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Il est vrai que le domaine qu'embrasse la science du Nouveau Testament peut, au premier abord, ne pas paraître très étendu. Même si on ne prend pas le terme de Nouveau Testament dans son sens étroit de collection des vingt-sept écrits auxquels les diverses Eglises chrétiennes ont reconnu une valeur canonique, si on l'entend dans son sens large, c'est-à-dire si, au Nouveau Testament proprement dit, on ajoute ce qu'on a parfois appelé le Nouveau Testament extra-canonique (1), c'est-à-dire ce qui subsiste de la littérature chrétienne antérieure au milieu du second siècle, c'est une littérature peu abondante qu'il s'agit d'étudier. Le champ est incomparablement plus restreint que celui qu'ont à explorer les savants qui s'occupent de la littérature religieuse d'Israël ou de celle de l'Inde, par exemple. Mais, dans ce domaine, en apparence étroit, se posent toute une série de problèmes extrêmement délicats qui tiennent à ce que le mouvement chrétien s'est développé, à ses origines, dans un milieu complexe, véritable carrefour où aboutissent bien des mouvements divers et dans lequel s'entrecroisent de nombreux courants philosophiques et religieux. Là se sont produits, tour à tour et parfois simultanément, des effets d'attraction et de répulsion qui ont donné naissance à une synthèse infiniment complexe dont il est devenu extrêmement difficile de reconnaître exactement quels sont les éléments constitutifs.

Aux yeux de l'historien du christianisme primitif les énigmes abondent, les contradictions pullulent. Essayer de les énumérer serait vain. Nous nous bornerons à en indiquer sommairement, à titre d'exemples, une ou deux parmi les plus frappantes. Suivant le point de vue auquel on se place et l'angle sous lequel on l'envisage, le christianisme primitif apparaît, tantôt comme un mouvement religieux qui s'oppose à tous les autres et même au judaïsme dont cependant il est sorti sans le désavouer, tantôt

(1) C'est le titre donné par Ad. Hilgenfeld à son édition des plus anciens textes de la littérature chrétienne en dehors du Nouveau Testament. Novum Testamentum extra canonem receptum, Lipsiae, 1866 ss. 2 1876 ss.

comme l'héritier et même comme la synthèse de toute l'histoire religieuse du monde antique. De même et l'antithèse n'est pas moins frappante le christianisme primitif peut apparaitre soit comme la création de quelques grandes personnalités, de Jésus d'abord, mais aussi de Paul et du grand mystique qui a écrit ou inspiré le quatrième évangile, soit comme l'œuvre collective de masses populaires dont la foi et l'ardente espérance ont créé quelque chose d'infiniment plus important qu'un système théologique, je veux dire un foyer de vie spirituelle qui a conquis et transformé le monde antique.

Pour essayer de se diriger dans ce dédale, il est de toute évidence qu'il faut suivre une méthode aussi rigoureuse que possible et strictement documentaire et qu'il convient de s'imposer comme une règle absolue de procéder toujours en allant du simple au complexe, du connu à l'inconnu, sans cesser de s'appuyer sur les textes, dût-on ainsi n'avancer que lentement. Sans doute, le but vers lequel il faut tendre, c'est une conception d'ensemble de l'histoire du christianisme primitif; mais une telle vue générale serait sans valeur si elle ne reposait pas sur des faits particuliers solidement établis. Ce seront donc des problèmes limités, des questions de détail strictement définies qui nous occuperont avant tout. Il en sera ainsi non parce que nous méconnaîtrions l'intérêt d'une synthèse générale mais parce qu'une telle synthèse ne peut avoir que la valeur des infrastructures sur lesquelles elle repose.

Que l'on ne se méprenne pas sur notre pensée. Quand nous disons que l'histoire du christianisme primitif doit être documentaire, nous n'entendons ni ignorer ni méconnaître certaines méthodes qui ont été proposées pour échapper à ce qu'il y a parfois d'un peu décevant dans un travail qui, parce qu'il est étroitement conditionné par des documents fragmentaires et insuffisants, ne peut aboutir qu'à des résultats moins généraux et moins certains qu'il ne serait désirable. Nous pensons ici à la méthode qui met en œuvre la comparaison de ce qui s'est passé dans les premières générations chrétiennes avec les phénomènes observés dans la formation d'autres religions. De semblables comparaisons sont souvent de nature à jeter une lumière pré

cieuse sur certains aspects du christianisme primitif. Mais nous croyons qu'il convient d'être très prudent et de ne pas trop se fier à des raisonnements qui prétendraient faire état de lois générales du développement des religions parce que ces lois, dans la mesure où il est possible de les formuler, n'expriment qu'une partie et non la totalité des faits et que de ces faits, d'ailleurs, elles ne retiennent que certains aspects. S'il y a des traits qui sont communs à la formation et au développement de plusieurs religions, il ne faut pas oublier que chaque religion a sa physionomie propre et se développe suivant son génie individuel. La méthode comparative peut être utile pour expliquer et éclairer les faits établis par des documents. Il serait, à notre avis, imprudent de l'utiliser pour supposer des faits qui n'auraient pas laissé de traces dans les textes. C'est en ce sens que nous disons que notre méthode doit toujours rester documentaire.

