Slike strani
PDF
ePub

reille discussion trouve sa place dans les écrits des publicistes, et dans les concours des Académies. Elle a abouti aux conclusions les plus contradictoires, suivant les écoles et suivant les doctrines, preuve palpable que les éléments vrais et profonds du débat échappent à l'abstraction, parce qu'ils ne se laissent pas détacher de la réalité concrète. Aussi nul pays ne s'est déterminé à créer des colonies par des considérations de cette nature, mais tous ont tranché le nœud gordien, sous l'impulsion impérieuse des nécessités de la pratique et sous l'influence inéluctable de leur histoire et de leur passé.

Il en est ainsi pour la Belgique.

L'exposé qui précède montre, qu'en dépit de la distinction complète qui sépare en droit la Belgique et le Congo, et les rend étrangers l'un à l'autre, il s'est formé entre eux des liens si nombreux et si étroits que les deux pays paraissent, dans la vérité des choses, former une véritable unité. Nul n'a mieux exprimé cette idée que le baron van Eetvelde, dans sa lettre du 28 mars 1901, adressée au gouvernement belge.

་་

«... Actuellement déjà, disait-il, le Congo est belge de fait. Ce sont des Belges qui l'administrent à Bruxelles et en Afrique. Les statistiques établissent que c'est surtout vers les ports belges que se dirige, sous le régime de la liberté des échanges, le mouvement commercial de l'Etat Indépendant, et que ce sont les industries belges qui pourvoient à ses besoins. Ce sont les Belges qui évangélisent le pays; ce sont des Belges qui y possèdent et y dirigent presque toutes les grandes entreprises. >>

il

Tel est le vrai point du débat. Si le Congo est belge de fait et personne n'oserait le nier s'agit, non pas de le rendre belge par l'annexion, mais de confirmer cette qualité, ou d'effacer et de faire disparaître son caractère propre. Il s'agit de savoir si l'unité, créée longuement et laborieusement entre les deux pays, doit être violemment et radicalement détruite; il s'agit de savoir s'il convient de notifier au monde civilisé que le nom de Congo belge, sous lequel il est partout connu, ne sera plus le sien. Mais il y a plus: ce ne sont pas seulement les rapports actuels qu'il faut considérer, c'est aussi tout le passé du Congo qui doit entrer en ligne de compte. Depuis vingt-cinq ans, les Belges ont pris une part prépondérante à la découverte, à l'organisation, à la direction du Congo. Ils y ont accompli un labeur énorme. Beaucoup d'entre eux y sont morts à la tâche, beaucoup d'entre eux y ont versé leur sang d'une manière glorieuse. Des sacrifices héroïques y ont été accomplis et de sublimes dévouements, qui ont arraché un cri d'admiration à tous les cœurs généreux. Nos missionnaires y rivalisent de zèle pour le relèvement moral des noirs, et beaucoup de leurs postes rappellent, sur la carte d'Afrique, des noms qui nous sont familiers. Nos soldats et nos fonctionnaires y ont fondé et y dirigent l'administration. Nos commerçants et nos capitalistes y ont leur activité et leurs ressources.

C'est tout ce travail et tout ce passé qu'il faudrait renier si l'annexion était rejetée, car cette fois, la décision sera irrévocable. Il nous faudrait déclarer que tout cela a été fait, non pas seulement en

vain, mais à tort. Et, si l'on veut donner une forme plus tangible à cette idée, il suffit de se représenter l'abandon du Congo par la Belgique. Nos officiers quitteraient leurs postes; nos fonctionnaires abandonneraient leurs districts, sur un ordre venu de Bruxelles, et l'on ne peut songer sans honte au sentiment qu'ils éprouveraient, et à celui qu'éprouveraient tous les Belges au spectacle de cette déchéance morale, et sous la risée de l'Europe.

On a dit que de pareilles raisons étaient d'ordre purement sentimental. Certes, elles s'appuient sur les sentiments les plus vivaces qui tiennent au cœur de la nation, à savoir l'honneur et le souci de la dignité nationale. Mais qui oserait affirmer qu'obéir à des mobiles aussi élevés soit chose déraisonnable et non justifiée?

