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santé. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, les paroles qu'il prête à la nymphe Granè formulent certainement l'idée que l'on se faisait à Rome au temps d'Auguste de certains sacrifices.

La même idée se trouve exprimée, en termes aussi nets que possible, dans une inscription latine, malheureusement mutilée, trouvée à Ngaous, au sud de Sétif, en Algérie. Le texte de ce document se présente ainsi :

MAGNVM

.. NVM ANIMA PRO ANIMA VITA PRO vi
TA SANGVINE PRO SANGVINE PRO SALVte
DONATI SACRVM SOLVET EX VISO CAPIT
ORCO MOR FAVSTINA AGNVM PRO Vir

O LIBENS ANIMO REDDIT

Découverte, au cours d'une de ses missions en Algérie, par le regretté Héron de Villefosse, cette inscription fut d'abord publiée par lui dans les Archives des Missions scientifiques, 3a série, t. II (1875), p. 434. Elle a été depuis lors reproduite dans le Corpus Inscr. latin., t. VIII, n° 446818460, Wilmanns en donne l'explication suivante : [Faustinae, Donati aegrotantis uxori, Saturous visus est dicere somno, conjugem moriturum esse nisi ipsa oblatis ad placandum vitae dominum] magnum [Satur]num anima pro anima, vita pro vita, sanguine pro sanguine pro salute Donati sacrum solvet, ex viso (trois mots de sens énigmatique) Faustina agnum pro vi[r]o libens animo reddit.

Si, dans le détail, les compléments de Wilmanns peuvent être discutés, il n'est point douteux que le sens général de l'inscription ne soit le suivant pour sauver son mari Donatus, Faustina sacrifie un agneau; elle a été avertie en songe que le salut de Donatus serait assuré seulement si un autre souffle vital était donné à la divinité pour le souffle vital de Donatus, une autre vie pour sa vie, un autre sang pour son sang; obéissant à la prescription, elle immole un agneau: la victime rachète Donatus.

Et tel était encore le sens que les Gaulois donnaient, d'après César, à leurs sacrifices humains. « Les Gaulois atteints de maladies graves, comme ceux qui prennent part aux combats et qui s'exposent aux dangers, ou bien sacrifient des victimes humaines ou bien s'engagent par vœu à sacrifier de telles victimes; ils croient en ellet

que le seul moyen de satisfaire la volonté des dieux immortels est de leur offrir une vie d'homme pour une vie d'homme'. »

Ainsi l'idée de sauver une vie humaine en offrant à la divinité une autre vie, soit animale soit humaine, a, sans aucun doute, présidé à maints sacrifices dans le monde romain, soit à Rome même, soit dans l'Afrique du Nord, soit en Gaule. Les documents qui nous permettent de formuler ce fait sont aussi explicites et aussi nets que possible.

Le sacrifice de communion n'a pas été inconnu de l'antiquité; nous entendons que les anciens eux-mêmes ont attribué ce caractère à certains rites qu'ils pratiquaient. Ces rites appartiennent aux cultes de Dionysos. Ils consistaient dans le sparagmos ou dépècement violent et immédiat de la victime sacrifiée et dans l'omophagie ou manducation crue des chairs ainsi dépecées et encore toutes saignantes. L'existence de ces rites n'a pas été seulement induite, par un raisonnement d'ailleurs légitime, des mythes d'Orphée, de Penthée, de Lycurgue, ou de certaines épithètes données à Dionysos, telles que Omadios, le mangeur de chair crue; elle est formellement attestée par plusieurs textes d'auteurs chrétiens soit de langue grecque comme Clément d'Alexandrie', soit de langue latine. comme Arnobe' et Firmicus Maternus. L'omophagie est nommément mentionnée par Clément d'Alexandrie et par Arnobe: elle est décrite, sans que le terme lui-même apparaisse dans la phrase, par Firmicus Maternus, D'autres allusions encore y sont faites par Théodoret,

1) Cesar, De bello Gallico, VI, 16: ... qui sunt affecti gravioribus morbis quique in proeliis periculisque versantur aut pro victimis homines immolant aut se immolaturos vovent,... quod pro vita hominis nisi hominis vita reddatur, non posse deorum immortalium numen placari arbitrantur...

2) Clément d'Alexandrie, Protrept., 11: Acóvugov Macvóàŋv ópysášovat. βάκχοι ὠμοφαγία τὴν ἱερομανίαν ἄγοντες.....