Sans nous arrêter aux détails, nous voudrions indiquer dans les grandes lignes comment se classent et s'ordonnent les principaux problèmes dont nous aurons à nous occuper. Nos études viendront s'organiser autour des livres du Nouveau Testament et des autres documents que nous ont laissés les premières générations chrétiennes. Elles se répartiront ainsi schématiquement en deux grandes séries. D'une part étude, de l'autre utilisation des documents, en d'autres termes, d'un côté critique, de l'autre histoire.

Dans la première série figureront d'abord les recherches relatives à la conservation et à la transmission des livres du Nouveau Testament, l'histoire de son texte et de ses versions, histoire dont le but est de permettre l'établissement, non pas sans doute d'un texte rigoureusement authentique, au sens précis du mot, du moins du meilleur texte possible en l'état actuel des choses. C'est la base sans laquelle aucun travail scientifique sur le Nouveau Testament n'est possible. Il en est ainsi, du moins théoriquement, car, en fait, le labeur des éditeurs du Nouveau Testament

et des critiques du texte a mis à notre disposition des éditions qui ne diffèrent entre elles que par des détails relativement sans portée et qui nous autorisent, non pas, bien entendu, à ignorer la critique du texte, mais, au moins, à n'aborder les questions techniques relatives aux variantes et au choix à faire entre elles que dans quelques cas particuliers.

La critique littéraire proprement dite nous occupera bien davantage. Il faut d'abord étudier les conditions dans lesquelles la littérature chrétienne est née, voir sous l'influence de quels facteurs se sont constituées les différentes formes littéraires utilisées par les premiers écrivains chrétiens, épîtres, évangiles, actes, apocalypses, déterminer dans quelle mesure chacune d'elles doit être considérée comme une création originale, dans quelle mesure au contraire, elle peut être comprise comme la transformation d'une forme antérieure empruntée soit à la littérature juive, soit à la littérature grecque. Il faut ensuite examiner successivement chaque livre et chaque groupe de livres, déterminer les circonstances de temps et de lieu, les conditions diverses, les intentions dans lesquelles ils ont été écrits, préciser quelles sont les relations. de la forme et du fond, dégager, s'il se peut, les sources tant orales qu'écrites qui peuvent avoir été utilisées dans chacun d'eux et voir de quelle manière elles l'ont été.

Subsidiairement, il conviendra d'examiner aussi l'influence que la littérature chrétienne primitive a exercée sur celle des âges qui ont suivi et de rechercher pour quelles raisons et dans quelles conditions les formes littéraires créées ou transformées par les premières générations chrétiennes, après avoir fleuri un certain temps, ont assez rapidement disparu pour être remplacées par d'autres.

Mais tout ce travail, si grand que soit son intérêt propre, si utiles que soient les perspectives qu'il ouvre sur l'âme même du christianisme, reste un travail préparatoire dont l'objet est seulement de mettre à notre disposition des matériaux éprouvés qui nous permettront de faire l'histoire du christianisme primitif.

Ici il est nécessaire de préciser, car ce terme d'histoire du christianisme primitif peut prêter à des malentendus. Il est utile

de ne pas se faire d'illusions et de se rendre bien compte que le caractère fragmentaire de la documentation qui est susceptible d'être extraite de la littérature chrétienne primitive impose à la connaissance que nous pouvons acquérir de l'histoire des origines chrétiennes une limitation assez étroite. Dans l'hypothèse la plus favorable nous pouvons apercevoir quelques points de l'histoire ancienne du christianisme, parfois suivre un moment certains développements, souvent faire sur la manière dont se relient entre eux les divers faits connus, des conjectures plus ou moins plausibles, mais il serait chimérique de prétendre suivre l'ensemble du mouvement de manière à pouvoir en présenter d'une manière réellement satisfaisante, le développement génétique. La connaissance que nous pouvons avoir de l'histoire des origines chrétiennes fait penser à ces cartes d'Afrique qu'on trouve dans les atlas vieux d'un demi-siècle, sur lesquelles de larges taches grises ou blanches portent l'indication. << régions inconnues »>, seulement, à moins de découvertes imprévues qu'il ne serait guère raisonnable d'escompter, il n'y a pas à espérer que des explorations nouvelles permettent de diminuer sensiblement l'importance de la grisaille ou du blanc des régions inconnues ou seulement mal connues. Mais connaître les limites de ce que l'on sait, n'est-ce pas déjà connaître quelque chose? N'est-ce pas, comme le disait Edmond Scherer (1), la forme suprême de la science que de savoir qu'on ne sait rien?

Pour des raisons pratiques, il nous paraît utile, quand on tente d'utiliser, pour faire l'histoire du christianisme primitif, les matériaux dégagés par la critique des documents, de considérer séparément l'histoire des faits (vie de Jésus, histoire de la mission chrétienne et des Eglises au premier siècle, histoire de l'apôtre Paul, histoire des institutions et des rites) de l'histoire des idées et des sentiments, de ce qu'on appelait autrefois la théologie biblique du Nouveau Testament, de ce que Reuss déjà appelait, dans le titre d'un livre qui, sans doute, a vieilli mais qui n'a pas été remplacé dans la littérature de langue française, l'Histoire

(1) Ed. Scherer, Mélanges d'histoire religieuse, Paris 1864, p. 87.

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