Ce serait d'ailleurs un spectacle presque unique dans l'histoire, que de voir un pays, comblé de ressources et arrivé au faîte de la civilisation, renoncer spontanément et de gaîté de cœur à son développement colonial. Les Etats qui, depuis l'origine de l'époque moderne, ont fondé au prix d'immenses sacrifices un empire d'outre-mer, l'Espagne, le Portugal, la Hollande, l'Angleterre, la France ne se sont laissé arracher une parcelle de leur domaine d'outre-mer que sur la pression des nécessités les plus impérieuses. Aucune d'elles n'a jamais pensé un moment qu'il fût possible de procéder à un démembrement de cet empire, délibérément et spontanément. Et le XIX siècle a vu croître et se fortifier cette tendance à l'expansion extérieure. Des nations, qui n'étaient pas encore intégralement colonisées à l'intérieur, ont cherché à se créer des débouchés; d'autres, en pleine force et en pleine maturité, qui n'avaient point eu l'occasion de se créer un patrimoine à l'étranger, n'ont point eu de repos jusqu'au jour où elles ont pu réaliser cet espoir. Toutes les puissances, même celles qui ne sont point au rang des plus grandes, comme la Hollande et le Portugal, sentent le prix qui s'attache à cette participation effective au partage du globe, parce qu'elles ont conscience qu'elles y sont entraînées par des lois plus fortes et plus permanentes que les volontés individuelles.

Pourrait-on admettre que la Belgique seule, à qui s'offrent les conditions les plus favorables, se plaçât en dehors de ce mouvement général de l'humanité civilisée, et restât seule à ne point désirer ce que d'aussi sages qu'elle ont convoité avec tant d'ardeur et réalisé avec tant de peine?

Tous les regrets à cet égard, outre qu'ils seraient ridicules, seraient stériles après le rejet de l'annexion, car le partage du monde est clos et l'Afrique, avec le Congo, a été précisément l'objet du dernier partage possible.

C'est, au surplus, un phénomène historique, qui a la constance d'une loi, qu'un peuple, parvenu au sommet de son développement, tend à sortir de son territoire et à imprimer au dehors la marque de son caractère spécial. Après de longs siècles de formation, après une vie commune laborieuse et féconde, les nations qui ont acquis, par leur passé même, les qualités des peuples supérieurs, ont l'ambition instinctive de communiquer, à des races moins douées qu'elles-mêmes, quelque chose de leur poli. Un tel moment paraît arrivé pour la Bel

gique. Il ne saurait être question, assurément, de créer une Belgique noire, ni d'imposer nos coutumes, notre langue ou nos arts aux peuplades africaines; mais de même que les grands pays colonisateurs, sans violenter la nature des peuplades indigènes, donnent pourtant à leurs procédés une physionomie particulière, qui fait qu'on distingue nettement la colonisation hollandaise de la colonisation anglaise et de la colonisation russe, de même il n'est pas téméraire d'espérer que l'activité colonisatrice des Belges reflète, un jour, quelques-unes de nos aptitudes et quelques-uns de nos traits caractéristiques.

Une telle propension se manifeste souvent d'ailleurs sous d'autres formes, qui ne sont que l'expression du devoir profond des pays civilisés à l'égard des peuples inférieurs. La foi religieuse a fait surgir, pour satisfaire à ce besoin d'éducation, d'innombrables missions. dans tous les coins du globe. Et l'Etat Indépendant en est un témoignage frappant. Les Belges, qui ont à cet égard un passé glorieux et un présent admirable, cnt été des premiers à porter leur prosélytisme évangélisateur au centre de l'Afrique. Il ne saurait leur être indifférent de voir ces efforts infatigables secondés et soutenus, à l'endroit même où leur activité s'exerce, par d'autres Belges, fonctionnaires ou administrateurs, chargés de répandre, en même temps que les missionnaires et avec eux, les mêmes principes de civilisation.