3) Arnobe, Adv. nationes, X, 19: Bacchanalia etiam praetermittamus immania, quibus nomen Omophagis graecum est; in quibus furore mentito et sequestrata pectoris sanitate, circumplicatis vos anguibus atque, ut vos plenos Dei numine ac majestate doceatis, caprorum reclamantium viscera cruentatis oribus dissipatis.

4) Firmicus Maternus, De errore profanarum religionum, 6: Cretenses... festos funebres dies statuunt et annuum sacrum trieterica consecratione componunt, omnia per ordinem facientes, quae puer moriens aut fecit aut passus est; vivum laniant dentibus taurum et per secreta silvarum dissonis clamo ribus ejulantes fingunt animi furentis insaniam.

par Harpocration, par Photius, dont les textes ont été groupés par M. Salomon Reinach dans son Étude sur La Mort d'Orphée (Cultes, mythes et religions, t. II, p. 96 et suiv.). Plusieurs de ces passages nous renseignent sur le caractère que les anciens attribuaient à ces rites dionysiaques. Le plus important est celui d'Arnobe, dans son traité Adversus nationes, V, 19, où s'adressant aux païens, il leur dit qu'ils dévorent les chairs crues et sanguinolentes des chevreaux, afin d'affirmer qu'ils sont remplis de la puissance et de la majesté du dieu. L'expression même d'Arnobe, si nous lui donnons son sens plein, paraît indiquer qu'il s'agit d'une doctrine ut vos plenos Dei numine ac majestate DOCEATIS. C'est au fond la même idée qu'expriment Firmicus Maternus, le scholiaste de Clément d'Alexandrie et Photius', lorsqu'ils expliquent l'omophagie par le désir d'imiter, de reproduire la passion du dieu lui-même. Ici, au sacrifice-communion se mêle la conception du sacrifice-passion. Il y a entre les deux caractères des rapports étroits, sur lesquels il n'est pas utile d'insister longuement.

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Ainsi les textes, que nous venons d'étudier et de commenter, nous apprennent, que dans l'antiquité classique le sacrifice, au sens restreint du mot, c'est-dire l'immolation d'une victime, soit animale soit humaine, a été interprété par ceux-là même qui pratiquaient le rite dans plusieurs sens différents, que nous avons rangés sous quatre chefs principaux le sacrifice-don ou échange; le sacrifice-banquet; le sacrifice-rachat; le sacrifice-communion. Ces textes ne nous révèlent pas des doctrines qui se seraient succédé dans le temps; ils sont souvent contemporains les uns des autres. Le passage de la Théogonie d'Hésiode, qui atteste la conception chez les Grecs du sacrifice- banquet, appartient au même âge de l'histoire hellénique que les vers de l'iade où apparaît, dans l'invocation d'Achille, l'idée du sacrifice don ou échange. L'epulum Jovis se célébrait à Rome au temps où Ovide formulait la théorie du sacrifice-rachat et où l'Africaine Faustina la mettait en pratique pour sauver son mari Donatus. Les documents sur le sacrifice communion se réfèrent à une époque où les Frères Arvales,

1) Schol. ad Clem. Alex. Protrept., p. 120 (Ed. Dindorf): ux rip of:ov κρέα οἱ μυούμενοι Διονύσῳ, δείγμα τοῦτο τελούμενοι τοῦ σπαραγμοῦ ἄν ὑπέστη Διόνυσος. Photius s. v. νεβρίζειν ἢ νεβροῦ δέρμα φορεῖν ἢ διασπᾶν νεόρους· κατὰ μίμησιν τοῦ περὶ τὸν Διόνυσον πάθους.

le 3 janvier de chaque année, attestaient par la rédaction même de leur veu que le sacrifice des deux taureaux aux cornes dorées en l'honneur de Jupiter Optimus Maximus était offert au dieu en échange de la santé et de la prospérité de l'empereur pendant toute l'année précédente.

