργοί μου

ἡ χάρις τοῦ κυρίου Ἰησοῦ Χριστοῦ

μετὰ τοῦ πνεύματος ὑμῶν ·

ἀμήν.

Epaphras t'embrasse,

captif avec moi, en le Christ Jésus,

Marc, Aristarque,

Démas, Loukas,

ouvriers avec moi.

Que la grâce du Maître Jésus Christ
soit avec votre esprit !

Amen.

Dans la salutation, outre les balancements que j'ai déjà signalés, συναιχμάλωτος, συνεργοί, ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ, τοῦ κυρίου Ἰησοῦ Xpo, on peut remarquer le groupement des noms par assonnance: Μάρκος, Αρίσταρχος. Aquas, Aouxãs. Le mot: amen, retranché à tort par certains éditeurs est donné par les meilleurs manuscrits.

Telle est cette petite épître, flacon plein de parfum chrétien, clochette d'argent qui rend un son noble et mystérieux.

Un premier point me semble hors de doute. L'auteur de cette épitre ne pensait pas en araméen.

Il fait l'usage le plus fin de la langue grecque. Il glisse ou appuie sur le clavier avec justesse. Il touche avec précision des mots assez rares. Il sait pivoter malicieusement sur un va. Il noue un jeu de mots élégant et tenu tel que οφείλει, προσοφείλεις οι encore : Ονήσιμον, ἄχρηστον, εύχρηστον, ἀναίμην. Ce ne saurait être le fait ni d'un interprète adroit ni d'un auteur qui traduirait sa pensée dans une autre langue. Vu de l'épitre à Philémon, saint Paul est, dans toute la force du terme, un écrivain grec.

Il faut dire plus. Comme Rudolf Bultmann (1) et d'autres l'ont démontré, il connaît et il manie les procédés de la rhétorique asiatique, tels qu'ils étaient en usage soit chez les conférenciers étincelants qu'on appelait les sophistes, soit chez les prédicateurs religieux, apôtres du cynisme et du stoïcisme, qui avaient créé l'éloquence populaire de la diatribe.

Dans notre brève épître se rencontrent quelques-uns de ces procédés l'antithèse, la gradation, la paronomase qui est le jeu de mots, l'anaphore, renforcée par l'asyndète, consistant à répéter le même mot en tête de deux membres de phrase, juxtaposés sans particule de liaison (ἐγὼ Παῦλος ἔγραψα..., ἐγὼ ἀποτίσω). Dans cet exemple:

Ονήσιμον τὸν ποτέ σοι ἄχρηστον

νυνὶ δὲ σοὶ καὶ ἐμοὶ εὔχρηστον

l'analyse rhétoricienne montrerait outre le jeu de mot sur 'Ovstov deux antithèses (TоTÉ, VUvi; - ἄχρηστον, εὔχρηστον) une gradation (001, xai sol xai uo) enfin un parison, c'est-à-dire deux mem(σοι, bres de phrase de longueur égale, disposés symétriquement.

Pourtant l'analyse rhétoricienne, si poussée qu'elle puisse être, ne donne pas la clef du style de Paul. Il manque à Paul l'élément essentiel de la rhétorique grecque : la période, et l'élément essentiel de la prose d'art: la clause métrique. Considérées comme périodes. ses phrases sont barbarement construites, mal centrées, outrageusement rallongées. Pour qui vient de lire un orateur grec elles n'ont rien de la cadence grecque. D'autre part elles ignorent les clausules métriques dont la prose antique orne la chute des périodes et que le style appelé commatique introduisait jusqu'à l'intérieur des phrases. Les efforts qu'on a faits pour trouver des clausules chez Paul sont restés infructueux (2).

(1) Der Stil der Paulinischen Predigt und die kynisch-stoische Diatribe. Goettingen, 1910.

(2) Par exemple H. J. Rose. The Clausulae of the Pauline Journ. of Theol. Studies, oct. 1923, p. 17-43.

corpus

dans

Donc, tout chargé qu'il soit d'éléments empruntés à la rhétorique d'Asie, le style de Paul est foncièrement irréductible à cette rhétorique. Pour en être certain, il suffit de lire, après Paul, un des prédicateurs très postérieurs, comme Grégoire de Nysse qui, eux, ont subi complètement l'influence de la sophistique (1). La différence saute aux oreilles. Il y a de particulier à Paul, outre le génie, une directive intérieure tout autre qu'il faut essayer de définir.

On remarque aisément que l'épître à Philémon se divise en huit couplets de longueur égale, composés chacun de huit lignes sensiblement égales. Chaque ligne fait un élément du sens et peut être suivie d'une légère pause respiratoire. Chaque couplet fait un petit tout et comporte une pause à la fin.

Le premier est la suscription, achevée en bénédiction. Le second est l'eucharistie. Au troisième, Paul prie Philémon au sujet d'Onésime. Au quatrième, il lui renvoie l'esclave. Au cinquième, il lui fait entendre que l'esclave ne doit plus lui être qu'un frère. Au sixième, il donne sa caution. Au septième, il enlève le consentement de Philémon. Le dernier est la salutation.

