Slike strani
PDF
ePub

quelques originaux qui y découvrent une allégorie politique. Il est d'accord aussi avec la majorité des commentateurs actuels pour reconnaître dans ce livre, non pas une œuvre dramatique, comédie ou opéra, destinée à être jouée sur un hypothétique théâtre juif, comme le voulait encore Renan, mais un recueil de morceaux lyriques. Seulement, tandis que les partisans de cette interprétation croient l'ouvrage formé d'un grand nombre de petites pièces détachées (M. Siegfried en compte 10, M. Haupt 12, Reuss 16, M. Budde 23), M. Dussaud estime que, abstraction faite de deux courts fragments (8, 11-12 et 8, 13-14), le livre ne renferme que quatre poèmes; mais ces quatre morceaux ont été entremêlés par un rédacteur; et c'est au critique à en rapprocher les membra disjecta. Au premier, qu'il appelle le poème du roi, il attribue 1,4 bx, 5-6; 8, 8-10; 1,11-12; 2, 1. 5-7; 3, 6-8. 10-11; 6, 4-5a. 8-12; 7, 1-10; 1, 2-4. 9-10. Le second, qu'il intitule poème du berger, comprend 1, 7-8. 13-17; 2, 2-4a. 4 bß. 6. Viennent ensuite un premier poème du bien aimé (2, 8-17; 3, 1-4; 4, 1-5. 7. 9-16; 5,1) et un second poème du bien-aimé (5, 2-16; 6, 1-3; 7, 12-14; 8, 1-2. 5b-7).

Voici comment M. Dussaud établit sa thèse : « Un fait ressort pour le lecteur non prévenu... quelques parties du poème célèbrent les amours d'un roi, d'un Salomon plus ou moins légendaire, d'autres chantent les amours d'un berger. C'est ce que Jacobi avait nettement mis en lumière, mais les partisans de la théorie dramatique sont tombés dans l'erreur lorsqu'ils ont conclu à une rivalité entre les deux personnages... Aucun verset ne met en présence le roi et le berger... Puisque les situations n'ont aucun lien entre elles, les versets décrivant l'amour du roi pour une jeune fille, admise dans son harem, doivent pouvoir se séparer de ceux qui ont trait aux amours du berger. Si cette séparation est possible, l'hypothèse sera vérifiée. Or, le poème du roi se dégage facilement du reste du Cantique grâce aux caractères très nets que nous énumérons plus loin': ... mention du roi ou de Salomon, intervention des femmes du harem, mention de la Sulammite, étalage du luxe de la cour».

Le poème du berger est « un bref dialogue, peut-être incomplet,

1) P. 16-17.

2) P. 35.

entre un berger et une bergère... Nous sommes loin du luxe de la cour et de ses habiletés de langage, nous ne sommes même plus dans une ville. La conversation des amants s'engage à l'ombre des cèdres et des cyprès, et leurs ébats ont pour théâtre le cellier1». Dans les deux autres poèmes « la jeune fille habite une ville et même une ville fortifiée. Ces deux pièces développent un même thème la recherche du bien aimé par l'héroïne --, mais avec de notables différences.

Cette thèse, extrêmement intéressante, sera évidemment très discutée. Et on regrette que M. Dussaud ne l'ait pas justifiée plus amplement, qu'en particulier il n'ait pas par avance répondu à certaines questions qu'on ne manquera pas de lui poser, à des objections qu'on lui fera nécessairement.

Il n'explique, par exemple, nulle part à quel mobile a, selon lui, obéi le rédacteur en dispersant le poème du roi » au milieu des autres pièces, au lieu de transcrire les quatre morceaux l'un après l'autre. On comprend fort bien pourquoi un historiographe, voulant raconter, par exemple, le déluge, a fait une mosaïque de ses sources i admettait naturellement qu'il ne s'était produit qu'un événement de ce genre au temps de Noé; il ne pouvait donc pas raconter deux fois de suite le cataclysme sous deux formes différentes. Mais il n'y avait pas, semble-t-il, les mêmes raisons pour fondre en un seul quatre chants d'amour.