A ces points de vue divers, la reprise du Congo ne manquera pas d'exercer, sur notre caractère national, une influence heureuse, qui n'est pas un des moindres avantages de l'annexion. Il est d'un intérêt majeur d'ouvrir à la population de notre pays des horizons plus larges et des perspectives plus étendues que le terre-à-terre des préoccupations matérielles, et les mesquineries de la politique intérieure, trop souvent étroite et sans générosité. Il importe, qu'outre le souci des réalités immédiates et des résultats à court terme, nos compatriotes développent le sens des entreprises à longue échéance, l'habitude des desseins d'une réalisation lointaine, et cette ouverture de l'esprit public, que donne seule la pratique d'une vie plus large et moins repliée sur elle-même.

Certes, il faut écarter avec énergie l'idée de créer des générations de coloniaux rapaces et d'ambitieux sans scrupules et sans frein, qui déploieraient, à l'extérieur, une activité malfaisante, intolérable en Belgique; mais il serait absurde de ne point fournir à ceux que tentent des conceptions plus vastes et des idées plus grandes que celles de la masse, une carrière où ils puissent donner la mesure de leurs qualités et de leur valeur.

Ce sont là, sans doute, des résultats qui paraissent peut-être aléatoires, parce qu'ils ne sont pas proches; ils n'en sont pas moins certains; un regard jeté sur les pays colonisateurs suffit pour convaincre ceux qui savent et qui veulent voir.

Telles sont, à nos yeux, les raisons d'ordre moral qui militent en faveur de la reprise. Nous nous y sommes attardés, parce qu'elles priment les autres, et sont souvent trop négligées.

Mais il est toute une série de motifs d'ordre économique, qui s'imposent impérieusement à l'esprit. Ils ont été exposés si souvent, et se

présentent avec tant de clarté, qu'un très bref examen suffira pour les indiquer.

La Belgique ne peut faire vivre sa population énorme, dans ses limites étroites, que grâce à une activité industrielle et commerciale des plus intenses. C'est devenu une banalité que de s'appesantir sur ce point, et il n'est pas un Belge qui ne sache que, sous l'empire de la nécessité et par le travail incessant de tous, notre pays est actuellement la cinquième puissance économique du monde, au point de vue. absolu. Sans qu'il soit besoin de citer aucun chiffre, chacun comprend quelle accumulation de capitaux est la conséquence de cette production formidable, et chacun sait que ces capitaux, ne trouvant point. d'emploi ou trouvant un emploi trop peu rémunérateur sur place, cherchent à s'expatrier. Les capitaux belges, ainsi placés à l'étranger, forment un total considérable, et de nouveaux capitaux cherchent sans cesse des placements avec audace et parfois même avec témérité. Les entreprises colonisatrices offrent à ces capitaux des occasions extrêmement propices. Sans doute de pareilles ressources peuvent s'employer à l'étranger, dans des pays civilisés, mais elles n'y trouvent point les profits qu'elles recherchent, parce que dans ces pays mêmes les capitaux abondent. De là, la haute utilité des placements coloniaux. Sans doute aussi il paraît n'être point nécessaire de posséder des colonies pour faire de pareilles opérations. Mais il est d'expérience constante et universelle qu'une sécurité plus grande, une protection plus efficace, des garanties plus sérieuses leur sont assurées là où la métropole dirige, administre, gouverne et rend la justice. Les capitalistes recherchent instinctivement et à bon droit ces avantages, et il n'est pas douteux que le capital engagé dans chaque colonie ne provienne, pour une partie prépondérante, de la mère patrie. Il en est ainsi notamment au Congo, où sur 85 sociétés commerciales existant en 1907, 57 étaient belges avec un capital de 143,332,000 francs et 28 étrangères avec un capital d'environ 40 millions (1).

