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manière plus ou moins arbitraire, un certain nombre d'éléments ou de renseignements venant du quatrième évangile. Et de ces vues sur la composition des évangiles et sur la valeur respective des documents évangéliques, la critique de la fin du XIXe siècle tirait, d'une manière parfaitement logique, des conclusions relatives à la Vie de Jésus. L'idée d'une construction de la Vie de Jésus qui pourrait rallier la quasi-unanimité des suffrages n'apparaissait pas, à ce moment, comme une vue chimérique. Il semblait aussi que l'on pouvait se faire de la pensée et de l'enseignement du fondateur du christianisme une idée relativement simple et claire tant les divers éléments de l'enseignement évangélique paraissaient facilement s'organiser autour des notions fondamentales du Royaume de Dieu et de la conscience messianique, idées que l'on pensait pouvoir dépouiller comme d'un vêtement extérieur, de tout ce qui paraissait les mettre en relation avec les conceptions apocalyptiques juives, de manière à leur attribuer un contenu tout idéal et à les rendre valables pour tous les temps et pour tous les pays.

L'histoire du christianisme apostolique ne paraissait pas moins claire que celle du christianisme évangélique. Là surtout il pouvait sembler que l'on était sur le point de formuler des conclusions qui ne tarderaient pas à pouvoir être considérées comme définitivement acquises. L'application au problème des Actes et à celui de l'Apocalypse de la méthode de l'analyse des sources qui, pour l'étude de la composition de Pentateuque, avait conduit à de si brillants résultats, pouvait faire espérer qu'il serait possible d'expliquer ces deux livres de manière à tenir compte des faits et des arguments invoqués à l'appui des théories contradictoires qui s'étaient affrontées depuis Baur.

En ce qui concerne le paulinisme enfin, la situation paraissait plus favorable encore. Les antithèses violentes qui s'étaient opposées au temps de Baur n'étaient plus que des souvenirs. Successivement les épitres aux Philippiens et aux Thessaloniciens la première surtout, que l'école de Tubingue avait rejetées comme inauthentiques, avaient été réadmises dans la liste des épîtres authentiques et si les épitres aux Colossiens et surtout aux Ephé

siens n'avaient pas bénéficié d'une semblable réhabilitation, à leur sujet aussi une évolution s'était produite. Aux affirmations tranchantes d'authenticité et d'inauthenticité avait succédé une période d'hésitation, quelque chose comme la recherche d'une solution moyenne.

Et de ce renouvellement de la critique de la littérature paulinienne paraissait ressortir une intelligence plus parfaite et plus claire du paulinisme. Interprétée par Auguste Sabatier, par Otto Pfleiderer, par Eugène Ménégoz (1), la théologie paulinienne apparaissait comme un système d'une clarté lumineuse qui était la traduction intellectuelle et théologique du message purement religieux de Jésus. La forme particulière que le système paulinien avait revêtue semblait pouvoir être expliquée par les conditions dans lesquelles était venu à la foi et par les expériences qu'avait faites au cours de son ministère apostolique, un pharisien rompu aux méthodes et aux spéculations de la théologie juive.

Voilà, esquissé à grands traits, le tableau que présentait il y a quelque quarante ans la science du Nouveau Testament. On le comparerait assez exactement à un grandiose bâtiment dont la construction est déjà assez avancée pour qu'on puisse prévoir l'aspect qu'il aura bientôt, quand il sera achevé. Mais l'édifice n'a pas été terminé. Les murs qui paraissaient bien équilibrés se sont effondrés et, à la place où devait s'élever le monument auquel la critique du XIXe siècle pensait travailler, il n'y a plus qu'un amas de matériaux disparates. Avant qu'on puisse songer à reprendre la construction, un long travail est nécessaire pour déblayer le terrain, pour classer les matériaux et les mettre à l'épreuve.

Comment un tel cataclysme, un tel bouleversement a-t-il pu se produire ?

On peut, croyons-nous, discerner plusieurs causes de ce fait. Une des premières et non des moins importantes est ce qu'on peut appeler la laïcisation de la critique. Il fut un temps où les

(1) Sabatier, L'Apôtre Paul, Paris, 1870, 31896. O. Pfleiderer, Der Paulinismus, Berlin, 1873, 2Leipzig, 1890; E. Ménégoz, Le péché et la rédemption d'après Saint Paul, Paris, 1883.

sciences bibliques formaient un groupe à part qui faisait partie des disciplines théologiques plus que des disciplines historiques bien qu'elles empruntassent à ces dernières leurs méthodes d'investigation et d'exposition. Sans doute, les grands exégètes du XIXe siècle, ceux qui ont le plus efficacement contribué aux progrès de la science, les Baur, les Reuss, les Holtzmann, les Sabatier n'ont pas prétendu apporter dans leurs travaux d'autres préoccupations que celle de la recherche du vrai. Ils n'ont pas voulu et ils n'auraient pas accepté que le domaine dans lequel ils travaillaient fût soustrait à l'application des règles ordinaires de l'histoire. Il n'en reste pas moins que, de leur temps, les historiens profanes ne se hasardaient pas ou ne se hasardaient guère dans le domaine fermé des sciences bibliques. On 'ne connaissait pas cette interpénétration qui s'est établie depuis entre ce qu'on appelait l'histoire sacrée et l'histoire profane. Les exégètes du XIXe siècle n'ont pas voulu s'enfermer entre des murailles mais ces murailles existaient, ils les ont ébranlées et surtout ils ont tenté de regarder au delà, il n'a pas tenu à eux qu'elles n'existassent pas. Maintenant la séparation entre sciences bibliques et sciences profanes n'existe plus et, pour donner une idée de l'importance des conséquences de ce nouvel état de fait, il suffit de rappeler quel renouvellement et quel bouleversement des problèmes et des conceptions générales ont déterminés par exemple les travaux de Hermann Usener sur la fête de Noël (1), de l'orientaliste Julius Wellhausen et du philologue Eduard Schwartz sur le quatrième évangile (2), du philologue Eduard Norden sur le discours de Paul à l'Aréopage (3), de l'historien du syncrétisme hellénistique et oriental Richard Reitzenstein sur les

(1) Hermann Usener, Das Weihnachtsfest (Religionsgeschichtliche Untersuchungen, Bonn, 1888, 2 (revue par H. Lietzmann) 1911.

