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sances populaires ou en simples bouffonneries. D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que ces confréries, monopolisant les rapports avec le domaine du sacré, sont à même de remplir les fonctions caractéristiques du culte aussi bien que les rites conjuratoires propres à la magie. La transition peut se constater, en Polynésie, dans l'ordre des Areoi qui cumulaient avec la pratique des arts magiques le culte du dieu Oro; il comprenait sept à neuf degrés auquels on accédait par des initiations successives.

Cependant, d'une façon générale, entre cultes et mystères chez le même peuple, il y a eu développement indépendant et parallèle plutôt que fusion ou absorption. Toutes les grandes religions de l'Orient faisaient une place aux initiations à côté et en dehors de leurs cultes publics. Certains mystères des Grecs remontent vraisemblablement à la période préhomérique'. Dans le culte égyptien, les textes analysés par MM. Moret, Lefébure, etc., établissent, comme l'avaient déjà affirmé Hérodote et Plutarque, l'existence d'initiations réservées à une élite. Chez les Chaldéens, le célèbre poème, décrivant la descente d'Istar dans le sombre séjour de l'Arali à la recherche de son amant Tammouz, offre tous les caractères d'une scène d'initiation. Nous apprenons, du reste, par des textes qu'a commentés le professeur Sayce, que certains prêtres ou devins devaient subir une initiation formelle; on les faisait passer à travers une représentation artificielle du monde souterrain, où on leur exhibait « l'autel parmi les eaux; les trésors d'Anou, Bel et Ea; les tablettes des dieux; les arrêts de l'oracle du ciel et de la terre; le cèdre aimé des grands dieux, que ceux-ci ont fait croître de leurs mains ».

1) Ottfried Muller plaçait l'origine des mystères grecs dans de vieux cultes pélasges qui se seraient transformés en cultes secrets après l'invasion des Hellènes (Art. Eleusinien dans l'Allgemeine Encyclopädie (vol. XXXIII, 1840. sect. I). 2) A. Moret, Mystères égyptiens, conférence du Musée Guimet, Châlons, 1911, p. 1 et suiv.

3) Sayce, Religion of ancient Assyria and Babylonia, Hibbert Lectures of, 1887, pp. 240-241.

Lenormant, de son côté, estime que cette cérémonie symbolique se jouait dans les temples «< comme une sorte de mystère1».

Chez les Sémites occidentaux, C. P. Tiele a montré que Byblos et d'autres centres des cultes Syriens avaient leurs initiations dès avant la conquête du pays par les Assyriens'. L'Ancien Testament fait plus d'une allusion à des mystères que condamnaient les prophètes' et William Simpson, au cours d'un ouvrage très suggestif, s'est demandé si le séjour de Jonas dans le corps de la baleine n'était pas la traduction mythique d'une initiation où l'on aurait fait séjourner le néophyte dans la carcasse d'un cétacé représentant le Shéol'. Dans l'Inde, on était brahmane par droit de naissance, mais nul ne pouvait exercer les fonctions sacrificatoires sans avoir passé par une initiation compliquée.

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Même l'asservissement d'une nation par des conquérants qui professent d'autres cultes est de nature à développer plutôt qu'à décourager les initiations. Tantôt ce sont les vainqueurs qui organisent des initiations à l'usage des populations désireuses d'embrasser le culte du dieu victorieux. Ainsi la religion maçdéenne était une religion essentiellement nationale. On naissait adorateur d'Ormuzd et de Mithra, en même temps que Mède ou Perse' et toute l'initiation s'y bornait à l'admission des enfants, quand ils atteignaient un certain âge. Lorsque les Achéménides eurent étendu leur domination jusqu'à la Méditerranée, le maçdéisme, pour devenir accessible à tous leurs sujets, dût organiser les initiations mithriaques, qui devaient être appelées à une si haute fortune dans le monde occidental.

1) F. Lenormant, Premières Civilisations, Paris, 1874, t.'II, p. 85.

2) C. P. Tiele, Religions de l'Égypte et des Peuples sémitiques (trad. franç.) Paris, 1881, pag. 296.

3) Robertson Smith, Religion of the Semites, London, 1894, p. 358 et suiv. 4) William Simpson, The Jonah Legend, a suggestion of interpretation, London, 1899, pp. 97 et suiv.

5) F. Cumont, Les Mystères de Mithra, Bruxelles, vol. I, 239.

Tantôt, au contraire, ce sont les vainqueurs eux-mêmes qu'attirent les cultes des vaincus. Après la subjugation d'Eleusis, les Athéniens ne purent se faire admettre dans les sacra gentilicia des familles éleusiniennes vouées au culte de Déméter qu'en se soumettant aux formalités d'une initiation. Celle-ci, instituée exclusivement pour les citoyens de l'Attique, finit par s'ouvrir aux autres habitants de la Grèce et même à tous les sujets de l'Empire romain « comme un sanctuaire commun à toute la terre », zo:vóv ti yos téμevos, dit Aristide le rhéteur1.