Ces couplets que le P. Jousse appellerait des récitatifs peuvent être appelés, au sens large, des strophes.

Un fait curieux et certain c'est que d'une strophe à l'autre il y a des résonnances, des échos préparés et attendus, des mots et des idées qui reviennent à dessein. Je les ai signalés au cours de la lecture.

Un autre fait contrôlable, c'est que chaque strophe, bien qu'autonome, est presque toujours engrenée à la précédente par la reprise discrète, d'une idée ou, plus souvent, d'un mot, dont le sens pourra etre change. (χάρις, εὐχαριστῶ; πολλὴν ἔσχον, πολλὴν ἔχων; χωρίς, ἐχωρίσθη, etc.)

(1) L. Méridier. L'influence de la seconde sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse. Paris, 1906.

Ces trois caractères: divisions en strophes, échos de l'une à l'autre, accrochage de l'une sur l'autre, sont profondément étrangers à la prose grecque. Celle-ci a soin de varier les pauses. Elle évite la répétition à distance des idées et des mots et la reprise illogique des mots à proche intervalle. Du point de vue de la prose grecque les trois caractères que j'ai définis sont des fautes insupportables.

Mais ils font ensemble un autre système qui a en soi sa force d'expression et sa beauté. Alors que la prose trace à chaque instant son chemin et compose d'une façon qu'on peut dire linéaire, l'autre composition occupe d'avance un volume de temps partagé, où elle distribue son thème à la manière de la composition musicale. Ce qui était monotonie devient mesure, ce qui était répétition, rythme, ce qui était gaucherie, subtil agencement.

Il est facile de reconnaître ici les lois de la poésie sémitique. La strophique de Paul rappelle celle des grands prophètes de l'Ancien Testament. La résonnance en écho est ce qu'on appelle, en prosodie hébraïque, la responsio. L'enchaînement par mots-pivots dont le sens tourne est ce qu'on appelle la concatenatio. Le retour, à la fin d'un développement, d'un mot qui était au début (χάρις, χαρισθήσομαι, χάρις) est l'inclusio. Dans ses belles traductions du livre d'Isaïe et du livre de Jérémie, le P. Condamin a marqué les divisions des strophes et imprimé en caractères gras les mots qui sont liés, d'une strophe à l'autre, par inclusio, responsio ou concatenatio. J'imagine une traduction de saint Paul faite sur le même principe. Elle serait décomprimée, aérée, pleine de vigueur et de secrète harmonie.

Paul ne viole certaines règles de la prose oratoire que pour se plier à d'autres lois. Il soumet la phrase grecque au métronome hébreu.

Mais là, de nouveau, il faut marquer où il s'arrête. Il lui manque l'élément essentiel de la composition sémitique: le parallélisme. Il est trop prompt et trop net, trop grec enfin, pour s'alentir à ce redoublement de la pensée qui est le signe distinctif du récitateur sémite. Il suffit de comparer un couplet de Paul à une strophe

manifestement décalquée d'un original sémitique, comme on en trouve dans l'évangile de Matthieu, pour sentir que Paul n'est pas simplement un rythmeur sémite dépaysé.

Qu'est-il donc ? Un créateur. A mi-chemin entre Jérémie et Dion de Pruse il fait naître une forme littéraire nouvelle. Il retient dans son esprit des sehèmes rythmiques venus de la Bible et il les remplit avec les brillantes ressources de la rhétorique grecque.

Peut-on parler à son sujet de style oral? Le P. Jousse définit par ce terme un style rythmé, agencé de manière à être conservé par la mémoire.

Je crois probable que les schèmes rythmiques dont Paul s'empare ont leur origine dans le style oral. Mais il est bien évident qu'au moment où il dicte ou écrit l'épitre à Philémon, il ne songe pas à la confier à la mémoire. Il la confie au papier. Sa parole ou sa pensée sont mises immédiatement par écrit. Il faut donc parler d'un style écrit.

Pourtant, si on y réfléchit, il paraît étrange que, pour écrire une simple lettre à un ami, Paul ait employé une forme rythmée si étudiée et, malgré la familiarité, si solennelle. La suscription nous apprend que l'épître est destinée aussi à l'église qui est dans la maison de Philémon. Je crois qu'il faut aller plus loin. Elle est destinée à d'autres églises encore. Sous la forme discrète d'une leçon particulière, elle donne un enseignement dont tous les chrétiens peuvent tirer avantage. Ce qui arrivera en réalité, que cette épître avec les autres entrera au trésor commun des églises et sera lue à haute voix indéfiniment, à travers les siècles, a été pressenti, dans une certaine mesure, par l'auteur. Le style rythmé est, là aussi, en fin de compte, un appel à l'oreille, un secours à la mémoire.

Je suis amené à poser une question plus profonde.

Derrière cette forme littéraire neuve qui ne vient entièrement

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