La situation n'est pas différente, en ce qui concerne l'industrie et le commerce. Les pays neufs constituent par excellence des débouchés pour les pays à grande production. Aussi n'est-il pas un Etat de cette espèce, qui ne recherche avec âpreté les moyens d'écouler ses produits, de maintenir et d'améliorer sa situation industrielle, en cherchant sur le sol colonial des marchés avantageux. Ils y trouvent des besoins presque sans limites à satisfaire, un outillage à créer, des nécessités de tout genre, auxquelles il faut faire face. Et souvent, les capitaux mêmes envoyés aux colonies, contribuent à former une demande de produits de la mère patrie. Il n'est pas douteux, par exemple, que la création du chemin de fer de Matadi au StanleyPool n'ait offert aux capitalistes belges un emploi fructueux de leurs fonds, et n'ait procuré aux industriels belges des commandes. Fautil faire remarquer que les mêmes faits se constatent pour ce qui regarde le commerce, qui suit évidemment le mouvement de la produc

Rapport au Roi, Bulletin officiel de l'Etat Indépendant du Congo, mai 1907, p. 147.

tion industrielle? Et faut-il ajouter que tout ce cvcle d'opérations n'intéresse pas seulement les capitalistes, mais se répercute de proche en proche, sur tous les degrés de la hiérarchie économique?

On a fait observer que le chiffre de notre commerce avec le Congo est infime, comparé au chiffre de notre commerce avec la France et avec l'Angleterre, oubliant que le mouvement commercial vers le Congo n'a guère que vingt ans d'existence, alors que nos rapports avec nos voisins sont vieux de plusieurs siècles.

On a fait remarquer aussi que sous le régime du libre échange, et spécialement sous le régime consacré par l'Acte de Berlin, tous les pays pouvaient librement faire le commerce au Congo, sans aucune charge administrative, tandis que la Belgique, dépourvue de tout privilège, porterait en outre le poids du gouvernement colonial. On sait. que cette objection, vieille comme les colonies, a été réfutée cent fois par les faits. Elle est la source des entraves de différente nature qui, sous le nom de système ou de pacte colonial, ont embarrassé les débuts de la colonisation européenne, mais ces restrictions ont été abandonnées à peu près partout, et l'Acte de Berlin n'a fait que consacrer une situation qui est générale dans tous les pays libre-échangistes. C'est un fait constant, et presque une formule économique, que la marchandise suit le pavillon. Et pour le Congo, notamment, sur un total de fr. 20,075,361.96 d'importations, en 1905, la part de la Belgique s'élève à fr. 13,888,811.75 et, sur un total de fr. 53,032,263.18 d'exportations à la même année, la Belgique a reçu fr. 48 millions 662,770.70 (1).

Il ne faut pas oublier, au surplus, que des carrières lucratives en grand nombre, spécialement dévolues à nos nationaux, ont été ouvertes et ne cesseront de s'ouvrir au Congo. Sans compter les fonctions judiciaires, militaires et administratives, sans compter les emplois de toute nature offerts par l'initiative privée, on peut être assuré que le développement économique de la colonie et l'éducation technique, même rudimentaire des noirs, nécessitera l'émigration temporaire et rémunératrice d'un grand nombre de travailleurs expéri

mentés.

Nous terminons ici ce bref exposé du côté économique du problème colonial. Il ne saurait être séparé de son aspect moral. On a dit que la reprise du Congo devait être examinée comme une affaire. Si l'on entend par là en faire une pure question de doit et d'avoir et de solde commercial à établir, nous ne voudrions pas souscrire à cette appréciation. Si l'on a voulu conseiller au pays d'y procéder, comme on procède à une affaire importante, avec prudence et maturité, nous n'en disconviendrons pas, et nous ne pouvons mieux résumer notre opinion que par ces mots d'un fonctionnaire anglais : « Le développe

(1) Rapport du Roi, mai 1907, p. 147.

En 1906, sur un total de fr. 21,477,589.08 de produits importés, il en a été expédié en Belgique pour fr. 15,285,291.56, et sur un total de fr. 58,277,830.70 de produits exportés, la part de la Belgique s'élève à fr. 54,277,830.70.

« PrejšnjaNaprej »