Toutes les religions étrangères qui se répandirent dans le monde romain assumèrent la forme de Mystères ouverts à ceux qui s'en montraient dignes ou simplement à ceux qui désiraient y pénétrer. Ainsi l'Initiation préparait l'avènement des cultes universalistes, en substitutant à la nationalité, comme fondement du lien religieux, la communauté de croyances et de rites. Même les chrétiens ne se contentèrent. pas longtemps de la simple immersion rituélique, telle qu'elle fonctionnait au sein de l'église primitive. Déjà dans saint Paul, le baptême est représenté comme une opération mystique qui associe les néophytes à la mort et à la résurrection du Christ. (Coloss. II, 12.) Les convertis gréco-romains la transformèrent en une initiation prolongée dont la phraséologie et le cadre furent empruntés au paganisme, suivant l'exemple donné par les gnostiques'. Ceux-ci allèrent plus loin encore dans cette voie. Deux manuscrits, ayant appartenu à la secte des Valentiniens, le Pistis Sophia et le Livre du Grand Logos selon le Mystère, décrivent quatre degrés d'initiation le Baptême de l'eau qui introduit dans le lieu de Vérité et le lieu de Lumière» le Baptême du feu, « qui fait entrer parmi les héritiers du royaume de Lumière », le Baptême de 1 Esprit;

1) Eleusinios, édit. Dindorf, p. 415.

2) Edwin Hatch, Influence of greek Ideas and Usages upon the Christian Church, Hibbert Lectures, London, 1890, p. 295 et suiv.

enfin «le Mystère qui oblige tous les Archontes à enlever les iniquités de dessus les Disciples et qui rend ceux-ci immortels1». Chez les Druses, d'après les historiens arabes, Makrisi et Nowaïri, il n'y avait pas moins de neuf degrés d'initiation dans lesquels on enseignait successivement le sens caché du Coran, l'origine réelle de l'Univers, l'inaccessibilité du principe suprême et finalement l'équivalence de tous les cultes'.

Les sectes chrétiennes du moyen-âge recoururent largement aux initiations dont le secret servait à les protéger contre les persécutions de l'orthodoxie; la faveur dont jouissait alors le symbolisme leur permettait d'attribuer à des textes ainsi qu'à des emblèmes parfaitement orthodoxes, ou du moins inoffensifs, une signification ésotérique qui était graduellement révélée aux néophytes. Même des détails aussi exclusivement techniques que les formules et les outils de l'art de bâtir purent ainsi recevoir, dans l'apprentissage des francs-maçons, une interprétation morale ou philosophique qui en a maintenu l'emploi jusqu'à nos jours dans les initiations de l'ordre franc-maçonnique, alors que celui-ci a complètement renoncé à tout caractère professionnel'.

Il est à remarquer que l'initiation, tout en gardant ses formes au cours de cette évolution, a quelque peu changé d'objet en passant de la magie au service de la religion. Ce qu'on vint. désormais lui demander, c'était de mieux connaître et d'approcher plus intimement les dieux qu'on tenait pour les vrais maîtres de la destinée. D'où, chez les néophytes, des sentiments. nouveaux de curiosité, d'émoi, d'angoisse même, mélangés à un ardent désir de communion avec leur idéal religieux et moral. Les rites qui leur donnaient accès au monde sacré, que ces cérémonies eussent été primitivement en rapport avec

1) Amé'ineau, Gnosticisme égyptien, Paris, 1887 p. 243 et suiv.

2) Sylvestre de Sacy, Expose de la Religion des Druses, Paris, 1838, p. LXXIV et suiv.

3) R. F. Gould, Concise History of Freemasonry, London, 1904, pp. 127; 304 et suiv.

le changement des saisons, les révolutions des astres ou les transformations des semences, offraient un rythme de périodicité et d'alternance que l'initié appliquait à son propre destin. Dans le drame liturgique auquel il assistait et participait, il voyait désormais la passion d'un dieu, c'est-à-dire un sacrifice divin dont il était personnellement appelé à recueillir le bénéfice. Tout le symbolisme des mystères antiques s'orienta dans cette direction. Le but de l'Initiation redevint ainsi la conquête d'un avantage individuel, mais sur un autre plan: «Grâce à ces beaux mystères qui nous viennent des dieux », lit-on dans une inscription éleusinienne, « le trépas n'est pas un mal pour les mortels, mais un bien1»>.

Dans les Mystères d'Eleusis dont on ne peut guère contester le caractère originairement magique ou magico-religieux, visant à assurer l'abondance des môissons de l'Attique, cette évolution s'était déjà produite à l'époque où fut composé l'hymne homérique à Démèter, puisque on y proclame que la destinée posthume des mortels ne sera pas la même, suivant qu'ils ont été initiés ou non aux rites sacrés de la déesse '. Une évolution analogue se constate, dès une époque fort reculée, dans les Mystères de l'Égypte, de la Chaldée et de l'Asie-Mineure. Suivant M. Paul Foucart, un cours de géographie infernale était le principal objet de l'initiation éleusinienne et d'autres mystères encore'. On s'y serait proposé uniquement d'apprendre la route à suivre après la mort pour atteindre le séjour des bienheureux. Il est admissible que cette préoccupation ait figuré parmi les espérances qui attiraient le vulgaire. Mais elle est insuffisante pour expliquer l'impression moralisante que les cérémonies initiatoires ont laissé chez certains esprits supérieurs de l'antiquité classique Platon, Andocide, Plutarque, Cicéron, etc. Peut-être la thèse se justifie-t-elle en ce

1) 'Εφήμερις ̓Αρχαιολογική, Athenes, 1883, p. 82.

2) Homeri Carmina-In Cererem, v. 480. (éd. Didot).

3) Recherches sur les mystères d'È eusis, 1′′ Mémoire, p. 33 et suiv. Paris, 1885.

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