[ocr errors]

M. Dussaud ne dit pas non plus pourquoi tous les passages du Cantique parlant d'un roi doivent nécessairement provenir d'un poème unique. Les Hébreux ont pu avoir ils ont même certainement eu voyez le psaume 45 plusieurs pièces lyriques célébrant l'union d'un roi et d'une reine. M. Dussaud admet lui-même que les vers parlant de pâturage (2, 16; 6, 3) ne sont pas tous empruntés au « poème du berger»: pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour ceux où il est question d'un roi, d'une cour, d'un harem?

M. Dussaud compte apparemment, pour emporter la conviction du lecteur, sur l'impression d'unité que celui-ci ressentira en lisant les poèmes reconstitués, dans la traduction, à la fois élégante et

1) P. 60.

2) P. 65-66.

fidèle, qui termine le volume. Mais ici aussi il y aurait eu lieu de prévoir et de réfuter bien des objections.

Le lecteur occidental sera, je le crains, plus frappé du décousu de ces poèmes que de leur cohésion. Le lien entre 1, 6 et 8, 8-10 lui semblera bien extérieur; et il n'en découvrira aucun entre 8, 8-10 et 1, 11-12. Il est douteux qu'il soit satisfait de la suite des idées entre 2, 1:

Je suis le colchique de Saron,

Le lis de la vallée,

et le vers que M. Dussaud y enchaîne (2, 5)

Réconfortez-moi avec des gâteaux de raisin,
Rafraîchissez-moi avec des pommes.

Réconforte-t-on les colchiques avec des gâteaux et les lis avec des pommes?

Le célèbre passage (7, 1-2), où l'on trouve d'ordinaire, depuis Wetzstein, une allusion à la danse de l'épée exécutée par la jeune épousée, doit être, d'après le contexte où le place M. Dussaud, un appel adressé par les femmes du harem à une concubine pour l'inviter à revenir de la chambre où elle s'est unie au roi (6, 11) et à « se laisser dévisager dans un déshabillé qui amène l'éloge de ses charmes »>'. Cette scène étrange était-elle bien conforme aux mœurs israélites? M. Dussaud ne l'a pas montré, en dépit de sa remarque « il faut se rappeler qu'en Orient les femmes assistent la jeune fille qui se marie ». D'autant plus que pour notre critique, si nous le comprenons bien, il ne s'agit nullement dans ce poème de la célébration d'un mariage.

Ce qui déroutera également le lecteur, c'est de trouver dans plusieurs des pièces reconstituées par M. Dussaud des passages exprimant les désirs amoureux du jeune homme et de la jeune fille après d'autres qui supposent ces désirs déjà satisfaits (7, 8-10 après 6, 11; 7, 12-14 et 8, 1-2 après 6, 2-3).

Il sera déçu de retrouver dans le « premier poème du bien-aimé » la suite de propos incohérents qu'offre le texte traditionnel (2, 15 après 2, 8-14; 2, 16 après 2, 15; 3, 1-4, après 2, 17).

Sans doute, comme M. Dussaud le remarque avec raison à propos

1) P. 54.

2) P. 51.

de ce passage, l'absence de transition est un des caractères de la poésie orientale. « Ce sont nos habitudes d'esprit qui nous rendent sensibles à ce défaut. Même de nos jours, les Orientaux ne s'astreignent pas à ménager les transitions, surtout en présie et par là, ils exigent de leur auditoire ou de leurs lecteurs un véritable effort d'imagination ». Mais on conçoit que, dans ces conditions, les transpositions et reconstitutions suggérées par M. Dussaud ne semblent pas devoir s'imposer sans provoquer des doutes persistants et fort compréhensibles.

