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séries restreintes de faits des tendances méthodologiques dont le plein effet n'est cependant apparu dans nos sciences que depuis une cinquantaine d'années.

II

Claude Guichard.

Claude Guichard, seigneur d'Arandas, naquit à Saint-Rambert-en-Bugey vers le milieu du xvre siècle, donc sujet des ducs de Savoie, le Bugey n'ayant été réuni à la France que par le traité de Lyon en 1901, et mourut à Turin en 1607. Il fit d'abord de fortes études de droit, occupa auprès du duc Charles Emmanuel Ier les positions de secrétaire d'Etat, de maître des requêtes et de grand référendaire, puis, après la publication de ses travaux d'érudition, fut nommé historiographe des ducs de Savoie. Plusieurs de ses livres, notamment sa traduction de Tite Live, sont perdus. Celui qui nous intéresse ici est intitulé Funérailles et diuerses manières d'enseuelir des Romains, Grecs et autres Nations, tant anciennes que modernes; il est dédié à Treshaut, trespuissant et tresmagnanime Prince, Charles Emmanuel duc de Savoie, et fut achevé d'imprimer à Lyon, par Jean de Tournes, en 1581, le privilège étant daté de 1574.

Le but et le plan de l'ouvrage sont indiqués dans la Préface en un style latinisant qui garde du charme. Après avoir expliqué que les Romains furent admirables à tous les points de vue, même en ceci qu'ils « auoient en guerre ceste pratique en singuliere recommandation, d'apprendre des peuples subiugués les sortes d'armes qu'ils auoient, en les combattant, recognues auoir donné plus d'empeschement à leurs desseins »>, Claude Guichard se plaint que nul savant « ne s'est encore treuvé lequel se soit ingéré de traicter à plein de leurs sépultures et funérailles, combien que ce soit l'un des premiers et principaux articles de leur Religion, de la congnoissance

duquel, outre le proffit qu'on en peut retirer, ne fust qu'en ramentemant la fragilité humaine par la contemplation de la mort..., on se facilite une grande ouuerture pour paruenir à l'intelligence des choses qui sont à présent les mieux estimées entre les hommes sçauants et de bon iugement... ». Il s'est donc mis à classer ses notes, à les « confronter de gros en gros auec ce quen ont escrit en bloc et par le menu Blonde Forlien, Alexandre de Naples, Volaterran... et tout plein d'austres, ayant recogneu qu'ils auoient plustost ouuert que fermé le pas à ceux qui voudroyent passer outre... », et à rédiger la première partie de son livre, qui concerne les Romains.

« Et comme il soit aisé de passer d'une matière à autre conforme et semblable, aussi me suis-ie tout d'un train appliqué à rechercher et descrire les funéralles des autres nations, tant ciuilisées que barbares considerant, qu'outre le plaisir et l'utilité, qui en reuiendroit, d'auoir, comme en un tableau proposé deuant les yeux, tout ce qui se peut recueillir sur un suiect; estans coniointes à celles des Romains, elles pourroyent former un corps entier et aucunement parfaict en ses parties. De quoy ie ne veux parler maintenant, pour m'estre réserué lieu plus commode et idoine pour en discourir, c'est à sçauoir aux préfaces d'un chacun livre, où se rendra raison de leur ordonnance et entresuite. >>

C'est à la Préface du Livre troisième et dernier qu'il faut recourir pour trouver la justification promise « Afin que rien ne defaillist, dit Guichard, aux amateurs de l'antiquité, qu'ils peussent attendre ou désirer de moy, i'ay assemblé en ce dernier liure tout ce qu'en poursuyant l'honnorable carrière d'un estude plus serieux, le temps, le lieu et loisir, m'ont peu permettre de recueillir des historiens tant antiques Latins et Grecs, que modernes Italiens et Français touchant les funerailles et sepultures des autres nations. » Il a classé les documents recueillis en «assignant à chaque nation son quartier et place à part, selon que se comporte la générale diuision de

toute la terre, et la particulière des parties d'icelle. Ainsi commençant aux peuples d'Afrique, passant à ceux d'Asie, et de là aux Européens, ie suis venu frapper aux Terres neufves: pour réduire toutes cerimonies funebres sous la couuerture d'un mesme liure. »

Ce classement géographique était certes, à la fin du xvi° siècle, le plus raisonnable, et le reste même de nos jours dans quelques cas précis. Où Claude Guichard se montre novateur, et par suite doit être mis chronologiquement en tête des précurseurs de l'école comparative, c'est qu'à l'étude des peuples africains et asiatiques dont parlaient les auteurs classiques, il a adjoint, en la mettant exactement sur le même plan, celle des peuples barbares et sauvages que lui faisaient connaître les voyageurs et explorateurs du Moyen-Age et de la Renaissance. Le premier chapitre du Livre Trois est intitulé « Des funerailles et anciennes façons d'enseuelir des Africains >>; Guichard y parle des Ethiopiens, des Libyens, des Carthageois (sic), des Ichtyophages et des Lotophages, d'après Hérodote, Diodore, Strabon, Sextius Empiricus, etc. Le chapitre suivant, << De la maniere d'enseuelir des peuples qui habitent à présent en Afrique », traite des Beninois, des Canariens, des habitants du Benomotapa, des insulaires de Zubut, des Mauritaniens, etc., d'après la Cosmographie de Thevet, les voyages d'Edouard Barbosa, de Pigafetta, de Léon l'Africain et la Cosmographie de Belleforest. Comme ces diverses populations africaines et modernes n'habitent pas les mêmes régions que celles dont nous parlent les auteurs classiques (l'Afrique du Nord et l'Ethiopie n'ayant commencé d'être explorées au point de vue ethnographique qu'à partir du XIXe siècle) on ne saurait faire grief à Guichard de n'avoir pas institué entre elles de rapprochements méthodiques; mais on observera que si, dans son utilisation des textes grecs et latins, Guichard a poursuivi avec un soin scrupuleux la critique des témoins et des témoignages, il n'a pas craint de transposer cette méthode critique aux auteurs modernes, et a pris soin de confronter ces auteurs,