En présence de tels faits, si précis, si nettement démontrés par les documents, il nous paraît, non-seulement superflu, mais encore illogique de vouloir ramener à une seule et même forme l'idée que les peuples de l'antiquité classique se faisaient des sacrifices par lesquels ils honoraient la divinité; nous n'apercevons pas non plus, au point de vue strictement historique, l'avantage qu'il y aurait à découvrir que ces diverses conceptions procèdent d'une seule et même origine, qui serait, comme on l'affirmé, le sacrifice-communion; enfin, puisque dans une même civilisation, chez le même peuple ou chez des peuples apparentés, à la même époque, le sacrifice a évoqué chez ceux qui l'offraient des idés aussi différentes, nous estimons fort périlleux de vouloir expliquer le rite, tel que le pratiquaient Grecs et Latins, par l'idée qu'ont pu se faire de cérémonies analogues des populations absolument étrangères à la civilisation classique.

Prenons les faits, tels qu'ils sont ou du moins tels qu'ils nous sont révélés par les documents. Essayons de découvrir comment les anciens eux-mêmes les comprenaient. N'y cherchons pas à tout prix un sens rationnel; la religion, toutes les religions se sont accommodées d'explications irrationnelles, sinon fantaisistes. En agissant autrement, nous nous exposons à mettre l'histoire de l'humanité, et en particulier l'histoire des religions, sur un véritable lit de Procuste.

M. Th. REINACH présente diverses observations touchant l'emploi de la méthode comparative en histoire des religions. Il estime que l'usage en est légitime dans une mesure beaucoup plus large que ne l'admet M. Toutain.

M. Van Gennep se prononce dans le même sens et critique le départ, arbitraire à son avis, que l'on-établit trop souvent entre sauvages et civilisés dans l'étude des problèmes relatifs aux origines religieuses.

MM. LODS, MAYER LAMBERT et SIDERSKY émettent différentes remarques. M. R. DUSSAUD propose des conclusions provisoires à une discussion qui ne manquera pas d'être reprise.

Il est d'accord avec M. Toutain pour reconnaître qu'il serait avantageux avant d'entamer des comparaisons étendues, d'attendre que les enquêtes sur les religions particulières aient abouti à des résultats plus complets et plus précis. Mais est-ce possible? La connaissance des religions antiques offre des lacunes qui, pour la plupart, ne seront probablement jamais comblées. S'en tenir strictement à ce que nous disent les textes, n'est pas non plus sans présenter quelques inconvénients Si intéressants que soient ceux que M. Toutain vient de mettre ingénieusement en lumière, ils ne nous disent pas tout; ils ne retiennent qu'un détail d'une cér monie complexe, et pas toujours le plus important. Parce qu'ils mentionnent un banquet à l'occasion d'un sacrifice, suffira-t-il pour carac tériser ce dernier, en définir l'essence, expliquer son mécanisme et déterminer le bénéfice qu'on en attend, de le qualifier de sacrifice-banquet? Il est certain que, du point de vue religieux, le banquet ne constitue pas l'acte important. Pour nous en rendre compte, il suffit d'examiner un rituel complet, retraçant un semblable sacrifice depuis le début jusqu'à la fin de la cérémonie: on s'aperçoit alors que le banquet n'a qu'une importance secondaire; c'est un rite de sortie du sacrifice, non le rite central. Nombre de sujets d'histoire religieuse nombre - ne comportent aucun recours à la méthode comparative; celle-ci ne doit intervenir que si nous recherchons la valeur des rites. Mais, dans ce cas, elle est indispensable, ne serait-ce que pour nous débarrasser des conjectures fondées sur une expérience trop limitée. Toutes les manifestations de l'esprit humain ont entraîné des études comparatives: droit comparé, linguistique comparée etc.; pourquoi ne veut-on pas qu'il y ait aussi des études comparées en histoire des religions?

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nous dirons même le plus grand

Le Président donne la parole à M. P. ALPHANDERY qui termine la lecture de sa communication sur les origines médiévales de l'école évhémériste française.

La séance est levée à 6 heures 25.

Séance du 14 Décembre 1920

La séance est ouverte à 4 heures 1/2; M. Ed. Pottier prêside. Outre la plupart des membres de la Société Ernest Renan, l'auditóire comprend un très grand nombre de personnes invitées par la Société à l'occasion de cette séance exceptionnelle.

Le Président salue Sir J. G. Frazer dont l'œuvre éminente, tant par sa valeur propre que par les impulsions qu'elle a données, occupe une place si considé rable dans la science des religions. Il remercie Sir J. G. Frazer d'avoir bien voulu accepter l'invitation de la Société Ernest Renan et, dans une pensée particulièrement délicate, d'avoir tenu à faire de sa conférence un hommage

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