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fois exagérés. On lit encore la Vie de Jésus de Renan bien que ce soit devenu une banalité de dire qu'au point de vue scientifique, elle n'existe plus. Ce qu'elle contient de mièvre et de faussement sentimental n'est pas son seul défaut. Colani a écrit d'une manière sévère mais non tout à fait injuste: « M. Renan se préoccupe trop souvent du beau et pas assez du vrai» (1) et Edmond Scherer, après avoir défini l'idée d'une Vie de Jésus dans laquelle << serait groupé, sous quelques chefs tout ce qu'une critique intelligente peut tirer des évangiles et qui serait un ouvrage un peu sévère, un peu nu... mais qui, par ses lacunes mêmes, ferait sentir quels sont la situation des choses et l'état de la question » caractérise la méthode suivie par Renan comme reproduisant non pas tant les documents que l'impression qu'ils ont laissée à l'esprit de l'auteur. A défaut de la réalité littérale qui manque, écrit-il, l'auteur dit comment il a compris les choses. La divination de l'artiste supplée à l'insuffisance de l'histoire » (2).

Le Jésus de Renan a quelque chose de fuyant et d'insaisissable. Ce que l'auteur avance d'une main, il le retire de l'autre. La position critique est incertaine. Le quatrième évangile est écarté en ce qui concerne les discours mais retenu en ce qui concerne le cadre, sans que cette manière d'opérer soit justifiée par une théorie critique soigneusement élaborée. On ne peut se défendre de l'impression que Renan l'a adoptée parce qu'elle se prêtait mieux qu'une autre à une construction harmonieuse.

Renan présente Jésus comme une sorte de doux rêveur qui se promène dans la campagne galiléenne, souriant à la vie, et que ses partisans entraînent, comme malgré lui, dans un sombre drame qui fait de lui un thaumaturge et un prétendant messianique et le conduit à la mort sans qu'il ait bien compris ce qui se passait. Le christianisme n'est pas né de son impulsion mais de la passion d'une hallucinée qui a donné au monde un Dieu ressuscité.

Un mérite cependant reste à l'œuvre de Renan: elle a mis le

(r) Colani, Revue de théologie, I, 1863, p. 378, n. I.

(2) Ed. Scherer, Mélanges d'histoire religieuse, Paris, 186, p. 86 s. (reproduction d'un article paru dans Le Temps).

problème de Jésus à l'ordre du jour et cela avec tant d'éclat qu'on n'a plus pu l'en retirer.

L'Histoire de Jésus de Nazareth de Theodor Keim dont la publication s'échelonna de 1867 à 1872, vaut, d'une part, par la minutie des recherches de détail sur lesquelles elle repose, et, de l'autre, par le fait qu'elle n'est pas, comme la plupart des œuvres du XIXe siècle, entachée de cette faiblesse que constitue une attitude flottante sur la question des sources. C'est sur les synoptiques, à l'exclusion du quatrième évangile, et spécialement sur le plan fourni par Marc, que Keim construit son récit. Il cherche, c'est un point qui revient assez souvent dans les travaux du XIXe siècle, à mettre en lumière un développement de Jésus. Pour lui, la notion du Royaume de Dieu a eu, aux débuts de la prédication de Jésus, un caractère nettement eschatologique dont elle s'est, dans la suite, dégagée en se spiritualisant.

Cette idée d'un développement de Jésus occupe aussi une large place chez Bernhard Weiss qui pense que, dans le récit de Marc, on peut distinguer une série d'étapes dans l'enseignement de Jésus. Pour expliquer le passage de l'une à l'autre, il fait une large place à l'interprétation psychologique mais sans tenir compte des différences de temps et de milieu et en attribuant à Jésus certains processus psychologiques qui répondent trop directement à la mentalité de l'homme moderne. Bien souvent Bernhard Weiss lit entre les lignes des documents qu'il interprète. C'est une conséquence de sa tendance, sans doute inconsciente, à moderniser Jésus et à montrer que son enseignement s'accorde avec celui du protestantisme à tendances modérément conservatrices auquel il se rattachait. Pour compléter la caractéristique de cette Vie de Jésus, il faut noter qu'elle utilise comme source le quatrième évangile à côté des synoptiques.

En France la Vie de Jésus de Renan n'a pas été suivie d'un grand nombre d'autres, du moins d'œuvres significatives. Il n'est pas sans intérêt de noter que l'Ecole de Strasbourg n'a pas produit de Vie de Jésus. Quand on pense au caractère encyclopédique de l'œuvre de Reuss qui a touché à peu près à toutes les questions qui se posent dans les sciences bibliques tant pour l'Ancien que

pour le Nouveau Testament, il est difficile de penser que c'est par un simple effet du hasard qu'il n'a pas laissé de Vie de Jésus. L'abstension de l'Ecole de Strasbourg s'explique, pour une part, par le sentiment que les recherches sur les évangiles n'étaient pas arrivées à des conclusions assez précises mais surtout par la conviction qu'on ne dispose pas d'une documentation suffisante. Reuss s'est expliqué là-dessus en termes très nets dans la préface du volume de la Bible consacré aux synoptiques. Il signale notamment comme une difficulté insoluble l'absence dans les évangiles de tout enchaînement solide et spécialement de toute chronologie (1).