(2) J. Wellhausen, Erweiterungen und Aenderungen im vierten Evangelium, Berlin, 1907; Das Evangelium Johannis, Berlin, 1908. Ed. Schwartz, Aporien im vierten Evangelium, Nachr. d. k. Ges. d. Wiss. z. Göttingen, Phil. hist. Kl., 1907-1908.

(3) Ed. Norden, Agnostos Theos, Untersuchungen zur Formgeschichte religiöser Reden, Leipzig, Berlin, 1913.

relations du christianisme primitif avec les religions du milieu dans lequel il s'est développé (1), plus récemment les travaux de Mark Lidzsbarski et de Reitzenstein sur la littérature mandéenne (2). De fait, nous sommes actuellement en présence d'une situation qu'il était impossible de prévoir il y a un demi-siècle. Elle est la conséquence des progrès immenses que l'histoire générale des religions a faits depuis deux ou trois générations de savants. Maintenant l'ensemble constitué par le judaïsme et le christianisme, c'est-à-dire le mouvement religieux dont l'Ancien et le Nouveau Testament sont les documents, n'apparaît plus comme une île au milieu de l'océan du paganisme antique qui n'aurait avec lui que des relations d'opposition; il apparait comme une région particulière d'un pays plus vaste, région qui a son individualité propre et ses caractères particuliers mais qui n'en est pas moins une partie d'un ensemble plus complexe et qu'il n'est pas possible, si on veut vraiment le comprendre, de séparer de cet ensemble. L'historien qui voudrait aujourd'hui étudier le christianisme en envisageant seulement ses relations organiques avec le judaïsme, entreprendrait quelque chose d'aussi chimérique et d'aussi vain que le géographe qui prétendrait exposer l'orographie et l'hydrographie d'un pays comme la Suisse en s'enfermant strictement dans les frontières politiques de la Confédération helvétique.

Une autre cause a agi, non moins puissamment, pour transformer la manière dont se posent les problèmes d'histoire du christianisme primitif et dont ils peuvent être traités, c'est le développement même du travail qui leur a été consacré. On n'admirera jamais assez le labeur critique de l'exégèse biblique du XIXe siècle. D'année en année on voit les analyses se préciser, les théories s'approfondir. Un moment est venu, c'est approxima

(1) R. Reitzenstein, Die hellenistischen Mysterienreligionen, Leipzig, 1910, 31927; Poimandres, Leipzig, 1904.

(2) M. Lidzbarski, Das Johannesbuch der Mandäer, Giessen, 1905-1915: Mandaische Liturgien, Berlin, 1920; Ginza, Der Schatz oder das grosse Buch der Mandäer, Leipzig, 1925; Reitzenstein, Das iranische Erlösungsmysterium, Bonn, 1921.

tivement dans les dix dernières années du siècle, où il est apparu que cet approfondissement des problèmes, loin d'être la préparation d'une synthèse définitive, aurait pour effet d'en rendre la possibilité même de plus en plus douteuse. En creusant plus profondément les problèmes, on a acquis le sentiment, au moins confus, que la manière dont ils étaient formulés ne répondait pas exactement à celle dont ils se posaient en réalité. Ce sentiment n'était pas assez précis encore pour conduire à chercher systématiquement une nouvelle position des questions; il était cependant assez fort pour créer un scepticisme au moins latent sur la possibilité d'aboutir à des vues d'ensemble sur l'histoire des origines chrétiennes. Cet état d'esprit se manifeste dans ce fait qui, en même temps, le renforce, que la critique s'est, depuis la fin du XIXe siècle, de plus en plus absorbée dans des études de détail. Quand on feuillette l'incomparable répertoire bibliographique que constitue la collection du Theologischer Jahresbericht, on est frappé de voir que, d'année en année, l'examen minutieux de questions soigneusement délimitées prend de plus en plus d'importance au détriment des études d'ensemble. On aurait vite fait d'énumérer les travaux généraux vraiment originaux qui ont vu le jour au xxe siècle. Johannes Weiss avait entrepris d'écrire, sous le titre de Das Urchristentum (1), une histoire d'ensemble des origines chrétiennes et il était admirablement préparé à tenter cet essai de synthèse. La mort l'a interrompu à peine l'avait-il commencé. Le grand historien de l'antiquité Eduard Meyer a bien publié, en trois volumes, un ouvrage intitulé Ursprung und Anfänge des Christentums (2), mais ce n'est pas méconnaître les mérites, très réels par endroits, de cet ouvrage, que de dire qu'il n'est guère

(1) Johannes Weiss, Das Urchristentum, Goettingen, 1917. Le fait que le seul volume paru porte sur la période apostolique autorise à se demander si l'œuvre de Joh. Weiss, si elle avait pu être achevée, aurait été autre chose que la juxtaposition d'une étude sur Jésus et d'une histoire de l'Eglise primi tive.

(2) Ed. Meyer, Ursprung und Anfänge des Christentums, Sttutgart, 1921-23.

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