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de la théologie chrétienne au siècle apostolique (1) et de ce qu'on tend, d'une manière de plus en plus générale, à désigner avec Weinel, par le terme plus adéquat d'Histoire de la religion chrétienne primitive (2). La théologie en effet, ou la pensée religieuse n'est qu'une partie de la religion et le temps est bien passé où l'on pouvait s'imaginer que connaître un système théologique c'était connaître un mouvement religieux. L'analyse des idées doit donc être accompagnée de celle des sentiments plus ou moins confusément éprouvés, des rites pratiqués, des institutions. Et il ne suffit pas de connaître, dans la mesure où cela se peut, ces choses, telles qu'elles ont existé à un moment donné, il faut encore les situer dans le milieu où elles ont apparu, c'est-à-dire les comparer aux idées, aux sentiments, aux rites, aux institutions des groupements religieux avec lesquels le christianisme a été en contact ou en conflit et dont il peut avoir subi l'influence, soit positive, soit négative.

On remarquera peut-être que nous n'avons pas parlé d'un ordre de recherches qui, généralement, occupe une place importante dans la science du Nouveau Testament. Nous voulons parler de l'histoire du canon. Ce n'est pas parce que nous tenons à conserver à nos recherches un caractère strictement historique et que nous pensions que la notion du canon est essentiellement dogmatique. Le canon, en effet, est un fait objectif dont il est important de connaître le caractère historique et de saisir les origines, mais c'est un fait qui n'appartient à la période primitive que par ses premières origines puisque ce n'est guère que dans le deuxième tiers ou dans le troisième quart du deuxième siècle que ses premiers linéaments ont commencé à se dessiner et que

(1) Reuss, Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique. Strasbourg. Paris, 1852, 31884.

(2) H. Weinel, Biblische Theologie des Neuen Testaments, Die Religion Jesu und des Urchristentums, Tübingen, 1911, 31921. Le premier titre a été imposé à Weinel par le plan de la collection dont son ouvrage fait partie; le second seul exprime sa conception personnelle. Cf. G. Krüger, Das Dogma Neuen Testament, Giessen, 1896; W. Wrede, Ueber die Aufgabe und Methode der sogenannten neutestamentlichen Theologie, Goettingen, 1897.

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l'apparition de la notion d'un canon chrétien c'est-à-dire d'une collection d'Ecritures Saintes de la Nouvelle Alliance est l'un des traits qui séparent le plus nettement la période de création de la période de développement, le christianisme primitif de l'ancien catholicisme. Pratiquement cependant, l'histoire du canon forme un tout indivisible et l'on peut considérer qu'il est plus naturel de l'incorporer à la science du Nouveau Testament que d'en confier le soin aux historiens de l'Eglise.

Le programme que nous avons tracé à grands traits pour définir le champ de nos études a un caractère purement idéal. Nous l'avons esquissé en nous inspirant uniquement des questions à étudier et sans tenir compte de l'histoire des problèmes, de l'état de la science et de ses orientations actuelles. Ce serait folie que de prétendre aborder l'étude du Nouveau Testament comme un territoire vierge. Si s'occuper uniquement de l'histoire de la science serait faire une œuvre assez vaine, ce serait, d'autre part, se priver de guides précieux et se montrer ingrat envers le labeur immense dont le Nouveau Testament a été l'objet depuis le xvme siècle, que de prétendre l'ignorer. Si nous pouvons légitimement espérer aller plus loin que nos devanciers, préciser, développer, parfois corriger les résultats qu'ils ont atteints ce ne peut être qu'en les continuant et en profitant, pour éviter de les refaire à notre tour, des expériences qu'ils ont faites.

Quand on compare l'état actuel de la science du Nouveau Testament avec ce qu'il était il y a trente ou quarante ans, pour fixer les idées, par exemple entre 1890 et 1900, on est frappé des transformations qui se sont opérées. Je ne sais pas si, dans tout l'ensemble de la science historique, on pourrait trouver un autre domaine dans lequel la position des problèmes a été aussi complètement renouvelée dans un temps relativement aussi court. Ce qui mérite d'être souligné c'est que cette transformation n'est pas dûe, ou n'est dûe que dans une très faible mesure, à ce que des documents nouveaux ont été découverts. Elle a

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cause le travail même de la critique qui, en s'appliquant d'une manière inlassable à certains problèmes, a fini par épuiser les possibilités qu'ils présentaient au point que la manière dont ils se posaient s'est trouvée transformée, que de nouvelles questions ont surgi et que nous voyons s'entr'ouvrir devant nos yeux de vastes horizons que nul ne pouvait soupçonner il y a seulement un demi-siècle. Qu'une telle transformation ait pour conséquence une crise de la critique néotestamentaire, il ne faut ni s'en étonner, ni trop s'en effrayer. Il y a en effet à l'heure actuelle

il serait puéril de le nier une crise de la critique. D'aucuns la tiennent pour une crise d'impuissance, voire pour une crise mortelle. Ils pensent que, désormais, la critique a fermé le cercle et qu'elle est condamnée, à l'avenir, à renouveler seulement des tentatives qui se sont, à l'expérience, révélées inefficaces, si bien qu'il ne resterait désormais d'autre issue que de s'abandonner à un dilettantisme de décadence ou que de chercher à rompre le cercle fatal en s'engageant résolument dans une autre voie que celle de l'histoire. C'est ce que pensent notamment les représentants de la formgeschichtliche Schule, aux travaux de laquelle je tiens à rendre hommage mais dont il m'est impossible d'accepter les conclusions (1). Je crois que la crise que notre science traverse est seulement une crise de croissance. Mais, pour que de cette crise elle sorte avec des forces et une ardeur nouvelles, il importe de voir très exactement la situation telle qu'elle est.