On peut cependant rattacher, pour une part, à l'influence de l'école de Strasbourg et tout spécialement de Reuss les travaux d'Auguste Sabatier sur la Vie de Jésus, sinon l'Essai sur les sources de la Vie de Jésus qui est de 1866, du moins l'important article Jésus-Christ de l'Encyclopédie de Lichtenberger qui est de 1880. Sabatier admet l'existence d'une tradition johannique indépendante de la tradition synoptique et c'est dans le cadre fourni par le quatrième évangile qu'il présente l'histoire de Jésus. Il croit à un développement progressif de sa pensée et estime possible d'en distinguer les principaux moments. Jésus commence son ministère avec le sentiment très net d'avoir une yocation particulière. Ce sentiment a pris forme dans l'expérience qui a accompagné le baptême reçu de Jean-Baptiste. Un peu plus tard, dans les premiers temps de son ministère, Jésus a pris plus nettement conscience de l'œuvre qu'il avait à accomplir, le sentiment de sa vocation est devenu la conscience de sa messianité. Mais ce n'est ni sans luttes, ni sans effort qu'il a accepté le titre de Messie, et surtout il ne l'a fait sien qu'après l'avoir épuré et transformé pour le mettre en harmonie avec l'idée d'une royauté purement spirituelle de Dieu sur les âmes. Cette évolution est achevée au moment de l'épisode de Césarée de Philippe. Au début de son

(1) Reuss, Histoire évangélique (La Bible. Nouveau Testament, Première partie), Paris, 1876, p. 103.

ministère Jésus avait connu le succès, mais bientôt des nuages s'étaient accumulés. La popularité du jeune prophète avait inquiété les sadducéens et les pharisiens d'une part, Hérode de l'autre ́et Jésus avait commencé à ne plus se sentir en sûreté. Quand les menaces qui pesaient sur lui se furent précisées, Jésus comprit que ceux que sa prédication avait d'abord attirés n'avaient pas vraiment compris sa pensée et que leur attachement ne résisterait pas à l'épreuve. Il renonça d'abord à l'espoir d'obtenir la conversion de son peuple et, sans que sa foi dans le succès final de son œuvre fût ébranlée, la perspective de la mort entra dans son horizon et prit, jusqu'à la catastrophe finale, une précision de plus en plus grande.

M. Loisy n'a pas écrit de Vie de Jésus mais une partie de l'Introduction des Evangiles synoptiques (1), reproduite un peu plus tard dans le petit volume intitulé Jésus et la tradition évangélique (2), est plus que l'esquisse d'une Vie de Jésus, qui est exactement dans la ligne des Vies de Jésus du XIXe siècle, de celles du moins dont les auteurs ont renoncé à utiliser le quatrième évangile. M. Loisy admet ou plutôt il admettait car ses vues se sont sensiblement modifiées depuis que Jésus a eu dès le commencement de son ministère une conception nettement eschatologique et messianique. D'abord bien accueilli, il a vu, surtout après le succès de la mission des disciples, l'hostilité des autorités devenir ouverte et les dispositions de la foule changer. Il s'est alors décidé à transporter le théâtre de son activité en Judée. Mais à peine était-il à Jérusalem, que se produisit le drame dans lequel il trouva la mort.

Depuis le moment où il traçait cette esquisse, les idées de M. Loisy ont, on le sait, beaucoup changé. Il a, de plus en plus, minimalisé les éléments historiques de la tradition évangélique, au point de ne plus guère considérer les évangiles que comme des livrets liturgiques et de réduire ce qu'il y a de certain sur Jésus

(1) Loisy, Les Evangiles synoptiques, Ceffonds, 1907-8, I, (2) Loisy, Jésus et la traduction évangélique, Paris, 1910.

p. 174-253.

à la simple affirmation de sa condamnation à la suite d'un mouvement messianique mal connu (1). Mais à ce résidu M. Loisy tient énergiquement et les théories mythiques n'ont pas d'adversaire plus résolu que lui.

L'évolution qui s'est produite dans les idées de M. Loisy n'est pas intéressante seulement en elle-même, elle l'est aussi et plus encore parce qu'elle peut être regardée comme un symptôme et si on veut un symbole de celle qui s'est produite pour l'ensemble de la critique dans ces vingt dernières années.

Toutes les Vies de Jésus qui se sont succédé depuis Renan jusqu'à M. Loisy et même un peu au delà, ont des caractères assez divers. Sur des points essentiels, utilisation ou non-utilisation du quatrième évangile à côté des synoptiques, parfois par préférence aux synoptiques, caractère eschatologique ou non-eschatologique de la pensée et de l'enseignement de Jésus et spécialement de sa notion du Royaume de Dieu, messianité de Jésus, prévision de sa mort, évolution de sa pensée, on peut, sans aucune exagération, dire que toutes les nuances possibles y sont représentées. Toutes ces Vies de Jésus ont cependant certains traits communs et constituent un groupe assez homogène pour qu'on puisse, sans exagération, parler d'un consensus de la critique à la fin du XIXe siècle. Les points essentiels sont ceux-ci :

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1. Il y a dnas les évangiles, soit dans les synoptiques seuls, soit dans les synoptiques combinés avec le quatrième évangile, une histoire du ministère de Jésus qui n'est certainement pas sans lacunes mais qui correspond au développement réel des événements ;

2. Le ministère de Jésus se divise en deux périodes, la première, de succès, correspond aux débuts du ministère galiléen, la seconde, d'échecs, a déterminé le changement de théâtre de l'activité de Jésus ;

3. Le développement de la pensée de Jésus, là où il n'est pas

(1) Loisy, La passion de Morduk, Revue d'histoire et de littérature religieuses, VIII, 1922, p. 297 et La Légende de Jésus, Rev. hist. et litt. rel., VIII, 1922, p. 433-476.

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