contrôlant Thevet par le voyageur Lopez, recourant aux sources mêmes, et jugeant de la véracité du document d'après la valeur intellectuelle et morale du narrateur.

Parmi les réflexions critiques de cet ordre, j'en citerai une qui ne laisse pas d'être caractéristique: « Le voyageur Belon affirme que les Juifs de Constantinople gardaient chez eux les os de leurs parents défunts pour les envoyer après inhumer à Iérusalem, disant qu'il le sçait pour l'auoir veu et appris des Juifs mesmes, dont il s'en treuua quelques uns dans le mesme nauire ou il estoit, quand il passa de Constantinople à Alexandrie, portant des sacs de peau pleins d'ossements, lesquels ils disoyent estre de leurs ancestres et autre deuanciers defuncts, et les alloient enseuelir en la terre saincte. Cela peut bien estre aduenu, observe Guichard, et n'est pas inconuenient qu'il n'ayt pris fantaisie à quelque grand usurier de luif remuant mesnage d'enuoyer là les ossements et reliques de ses predecesseurs. Mais qu'ils ayent accoustumé d'en user ainsi, les Iuifs ausquels j'ay parle de ceste leur façon de faire, s'en gaudissent et ne doutent point que ces Hebrieux qui passoyent la mer n'en baillassent d'une à Belon, qui à l'aduenture s'informait trop curieusement de ce qu'ils portoyent à couuert, afin qu'il ne sceust pas ce que c'estoit, suyuant la gentile response et bien à propos que l'Egyptien fit à celuy qui luy demandoit, que c'estoit qu'il portoit enueloppé : c'est, dit-il, à fin que tu ne le sçaches pas, qu'il est enueloppé1».

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On voit que, non content des textes écrits, quand il l'a pu, Claude Guichard a eu recours à l'information orale comme moyen de contrôle. Le plan des divers chapitres du troisième livre est uniforme d'abord les populations anciennes, puis les modernes, et peut-être avec une arrière-pensée, qui n'est que rarement exprimée, et encore avec hésitation, par exemple dans le passage suivant : « Continuant à parler des funerailles des peuples d'Asie, comme i'ay commencé de faire, sans autre

1) Loc. cit., p. 516.

1

ment m'astraindre à l'ordre cosmographique ny des anciens ny des modernes, pour ranger plus librement pres les uns des autres ceux dont les coustumes ont quelque rapport et conformité ensemble, ie vien maintenant aux Indiens... ». Il semblerait donc que Guichard avait aperçu, au cours de sa recherche, qu'il existe, au moins en matière de sépulture et de funérailles, certains éléments communs, qui permettraient un classement non plus géographique ou national seulement des faits, mais plus étendu, et d'après des concordances internes.

Les documents sur les Asiatiques modernes sont empruntés par Guichard à Belleforest, à Fernand Lopez de Castagneda traduit par Nicolas de Grouchy, au voyage de S. Estienne Gènois au Coromandel, à celui de Pierre Alvarez à Calicut, à Marco Polo, et pour ce qui concerne les musulmans à Guillaume Postel, Ludovic de Barthema, Josapha Barbaro (voyage en Perse) et aux Cosmographes Thevet et Belleforest. Puis vient le chapitre « De la maniere d'enseuelir de quelques nations de l'Europe tant anciennes que modernes » dans lequel il est traité, pour commencer, des funérailles des Thraces, des Gètes des Hérules, des Issedones, puis des populations de l'Europe septentrionale et centrale (Lituaniens, Germains, etc.), enfin des Celtes, Gaulois et Etrusques.

Après quoi, Guichard passe aux « funerailles et sepultures des peuples des terres descouvertes de nostre temps, ausquelles on a donné le nom de Nouueau Monde et d'Indes Occidentales ou Amérique », qu'il décrit d'après Belleforest (Histoire univer selle), Benzoni, François Lopez de Gomara, Pierre de Cieca de Léon, Thevet, Jean de Léry, en contrôlant ces divers auteurs les uns par les autres. A lui seul, ce chapitre comprend trente pages, et les sources modernes sont indiquées, en marge, avec autant de soin que lorsqu'il s'agissait d'auteurs classiques.

Je voudrais à ce propos rappeler qu'une idée fausse tendait à se répandre dès avant la guerre, et s'ancre de plus en plus

1) Loc. cit., p. 354.

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