Vers le milieu du siècle dernier, la critique du Nouveau Testament a connu une période particulièrement brillante. Baur avait édifié, pour expliquer l'histoire ancienne du christianisme, un système dans lequel, sans doute, certaines vues théoriques, influencées par la philosophie hégélienne, jouaient un rôle considérable mais qui n'en avait pas moins le mérite d'être admirablement cohérent, Ferdinand-Christian Baur était un esprit éminemment constructif; son système appuyé sur un formidable labeur exégétique et critique a été précisé et développé dans toutes ses

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(1) Cf. Maurice Goguel, Une nouvelle école de critique évangélique. La form- und traditionsgeschichtliche Schule », Revue, t. XCIV, 1926, p. 114

parties soit par le maître lui-même, soit par la brillante équipe des Zeller, des Schwegler, des Hilgenfeld qu'il avait su grouper autour de lui et qui formaient, au sens étroit du mot, son école. Du majestueux édifice qu'avait construit l'école de Tubingue, il ne restait plus grand chose à la fin du XIXe siècle. En France, Reuss, Albert Réville, Michel Nicolas et l'équipe de travailleurs groupée autour de la vaillante Revue de Strasbourg ont développé leurs systèmes, en partie sans doute suivant leurs inspirations propres dont les origines remontent plus haut que les débuts de l'école de Tubingue, mais en partie aussi par la critique et la discussion des thèses de Baur. C'est de l'école de Reuss qu'Auguste Sabatier a été l'héritier et ce sont, pour l'essentiel, des théories dérivées des siennes qu'il a exposées dans la remarquable série des articles qu'il a consacrés à la critique néotestamentaire dans l'Encyclopédie des Sciences religieuses de Lichtenberger (1) et dans l'enseignement qu'il a donné ici. C'est à la même école, dans laquelle son père, Albert Réville, avait joué un rôle très brillant, qu'on doit aussi rattacher, pour une part au moins, les travaux et l'enseignement de Jean Réville.

L'œuvre de Renan sur les origines du christianisme a, elle aussi, subi l'influence du système de Baur dont elle n'est, en somme, qu'une mise au point et une retouche. Elle doit beaucoup à l'école de Strasbourg (2), mais son caractère propre, c'est ce qui lui donne tant de spontanéité et de vie mais c'est aussi ce qui fait un peu sa faiblesse, c'est que cette retouche est opérée par goût, par intuition, par un sens inné de la mesure plus que par une reprise, de fond en comble, des travaux exégétiques et critiques sur lesquels reposait la construction de Baur.

En Allemagne, les thèses de l'école de Tubingue ont d'abord fait l'objet d'âpres controverses menées sur un ton dont, heureusement, on a perdu l'habitude et qu'explique, si elle ne la justifie pas, la manière dont la critique de Baur menaçait bien des positions confessionnelles. Il n'est que juste de dire que

(1) Publiée de 1877 à 1882.

(2) Cf. Jean Pommier, Renan et Strasbourg, Paris, 1925.

le ton de Baur et de certains de ses disciples était le même que celui de leurs adversaires. Sur le terrain purement scientifique, les théories de Baur n'ont pas été moins discutées. Il est inutile de rappeler ici en détail ces longues controverses. Il suffit d'en constater les résultats. On les trouve à la fois dans l'œuvre de Heinrich-Julius Holtzmann, le plus éminent représentant de l'école critique dans les trente dernières années du XIXe siècle et dans celle de deux hommes qui, tout en se réclamant de l'école de Tubingue et en se proclamant disciples de Baur, ont apporté à son système de telles atténuations qu'il est permis de se demander s'ils se sont bornés à le corriger ou s'ils ne l'ont pas plutôt remplacé par un autre. Nous voulons parler de Carl von Weizsäcker, l'auteur de l'Apostolisches Zeitalter (1) cet ouvrage dont les deux premières éditions expriment admirablement l'état de la science entre 1880 et 1890 et de Adolf Hilgenfeld, le laborieux éditeur de la Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, chez qui on retrouve souvent l'âpreté de langage et le goût de la polémique qui caractérisaient Baur et ses premiers disciples.

Il pouvait sembler, vers 1890, que, si le consensus n'était pas réalisé encore entre les critiques qui résolument se plaçaient sur le terrain de l'histoire, ce consensus n'était pas loin de se faire (2). Sur toutes les grandes questions de la science du Nouveau Testament des solutions moyennes et modérées paraissaient devoir prévaloir. Pour le problème de la composition des évangiles synoptiques la priorité de Marc et la théorie des deux sources gagnait de plus en plus de terrain (3) et en même temps, sauf dans le camp confessionnel, on tendait de plus en plus à résoudre en faveur des synoptiques l'antithèse synoptique-quatrième évangile qui a dominé depuis David-Friedrich Strauss la critique du XIXe siècle, cela non sans retenir, parfois d'une

(1) Freiburg i. B., 1886, 2 1892.

(2) Pour l'état des problèmes à la fin du XIXe siècle, nous nous permettons de renvoyer à notre Introduction au Nouveau Testament, Paris, 1922 ss.

(3) Cf. P. Wernle, Die synoptische Frage, Freiburg i. B., Leipzig, Tübingen, 1899; J. Hawkins, Horae synopticae, Contribution to the Study of the synoptic Problem, Oxford, 1899.

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