Sur un autre point important l'auteur se sépare de la plupart des interprètes actuels. Ceux-ci, depuis Wetzstein et surtout depuis le commentaire de M. Budde, admettent en général que les poèmes recueillis dans le Cantique étaient des chants nuptiaux, composés pour être exécutés au cours des réjouissances qui accompagnaient la célébration des mariages. M. Dussaud oppose à cette hypothèse des objections qui méritent la plus sérieuse attention. Voici l'une des plus frappantes. « Si le Cantique n'était qu'une collection de chants nuptiaux, comment admettre... que les anciens rabbins en aient complètement perdu le souvenir? Rabbi Akiba (mort en 135 ap. J.-C.) reproche à certains juifs de fredonner le Cantique dans les cabarets; il ne sait rien de son usage dans les cérémonies nuptiales ».

Je me demande cependant si le mot qu'on traduit par « cabaret » et qui signifiait proprement « la maison du vin », ne désignait pas, en réalité, ici la maison où se célébrait le festin de noces. Le terme tout semblable de « maison de beuverie» (bêt miště) paraît bien. avoir ce sens dans un passage de Jérémie, celui où Dieu défend au prophète de prendre part aux deuils et aux réjouissances de son peuple « Tu n'entreras pas, lui dit-il, dans une maison de beuverie,... car je vais faire cesser en ce lieu.....

Les cris de joie et les cris d'allégresse,

le chant du fiancé et celui de la fiancée» (16, 8-9).

Le sens de «< maison du festin (de noces) » conviendrait beaucoup mieux que celui de « cabaret » ou de « cellier » pour l'expression

1) P. 69.

2) P. 10-11.

<< maison du vin » dans Cant. 2, 4. Si telle est la signification de l'anathème de Rabbi Akiba, les menaces de l'illustre rabbin tendraient plutôt à prouver que les vers du Cantique étaient effectivement chantés dans les festins de noces.

Il me paraît, du reste, difficile de contester que le cortège décrit 3, 6-11 et où le roi apparaît ceint d'une couronne de noces soit un cortège nuptial. Les nombreux morceaux où sont détaillés les charmes du jeune homme et ceux de la bien aimée rappellent de trop près les poésies sur le même thème qui font partie du rituel des noces syriennes d'aujourd'hui, pour n'avoir pas avec ces pièces une parenté directe.

L'hypothèse des chants nuptiaux a l'avantage de donner pour cadre aux poésies du Cantique un événement le mariage avec ses sept jours de réjouissances qui a certainement joué un grand rôle dans la vie du paysan juif comme dans celle du fellah syrien d'aujourd'hui.

J'avoue que je vois moins bien à quelle occasion et dans quel but aurait été composé le « poème du roi », tel que M. Dussaud le reconstitue et l'interprète. Quelques explications complémentaires eussent été, ici aussi, les bienvenues. Ce chant, nous est-il dit, célèbre « les amours d'un roi, d'un Salomon plus ou moins légendaire ». M. Dussaud ne le croit donc pas composé à l'occasion de l'union de Salomon et de la Sulammite; la date tardive qu'il assigne à la composition du livre s'y opposerait, du reste. Serait-ce donc une reconstitution historique? Mais les Israélites n'avaient pas l'habitude de cultiver l'histoire pour elle-même, pour le simple plaisir de ressusciter le passé; l'aventure d'Esther, que M. Dussaud invoque comme parallèle, est racontée pour expliquer et prôner la fête des Pourim. Dans quel but le poète aurait-il fait dialoguer Salomon, la Sulammite et les femmes du harem? — Ou bien le « poème du roi » serait-il, comme le Ps. 45, un épithalame composé en l'honneur des amours de quelque couple princier beaucoup plus récent et serait-ce par une fiction poétique que l'auteur peindrait ses héros sous les traits de Salomon - le type israélite de l'amant magnifique -, et de la Sulammite l'idéal de la beauté féminine? Mais si les noms de Salomon et de la Sulammite ne sont que des fictions, pourquoi le rang royal attribué aux héros du poème ne serait-il pas, lui aussi, une convention poétique? De quel droit se refuser à admettre, avec

« PrejšnjaNaprej »